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Chapitre  I   –  Sociohistoire  de  l’évangélisme  pentecôtiste  au  Brésil  et  à  Recife

4.   Facteurs  endogènes  ayant  contribué  au  développement  du  mouvement

4.1.   Un  contexte  sociopolitique  particulier

4.   Facteurs endogènes ayant contribué au développement du mouvement

4.1. Un contexte sociopolitique particulier

Le mouvement évangélique pentecôtiste, comme énoncé ci-dessus, est arrivé au Brésil au début du 20e siècle, soit dans une période suivant l’instauration de la démocratie avec la mise en place de la République, de la laïcité et d’une ouverture de la sphère religieuse brésilienne (Almeida, Mattoso, 2012). Par la suite, ce mouvement va se développer dans un contexte sociohistorique particulier, au moment où le pays connaît une « nouvelle révolution », celle de l’État Nouveau, sous la présidence de Gétulio Vargas, puis sous la période dictatoriale (Rolim, 1985, 1995).

D’abord, quelques aspects concernant le contexte de l’État Nouveau doivent être précisés. Il est représenté par Gétulio Vargas, une des principales figures politiques du Brésil moderne (Skidmore, 1975). Son gouvernement a duré quinze ans, de 1930 à 1945. Puis, il avait entrepris un deuxième mandat de 1951 à 1954. Durant ces périodes, Vargas révolutionne la politique nationale brésilienne en la modernisant, entamant des réformes profondes sur le plan économique et social, régulant les heures de travail à huit heures journalières, et en établissant l’assurance sociale et les congés payés. Il avait accordé le droit de vote aux femmes, et intégré des aspects de la culture africaine dans le nouveau modèle national. Il avait également mis en place des institutions nationales fortes comme l’Institut de Géographie et Statistique Brésilien (IBGE) en 1931, la Fondation Gétulio Vargas (FGV) en 1940, la Banque Nationale pour le Développement Économique et Social (BNDS) en 1952, la compagnie pétrolière nationale, la PETROBRAS, en 1953.

La présidence de Vargas, connue comme l’ère Vargas ou Varguisme (Ibid., 1975), a en effet propulsé la nouvelle nation brésilienne vers un avenir moderne. Toutefois, son gouvernement est l’un des plus controversées et l’un des plus complexes que le pays ait connu. Il est marqué par plusieurs tendances : autoritarisme, dictature, socialisme, nationalisme. Pourtant, il est resté l’un des présidents les plus populaires de l’histoire politique brésilienne. Or, une particularité concernant sa personne attire l’attention.

Vargas était agnostique et attaché à la vision du positivisme comtien. Pourtant, il va renouer avec les catholiques sous l’influence du cardinal Sebastião Leme. Celui-ci a été archevêque de Rio de Janeiro dans les années 1920, puis, dans les années 1930, il est nommé cardinal de cette même ville. Étant donné sa position ecclésiastique éminente, il demande au président l’instauration de l’enseignement religieux dans les écoles.

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Or, avec la République proclamée en 1889, il y a eu la séparation entre l’Église et l’État. Depuis, le Brésil est devenu laïque, l’enseignement religieux a été interdit dans les écoles d’État et les catholiques sont restés effacés de la scène politique nationale. Pourtant, le gouvernement Vargas va se réconcilier avec les catholiques et l’enseignement religieux sera réinstauré au sein des établissements scolaires d’État. Dans la suite de son gouvernement, une sorte de catholicisme social s’est mis en place. Si le pays avait fait du progrès économique, politique et social dans l’ère Vargas, ce développement a surtout bénéficié aux élites, les pauvres sont oubliés.

C’est pourquoi, dans les années 1960, un catholicisme social est mené par une branche de l’Église catholique, laquelle développera des actions envers les « pauvres », les « indigents » et tous ceux vivant aux marges de la société, soit les « subalternes » (Borges, 2005 ; Marin, 1995). Ces actions s’inscrivent dans une sorte de révolution à l’intérieur du catholicisme avec l’émergence d’un nouveau courant, la Théologie de la Libération29 (TL), menée par des prêtres engagés (Compagnon, 2008 ; Cortén, 1997 ; Lowy, 1998). Basé sur un modèle chrétien horizontal et, en conséquence, non hiérarchique, la TL est créée pour rapprocher la doctrine catholique des pauvres et démunis (Boff, 1994 ; Gutierrez, 1981).

