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Chapitre  II   –  Lieux  d’enquête  :  Recife  et  sa  région  métropolitaine

2.   La  Région  Métropolitaine  de  Recife  (RMR)  et  deux  de  ses  quartiers

2.3.   Le  quartier  Aguazinha

Aguazinha se trouve dans la zone ouest de la municipalité d’Olinda qui est une des plus

anciennes villes brésiliennes car fondée en 1535. Cette dernière est localisée dans la région métropolitaine nord, à 6 km de Recife. Elle possède trente-neuf quartiers et compte un total de plus de trois-cent-soixante-dix-sept mille habitants91, qui vivent à plus de quatre-vingt-dix-huit pour cent dans des zones urbaines92.

Selon les registres officiels de la mairie d’Olinda, dont les informations datent du dernier recensement de 2010, la population d’Aguazinha était de plus de douze mille habitants. Or, en 2015, l’unité de santé locale avait enregistré plus de quinze mille individus y résidant93. Ce quartier est fortement urbanisé et sa croissance démographique, à l’image du Bonfim, est encore

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Le document de référence se trouve dans les annexes de ce travail.

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Source extraite du recensement de 2010 de l’IBGE, https://cidades.ibge.gov.br/brasil/pe/olinda/panorama , consulté le 3 mai 2019.

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Donnée émanant du site www.atlasbrasil.org.br , consulté le 3 mai 2019.

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en progression94. Pourtant, à la différence de ce dernier, l’urbanisation croissante à Aguazinha a généré une extinction des espaces vertes ainsi qu’une saturation des terrains constructibles. La carte ci-dessous l’illustre parfaitement.

Figure 12. Carte d’Aguazinha avec ses espaces limitrophes. Au Sud-Est, en bas, un petit carré gris indique le centre d’enfouissement des déchets qui fait frontière avec le quartier et est rattaché à ce dernier (Aterro de Aguazinha). Au

nord-Ouest, le quartier voisin de Sapucaia. Source de la carte : Secrétariat de gestion urbaine de la mairie d’Olinda.

En effet, le phénomène démographique au Brésil a engendré un développement accru des zones urbaines95. Le pays a plus de deux-cents millions d’habitants et plus de trois quarts de sa population vit dans des zones urbaines. Dans la ville de Recife, et de surcroît dans ses quartiers périurbains, il possible de percevoir cet impact démographique. À Aguazinha, par exemple, la construction de maisons superposées devient la norme à cause de la saturation des espaces constructibles, mais aussi de la crise économique ayant engendré une baisse du niveau de vie des individus.

En effet, depuis la fin des années Lula, le coût du niveau de vie a été multiplié par trois, avec une augmentation des prix du marché immobilier. Par conséquent, les familles modestes sont obligées de se regrouper. À Aguazinha, j’ai rencontré un couple d’évangéliques dans la trentaine, parent de deux enfants, qui étaient dans ce cas. Lorsqu’ils se sont mariés, ils ont fait

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Cette projection est envisagée par la mairie d’Olinda et confirmée par l’unité de santé du quartier.

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Source IBGE, https://ww2.ibge.gov.br/home/estatistica/populacao/condicaodevida/indicadoresminimos/tabela1.shtm , consulté le 9 mai 2019.

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construire leur maison au-dessus de celle des parents de l’épouse. Pour eux, c’était un moyen abordable de devenir propriétaire, de rester dans le quartier et d’échapper aux loyers en hausse.

Si au Bonfim, il existe encore des zones constructibles, notamment dans le secteur semi-rural, à Aguazinha la situation est toute autre du fait de son urbanisation massive conduisant à une saturation de l’espace urbain. Par conséquent, ce quartier commence à prendre une dimension verticale en raison du nombre important de maisons superposées, lesquelles ont parfois jusqu’à trois niveaux. L’engouement démographique dans ce lieu s’explique aussi en partie par les atouts qu’il possède.

Tout d’abord, Aguazinha est proche de la capitale, Recife, ainsi que de sa municipalité, Olinda, soit à moins de 8 km de l’un et à environ 8km de l’autre. Cette proximité est appréciée des riverains, d’autant plus que le service de transport collectif reliant ces deux villes est relativement satisfaisant. Le quartier compte avec une ligne de bus à destination de Recife, dont la fréquence est d’environ un quart d’heure. Pourtant, ce créneau ne satisfait pas la demande des usagers, notamment aux horaires de pointe, ce qui les oblige parfois de se diriger vers une des deux voies centrales, situées au carrefour du quartier, où de nombreuses lignes de bus desservent différentes destinations y compris les deux municipalités. Cela constitue plutôt un avantage pour les habitants de ce quartier car, à la différence du Bonfim, Aguazinha dispose de multiples options de transport collectif, dont des lignes de bus directes ou à système d’échanges à proximité du quartier. Un autre avantage de ce quartier, c’est qu’il est à moins de neuf kilomètres du centre historique d’Olinda et de la plage. De même que pour Recife, Olinda dispose d’une plage où les habitants peuvent s’y rendre facilement moyennant les transports en commun. Par exemple, pour se rendre en bus à la plage d’Olinda depuis Aguazinha il faut compter environ vingt-deux minutes. Le centre historique d’Olinda propose de nombreuses animations tout au long de l’année, mais, comme pour Recife, le rendez-vous incontournable de ce lieu est sans aucun doute ses fêtes de carnaval.

