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Chapitre  III   –  Le  terrain  ethnographique  :  méthodes,  apprentissages  et  expériences

2.   Apprentissages,  rencontres  et  limites  du  terrain  ethnographique

2.3.   Limites  et  ouvertures  de  l’enquête  de  terrain

Même si mon enquête de terrain s’est bien déroulée dans son ensemble, il y a eu des particularités quant à l’accès à certaines informations, notamment auprès de l’IURD et de l’IIGD. Au sein de ces deux églises, j’ai dû adopter une posture de prudence qui a quelque peu limité mon champ d’action.

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Il se trouve que, dans ces deux églises, j’ai fait le choix de ne pas être identifiée en tant que chercheure sur terrain. Mes échanges avec les membres institutionnels, dont les obreiros et le corps ecclésiastique, se sont donc déroulés uniquement de manière informelle. Les membres institutionnels de ces deux églises semblent être hostiles à toute sorte d’enquête, y compris à but scientifique (Almeida, 2009 ; Campos, Gusmão, 2013 ; Cortén, 1999 ; Rocha de Oliveira, 2014).

À l’IURD et à l’IIGD, les chercheurs ne sont pas les bienvenus. Ces deux églises ont en effet fait l’objet de dénonciations de certains journalistes brésiliens. Ceux-ci ont publié des articles virulents à leur égard dans la presse brésilienne (Mariano, 1999). Elles ont également subi des critiques découlant du milieu académique brésilien et étranger. Ce sont des publications portant notamment sur leurs pratiques, dites « magico-religieuse », et sur les dons d’argent provenant de leur adhérents (Aubrée, 2000 ; Campos, 1997 ; Cortén, 1995, 1999 ; Mariano, 1999 ; Oro, 1992).

À l’intérieur de leurs temples, j’ai ainsi gardé une posture de réserve afin d’éviter tout conflit et me voir interdite de fréquenter leurs lieux. J’ai pu néanmoins me rapprocher de certains membres de ces deux églises, en particulier de deux obreiras. Mes rencontres avec celles-ci ont eu lieu dans des circonstances particulières, et en dehors du temple, ce qui m’a permis de les approcher autrement.

La première, une obreira de l’IURD, tenait un petit commerce ambulant devant le temple. En prenant l’habitude de m’arrêter dans son commerce, j’ai eu l’occasion d’échanger avec elle à de nombreuses reprises. Lorsqu’un rapport de confiance s’est installé entre nous, je lui ai parlé de ma recherche. J’ai sollicité sa collaboration, elle m’a donné un avis favorable. En revanche, elle m’a demandé de préserver son anonymat, car elle n’était pas censée parler de son travail à l’église à des personnes étrangères au temple. Cette femme d’une soixantaine d’années, était engagée auprès de son église comme obreira depuis plus de dix ans.

La deuxième était une trentenaire, femme au foyer et mère de deux enfants, s’était récemment engagée à l’IIGD comme obreira. J’ai fait sa connaissance par le biais de personnes qui se sont mobilisées pour m’aider dans mon terrain à Aguazinha. Après avoir établi un premier contact, je me suis rendue directement à son domicile pour lui présenter en détail ma démarche dans son quartier. Elle m’a écoutée avec intérêt, mais elle n’a pas accepté de collaborer avec moi tout de suite. Il a fallu du temps pour qu’on fasse davantage connaissance et qu’elle se sente à l’aise avec moi.

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Ce n’est qu’après quatre rencontres, qu’elle a enfin commencé à me raconter son parcours dans l’évangélisme pentecôtiste et à l’IIGD. Après tout, elle estimait que participer à une recherche, et raconter sa trajectoire dans sa doctrine évangélique pentecôtiste, pouvait être éclairant face aux critiques hostiles à l’égard de son église, alors que les églises dites de « troisième vague » n’ont cessé d’être critiquées (Campos, 1997 ; Cortén, 1999 ; Mariano, 1999 ; Oro, 1992 ; Pierucci, Prandi, 1996). Pourtant, comme pour la première, elle m’a également demandé de garder son anonymat. Elle m’a expliqué que durant sa formation d’obreira, on lui a appris qu’elle ne devait pas diffuser des informations institutionnelles à des personnes extérieures au temple.

De toute évidence, la consigne de l’IURD et de l’IIGD à leurs obreiros est de ne rien dévoiler sur leur travail au sein de leur institution religieuse. De ce fait, ma prudence au sein de ces deux églises était justifiée face aux réserves de leurs membres institutionnels vis-à-vis de toute personne extérieure à leur milieu (Campos, Gusmão, 2013).