Le grand paradoxe du gouvernement Vargas est que si d’une part le pays marche vers le progrès et l’avenir, d’autre part, la pauvreté et la misère augmentent et les inégalités se creusent davantage (Skidmore, 1975). Malgré les réformes sociales entamées sous son mandat, les plus démunis restent en situation de vulnérabilité. Les plans socio-économiques lancés par son gouvernement bénéficient surtout aux salariés et, avant eux, aux patrons. Par ailleurs, les investisseurs étrangers, notamment les Américains, et toute une élite détenant des capitaux économiques, politiques et culturels profitent des politiques menées par l’État Nouveau de Vargas.

En conséquence, les individus les moins favorisés peinent à trouver leur place dans un système où les traditions s’affaiblissent, et la modernité et le progrès sont devenus les nouveaux mots d’ordre. Au final, la nouvelle société brésilienne, devenue désormais moderne, est avant tout libérale et hiérarchique, engendrant d’importantes disparités sociales entre riches et pauvres (Ibid., 1975). Il n’est pas étonnant que les actions conduites par les prêtres catholiques engagés aient connu un succès considérable. Ces actions ont été appuyées par le gouvernement

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Pour en savoir davantage sur ce mouvement, sur les acteurs en faisant partie et le contexte dans lequel il s’est déroulé, voir les travaux de Chaouch (2007), Compagnon (2008), Cortén (1997), Dubar (2010), Lowy (1998), Marin (1995), Sofiati (2013). Sur la Théologie de la Libération en tant que mouvement théologique je cite les travaux de Gutierrez (1981) et Leonardo Boff (1994). Ces études figurent parmi les références citées dans la bibliographique générale.

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brésilien, notamment au début des années 1960. Le soutien de l’État envers les catholiques s’atténuera en fonction du contexte politique dictatorial qui allait s’installer à partir des années 1960, mais aussi en raison des représailles contre les communistes.

De 1964 à 1985, le Brésil connaît une longue période de dictature, ce qui va engendrer des bouleversements importants dans le pays. C’est ainsi que les prêtres militants et la Théologie de la Libération vont être condamnés par le régime dictatorial (Cortén, 1997). Pendant cette période sombre se déroule une chasse aux communistes appuyée par des fonds d’investissement étrangers, principalement provenant des accords passés entre des pays latino-américains, y compris le Brésil, et les États-Unis (Loureiro, 2013 ; Ribeiro, 2006). Dans ce contexte, les catholiques reculent à nouveau et l’évangélisme va bénéficier de ce recul pour progresser.

Pendant ce temps, des missions évangéliques, notamment pentecôtistes, provenant d’Amérique du Nord, continueront à investir le pays. Elles se renforceront particulièrement durant la décennie de 1960 (Campos, 2005 ; Fiedler, 1995). L’expansion de ces missions, notamment américaines, va amener chez certains auteurs à avancer une « théorie du complot » selon laquelle les États-Unis auraient financé l’implantation évangélique non seulement au Brésil, mais dans l’ensemble des pays latino-américains (Stoll, 1985, 1990).

Quoiqu’il en soit, l’évangélisme pentecôtiste avance en suivant les mutations économiques, politiques, sociales et religieuses au Brésil (Rolim, 1985, 1995). Comme c’était le cas d’ailleurs pour le protestantisme, dont l’intégration dans le pays a été rythmée par des changements structurels profonds durant l’Empire du Brésil30 au cours du 19e siècle (Ribeiro, 1973).

Dans cette perspective, le sociologue Willems (1967) soutient que les églises évangéliques, notamment pentecôtistes, avancent grâce aux transformations socio-économico-politiques leur permettant une marge de manœuvre dans un pays tourmenté par les métamorphoses qu’il affronte. Dès lors, ces églises vont chercher à intégrer les populations considérées comme étant « anomiques » (Durkheim, 2004) ou en perte de repère, parce qu’elles ne se retrouvent plus dans la nouvelle configuration sociale contemporaine. D’après lui, mais aussi selon d’autres auteurs, ces populations trouveront dans ce nouvel évangélisme, centré sur l’émotion et le pouvoir du Saint-Esprit, un nouveau souffle à leur détresse sociale et spirituelle (Chesnut, 1997 ; Cortén, 1995 ; Rolim, 1985 ; Pierucci, Pradi, 1996 ; Willems, 1967).

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L’Empire du Brésil a été mis en place au début du 19e

siècle sous un régime de monarchie constitutionnelle parlementaire et représentative dont les souverains successifs ont été Pierre I et Pierre II (Almeida, Mattoso, 2002).

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