Mondialement connu, le carnaval d’Olinda, dont plusieurs des attractions se déroulent dans le centre historique de la ville, attire des milliers de personnes chaque année, lesquelles viennent participer aux nombreuses animations de rue, dont les défilés des orchestres de frevo96, des blocos97 de rue et des poupées géantes.

La proximité avec Recife et Olinda, des villes historiques et dynamiques, rend la localisation géographique d’Aguazinha attractive pour ses habitants. Bien qu’il s’agisse d’un

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Il s’agit du même rythme musical qui caractérise à la fois le carnaval de Recife et d’Olinda.

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quartier modeste, il reste privilégié comparé à d’autres zones périurbaines éloignées des pôles d’intérêt culturel et social dont dispose ces deux municipalités. Toutefois, si la situation géographique d’Aguazinha semble être un atout, à l’intérieur la réalité socioéconomique de certains de ses habitants est un sujet sensible. Les données sociodémographiques relevées dans ce quartier en sont l’illustration.

En 2010, la majorité des habitants de la municipalité d’Olinda avait entre 10 et 45 ans98. À Aguazinha, selon les données du centre de santé local, les 10-40 ans sont plus nombreux. Comme Bonfim, c’est un quartier avec une population relativement jeune. En revanche, le nombre d’enfants et d’adolescent est nettement plus élevé à Aguazinha. C’est ce que relève le registre des familles du centre de santé local qui fait état d’un taux de natalité élevé dans le quartier : deux enfants en moyenne par femme et par foyer recensé. Ce taux de natalité concerne surtout de jeunes femmes, y compris des adolescentes qui ont leur première grossesse aux alentours des seize/dix-sept ans.

Malgré le programme de prévention éducatif du « Planejamento familiar », planning familial en français, institué par la Constitution de 1988 et réglementé par la loi fédérale 9 263 de 199699, les grossesses chez les adolescentes reste un problème dans les quartiers périurbains, principalement au sein de familles démunies. Le responsable du planning familial travaillant au centre de santé d’Aguazinha m’a confié qu’il se sentait impuissant face à cette question qu’il estimait avant tout sociale. D’après lui, la plupart des adolescentes touchées par cette problématique habitent dans des petites maisons, parfois de fortune, où tous les membres de la famille dorment dans la même pièce. La promiscuité serait, selon lui, une possible cause à une sexualité précoce chez les adolescents.

Toujours d’après ce responsable, la sexualité est un sujet tabou pour les familles, car les parents n’en parlent guère avec leurs enfants. Pour ce professionnel de santé, le suivi médical des adolescentes devrait être accompagné d’un travail de vigilance parentale afin qu’il y ait à la maison une continuité de la pédagogie proposée par le centre de santé. Pour lui, ces familles ont en général d’autres préoccupations que discuter avec leurs enfants, étant donné qu’elles vivent au bord de la survie, et que la priorité est d’abord de se débrouiller pour avoir de quoi vivre.

Le nombre de familles démunies vivant dans la précarité est en effet assez élevé à

Aguazinha. En parcourant les rues du quartier, il est possible d’observer des secteurs où la

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Source : www.atlasbrasil.org.br, consulté le 9 mai 2019.

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pauvreté côtoie la misère au quotidien. Dans ce contexte de fragilité sociale, la jeunesse est la plus touchée. Sans activité et sans perspectives professionnelles, les jeunes sont tentés par le gain de l’argent facile provenant du trafic de drogues. Dans certains secteurs moins favorisés du quartier, des petites bandes de trafiquants s’installent dans les coins de rue pour vendre leurs marchandises ou bien en consommer ouvertement sous le regard de tous.

Les données du Secrétariat de Défense Sociale – SDS100 révèlent un indice de criminalité élevé dans la municipalité d’Olinda. Les délits liés aux vols à main armée, aux homicides, aux tentatives de meurtre et aux dommages corporels a été d’environ six mille cas en 2015. Un chiffre six fois supérieur à celui de la municipalité d’Igarassú pour les mêmes types de données. En plus, les agressions concernant des violences conjugales et domestiques frôlent les deux mille cas pour la même année.

Pour une municipalité qui compte près de quatre cents mille habitants, les registres policiers sont une preuve indéniable du degré de violence urbaine dans la ville d’Olinda. Son indice de violence urbaine étant largement supérieur à celui d’Igarassú. Cependant, celle-ci compte environ cent vingt mille habitants, soit trois fois moins de résidants qu’à Olinda.