Sans vouloir compromettre le travail de ces deux femmes, je leur ai garanti l’anonymat comme à l’ensemble des personnes interrogées pour ce travail. La question de l’anonymat reste un sujet délicat pour les recherches en science sociales, notamment lorsqu’il est question de « terrains minés » (Agier, 1997 ; Ghasarian, 2002), parce qu’il est toujours difficile de tout omettre, étant donné que les descriptions concernant les acteurs d’un lieu donné peuvent s’avérer révélatrices pour ceux qui connaissent et fréquentent ce lieu.

En conséquence, avoir recours à la technique d’anonymisation ne signifie pas avoir un gage de protection indéfectible envers nos interlocuteurs, puisqu’elle comporte aussi des limites du fait que certains peuvent reconnaître les individus et lieu indiqués malgré leur anonymat. Le chercheur doit donc être vigilant lorsqu’il s’engage dans sa production écrite, et doit veiller au mieux possible à ne pas révéler ses interlocuteurs. Il doit également chercher à les imbriquer dans l’ensemble du système social qu’il tente d’appréhender dans toute sa complexité (Agier, 1997). Malgré ces considérations, certains inscrivent leurs travaux dans une posture plutôt dénonciatrice, voire sensationnaliste (Cortén, 1995, 1999 ; Mariano, 1999 ; Oro, 1992).

Avisée de ces enjeux autour de l’anonymat, lesquels relèvent des limites, j’ai tâché de respecter la volonté de mes interlocuteurs de ne pas être identifiés, tout comme je ne voulais pas voir mon travail dévoilé à l’IURD et à l’IIGD. Malgré ces conditions un peu particulières, j’ai réussi à mener mon travail de terrain au sein de ces deux églises et de surcroît auprès de certains de leurs membres.

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Ma rencontre avec ces deux obreiras a été une exception. Si elles ont accepté de collaborer avec moi, c’est d’abord parce que nos rencontres se sont déroulées dans un cadre en dehors du temple. Un rapport de confiance s’est installé entre nous, ce qui leur a permis de se confier à moi, mais en toute discrétion. De leur récit, j’ai retenu leurs expériences individuelles ainsi que leur parcours dans une activité pour laquelle elles se sont engagées.

Bien que ces deux cas ici présentés m’aient donné un aperçu du travail d’obreiro, je ne dispose pas d’un nombre suffisant de données pour analyser ce sujet de manière approfondie, il y a donc beaucoup de limites dans ma compréhension de cette activité. En revanche, j’ai eu l’occasion d’échanger avec des obreiras et obreiros, avant ou après le rituel de manière informelle. Je les abordais en effet lorsqu’ils circulaient dans des espaces adjacentes à la salle de culte, à l’accueil du temple ou quand ils s’adonnaient à des activités telles que la vente d’objets divers ou la diffusion d’affiches.

Ces rencontres informelles me permettaient d’avoir des échanges avec eux, ce qui me renseignaient sur quelques caractéristiques de leur travail. Parfois, nous pouvions aller un peu plus loin dans la discussion. Dans ce cas, ils me racontaient brièvement ce qu’ils recherchaient dans l’église. Mais ces conversations étaient relativement courtes et limitées, parce qu’elles se déroulaient dans un cadre bien défini, au moment où les obreiros accueillent les participants au culte ou bien quand ils distribuent des matériaux d’affichage. Dès lors, je ne pouvais pas les solliciter davantage parce qu’ils étaient en plein travail.

De même, mes échanges avec eux se limitaient à des questions posées par simple curiosité, car je ne pouvais pas leur révéler la nature de mon travail au risque d’avoir des entraves dans mon terrain, ce qui est arrivé souvent aux chercheurs dans le cas de l’IURD (Campos, Gusmão, 2013 ; Rocha de Oliveira, 2014). Lorsque je voulais approfondir des questionnements portant sur leur institution, ils me dirigeaient vers un pasteur ou un autre membre occupant une position de responsable dans leur église. Mais pour moi, il n’était pas question d’avoir recours à la hiérarchie ecclésiastique, parce que cela pouvait susciter de la méfiance voire une interdiction de fréquenter le lieu.

J’en avais fait l’expérience à l’occasion d’un terrain passé, dans le cadre d’un travail académique de Master2, pour lequel j’ai réalisé un terrain à l’IURD de Bordeaux. Ici, j’avais essuyé un refus catégorique de la part du pasteur, lequel m’avait défendu d’interroger les membres de son église (Rocha de Oliveira, 2014). Par conséquent, questionner les membres dirigeants expose au risque de limiter les possibilités d’enquête, comme certains auteurs

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l’attestent également dans leur travaux (Almeida, 2009 ; Cortén, 1999 ; Soares, 2005 ; Weiner, 2009).

Pourtant, la réticence rencontrée dans cette église n’empêche pas que de nombreuses études leur ont été consacrées (Almeida, 2009 ; Aubrée, 2000, 2003 ; Campos, 1997 ; Campos, Gusmão, 2013 ; Cortén, 1999 ; Cortén, Dozon, Oro, 2003 ; Freston, 2005 ; Mariano, 1999 ; Mary, 2002 ; Oro, 1992 ; Soares, 2005, 2009 ; Weiner, 2009). La voie d’accès privilégiée pour certains chercheurs est justement l’informalité, c’est-à-dire, ne pas se présenter comme chercheur, mais plutôt comme une personne souhaitant s’intégrer dans l’institution religieuse (Aubrée, 2003 ; Soares, 2005 ; Weiner, 2009). C’est la voie que j’ai également choisi dans ce travail.

À la différence du terrain brésilien ou européen, il semblerait que des recherches ont pu être menées sans difficultés dans les temples de l’IURD installés dans certains pays africains (Campos, 1999 ; Cortén, Dozon, Oro, 2003 ; Mary, 2002 ; Oro, 2004). Du moins, ces études n’évoquent guère d’entraves à l’enquête de terrain faite dans les temples de l’IURD étudiés en Afrique. Est-ce dû au fait que sur le terrain africain, cette église ne connaît pas ou peu d’antécédents médiatiques ? Au Brésil, et dans certains pays européens, l’IURD a été ouvertement critiquée dans les médias (Aubrée, 2000 ; Cortén, Dozon, Oro, 2003 ; Mariano, 1999).

Dans mon cas, à Recife, j’ai opté par une position de discrétion face aux membres dirigeants de l’IURD et de l’IIGD. Même si, à quelques occasions, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec eux, cela s’est fait de manière discrète et limitée. En revanche, la formalité s’est imposée lorsqu’il était question de passer à des entretiens approfondis avec leurs adhérents, y compris l’obreira évoquée ci-dessus. Auprès des adhérents, devenus mes interlocuteurs de références, j’ai tâché de travailler en toute transparence, dans le respect et en toute confiance.

En revanche, dans les temples de l’Assembléia de Deus, l’accès au terrain m’a été facilité par ses membres adhérents, en particulier ceux qui sont engagés au sein de leur église. À l’inverse de l’IURD et de l’IIGD, les adhérents de l’AD, au moins ceux que j’avais rencontrés sur le terrain, étaient ravis de pouvoir me parler de leur institution. Ils m’accueillaient avec respect et intérêt. Les pasteurs, tout comme les autres membres du corps ecclésiastique de cette église, se montraient fiers de pouvoir partager l’histoire de leur institution, notamment auprès d’une non-convertie comme moi.

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De fait, les individus engagés dans le corps organisationnel de l’AD la présentent souvent comme la pionnière dans l’histoire de l’évangélisme pentecôtiste brésilien, en particulier dans la ville de Recife.

Les membres engagés de l’AD mettent en avant le caractère historique de leur église et la doctrine qu’elle prône, laquelle repose sur les textes sacrés de la Bible, et qui a pour mission de sauver des âmes à travers la diffusion des Évangiles et des enseignements de Jésus. Pour eux, c’est une différence centrale permettant de distinguer leur église des autres, notamment de l’IURD et l’IIGD.

Même si j’ai bénéficié d’une certaine ouverture chez les membres de l’AD, leur volonté délibérée de se différentier des autres églises était un sujet à analyser avec une certaine prudence. Cette volonté induisait parfois une certaine posture de supériorité voire de mépris envers les évangéliques appartenant à d’autres dénominations. À cet égard, chez les évangéliques pentecôtistes au Brésil, les prises de position institutionnelles peuvent parfois être agressives (Almeida, 2009 ; Mafra, 2001 ; Mariano, 1999 ; Souza, 1969), jusqu’au point de devenir une guerre spirituelle marquée par l’intolérance religieuse envers la pratique confessionnelle de l’autre (Mariz, 1999 ; Silva, 2007).

Dans le cas de l’AD, la tolérance ne manque pas d’être prêchée. Pourtant, nombreux sont ceux qui préfèrent se défendre de fréquenter un homologue évangélique d’une autre dénomination, en particulier ceux appartenant à l’IURD. À titre d’exemple, certains de mes interlocuteurs de l’AD savaient que j’avais mené un travail à l’IURD et à l’IIGD. Je leur en ai fait part à un moment donné au cours de nos conversations. J’avais l’intention de savoir ce qu’ils pensaient de ces deux églises.

Ils me conseillaient toujours d’être vigilante car, pour eux, lesdites églises étaient du mauvais côté, parce qu’elles ne suivaient pas ce qui était écrit dans les Évangiles. Étant donné les divergences visiblement perçues entre les membres de l’AD et de l’IURD, lors de mon premier séjour de terrain, j’ai pris le soin de ne pas fréquenter le même jour un assembléiano119 et un iurdiano120. Cette décision me permettait de m’abstenir de toute comparaison entre ces deux groupes religieux, mais aussi des possibles tensions ou entraves pouvant me mettre dans une situation particulière face à mes interlocuteurs.