Aguazinha est en effet très touchée par le fléau de la criminalité. Dans les années 2010,

à certains endroits, les habitants avaient peur de sortir de chez eux à cause des règlements de comptes101. Pour y remédier, des opérations de police ont été organisées afin de neutraliser l’action des trafiquants localement. Toute une opération policière a été déployée avec des moyens considérables, dont l’usage d’un hélicoptère qui tournait au-dessus du quartier pour identifier les planques des criminels. Une fois le « nettoyage » fait, les habitants ont pu retrouver le calme et reprendre le cours de leur vie quotidienne paisiblement.

Outre la criminalité, une problématique d’ordre sanitaire touche également ce quartier. Dans sa partie sud-est, se trouve un centre d’enfouissement des déchets. Ce dernier constitue un problème réel pour les riverains de cette localité. Si une partie des déchets sont enfouies, une autre partie reste à ciel ouvert en attendant d’être brûlée. Lorsqu’il y a incinération des déchets, la fumée et les odeurs envahissent les maisons à proximité. Mais cette fumée peut atteindre les maisons situées dans les secteurs centre-nord et centre-sud du quartier, et s’il y a du vent, les secteurs nord-ouest et centre-ouest sont également touchés.

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Document de référence dans les annexes.

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Ce centre d’enfouissement existe depuis les années 1990, et il a fonctionné longtemps de façon irrégulière, c’est-à-dire dans les marges du pouvoir public. Plusieurs familles précaires se sont installées aux alentours, principalement les « catadores de materiais recicláveis » (Passos et al., 2017), sorte de travailleurs indépendants qui cherchent des objets pouvant être recyclés et revendus. Dans le courant des années 2000, le centre a fait l’objet de plusieurs dénonciations. Des riverains se sont plaints auprès de la mairie d’Olinda et certains ont investi les médias locaux. Les réclamations portaient sur la pollution que l’incinération des déchets engendre, notamment l’exposition aux résidus toxiques projetés dans l’air à travers la fumée. La population locale s’est mobilisée depuis quelques années pour demander la fermeture définitive de ce centre d’enfouissement, ce qui est enfin arrivé en 2017102.

En 2015 déjà, lorsque j’étais sur le terrain, les habitants du quartier ne supportaient plus les problèmes liés à ce centre, auxquels s’ajoutaient d’autres problématiques d’ordre sanitaire, notamment le ramassage non régulier des ordures ménagères et les égouts à ciel ouvert. Ces faits vécus par les habitants au quotidien, découlent d’un manque d’attention des pouvoirs publics et d’une absence d’une infrastructure sanitaire satisfaisante. Ces problématiques sanitaires impactent la santé des résidents, principalement les enfants et les personnes âgées. L’unité de santé locale103 attribue certaines maladies allergiques et contagieuses à la condition de vulnérabilité sociale auxquels font face certaines familles exposées aux mauvaises conditions d’hygiène. Lors de mes déplacements, j’ai pris quelques photos, visibles ci-dessous, qui m’ont permis d’illustrer les conditions de vie de la population.

Figure 13. À gauche, le centre d’enfouissement. Il est possible de voir un point de fumée, juste derrière les tonneaux en ciment. Ceux-ci sont censées servir de barrière de protection. À droite, le quartier d’Aguazinha (Photo de l’auteure).

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Information annoncée dans un journal quotidien local https://www.folhape.com.br/noticias/noticias/cotidiano/2017/08/09/NWS,37337,70,449,NOTICIAS,2190-LIXAO-AGUAZINHA-FECHA-APOS-FUNCIONAR-ANOS-IRREGULARMENTE.aspx , consulté le 9 mai 2019.

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J’ai interrogé les acteurs de santé locaux (infirmières, médecin et agents sanitaires de proximité), lesquels m’ont confirmé que plusieurs consultations sont dues au rapport entre lieu d’habitation et condition sanitaire précaire.

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Figure 14. Les ordures ménagères envahissent la rue qui longe le centre d’enfouissement (Photo de l’auteure).

Ce contexte de vulnérabilité sociale à Aguazinha a été intégré dans les actions comme dans les discours des évangélisateurs de l’Assembléia de Deus de ce quartier. Cette institution a développé un programme visant à soutenir les familles vivant dans la précarité, surtout la jeunesse qui est particulièrement exposée : c’est le projet Samuel, lequel a été implanté dans le quartier en 1998, au moment où l’église de l’AD s’y installait également.

Ce projet s’inscrit dans un programme plus vaste, celui de la Fondation Aio d’Éducation et d’Assistance Sociale – FAES104, créée par l’épouse du pasteur-président de l’église-mère

Assembléia de Deus de Recife. Il a été conçu pour porter une aide aux familles modestes,

notamment celles exposées à des conditions de vie précaire et à des violences domestiques. Le projet Samuel sera traité au quatrième chapitre. Après cet aperçu global des différents lieux de mon enquête de terrain, le chapitre suivant abordera les éléments ethnographiques de cette étude, notamment les approches méthodologiques.

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