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Qui appartient à l’Assembléia de Deus.

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Pour finir, il y a un autre point qui mérite d’être abordé. Il s’agit de l’appel à la conversion auquel j’ai été maintes fois confronté sur ce terrain.

Mes interlocuteurs me demandaient régulièrement pourquoi une non convertie comme moi s’intéressait à leur église. Je leur ai expliqué que mon père s’était converti à l’AD. Quand j’étais enfant, il m’avait amené à l’église quelques fois. C’est ainsi que j’avais découvert l’évangélisme pentecôtiste. Or, cette découverte remontait à mon enfance. Depuis, j’ai connu d’autres confessions religieuses, mais mon attirance pour la religion était plutôt de nature curieuse. Désormais, adulte et attachée à d’autres centres d’intérêts, mon regard sur le religieux est toujours aussi curieux, mais avec un objectif scientifique. Ce sont ces propos qui je racontais aux personnes m’interrogeant sur mon intérêt porté à leur doctrine religieuse.

En écoutant mon court récit, les adhérents de l’AD me disaient que je pouvais à tout moment intégrer leur église, il suffisait de le vouloir, étant donné que j’avais déjà fait un passage chez eux dans mon enfance. Pour eux, je devrais éprouver la merveille du salut vers laquelle toutes les âmes de ce monde devraient se diriger. À l’inverse, pour les adhérents de l’IURD et de l’IIGD, il fallait que je découvre l’expérience de la prospérité, au sens large de ce terme, non seulement sur le plan financier, mais aussi au niveau de la famille, du travail, de la santé et de ma vie sentimentale, nombreux ont été chez les uns et les autres les arguments susceptibles de me convaincre à intégrer leur église.

Le chercheur travaillant dans un milieu religieux est souvent exposé aux multiples pressions pour une conversion, et de surcroît chez les évangéliques pentecôtistes (Fancello, 2008). Je l’ai été à des nombreuses reprises, sans pour autant me voir dans l’obligation de me convertir. Dans ce sens, certains chercheurs se sont engagés dans une approche immersive totale avec leur terrain. Les uns ont fait l’expérience de la conversion par conviction et pour la beauté de la pratique (Bastide, 1958), les autres s’y sont investis de manière méthodologique, dans le but d’éprouver des sensations particulières (Jules-Rosette, 1975), et jusqu’au point d’être affecté émotionnellement (Favret-Saada, 1977, 2009). Cela n’était pas mon objectif, étant donné que la conversion en tant qu’objet de réflexion isolé n’était pas au cœur de mes questionnements. En revanche, j’ai taché de travailler dans l’empathie et dans le respect de l’autre comme requiert toute pratique du terrain ethnographique (Agier, 1997 ; Fancello, 2008 ; Ghasarian, 2002).

L’empathie a aussi ses limites, notamment lorsqu’il faut être en mesure de pouvoir endosser certaines situations pouvant être gênantes ou embarrassantes (Fancello, 2008). Dans mon cas, quelques fois, je devais m’agenouiller devant l’ensemble des participants d’un culte

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pour prier, ou bien, être identifiée comme le visiteur du jour, à haute voix et devant la congrégation car le pasteur a l’habitude de présenter à l’ensemble des membres de l’église les nouveaux arrivés ainsi que ceux qui visitent le lieu. De plus, il fallait gérer le sentiment d’être fréquemment perçue comme une potentielle recrue.

Ce n’est pas toujours simple de contrôler ces circonstances. Pour y faire face, et éviter tout embarras, j’ai gardé à l’esprit de travailler toujours dans l’empathie et de participer de mon mieux à la mise en scène de soi que représente l’immersion (Fancello, 2008 ; Soares, 2005). Autrement, lorsque le chercheur s’immerge au sein d’un groupe socioculturel il doit « se mouiller » (Olivier de Sardan, 2008). Il doit faire comme les autres tout en gardant le respect vis-à-vis de leur mode d’action et de leur fonctionnement, au détriment de ses propres convictions et ressentis. C’est dans cette perspective que j’ai mené mon terrain aussi bien chez les adhérents de l’IURD et de l’IIGD comme chez ceux de l’AD.

Finalement, mon immersion au sein des trois églises et auprès de ses adhérents m’a conduit à des chemins diversifiés, à l’image de la diversité et de la complexité de l’univers évangélique pentecôtiste brésilien. Désormais, au point suivant, j’aborderai mes expériences de terrain dans un contexte localement situé, soit à l’intérieur des quartiers périurbains dans lesquels j’ai réalisé mon travail d’enquête et dans une approche basée sur la proximité.

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