• Aucun résultat trouvé

Chapitre  III   –  Le  terrain  ethnographique  :  méthodes,  apprentissages  et  expériences

1.   Le  terrain  et  les  méthodes  :  des  premiers  constats  au  recours  à  la  cartographie

1.2.   Première  approche  du  terrain

Mes premières visites ont été effectuées dans les temples situés à l’avenue Cruz Cabugá au centre-ville de Recife. J’ai décidé de les fréquenter durant trois semaines, et de suivre une démarche personnelle qui était basée sur le regard spontané. J’entends par là, un regard instinctif et naturel, dépourvu de toute arrière-pensée, et donc libre de tout cadrage méthodologique et théorique.

Pour ce faire, je me suis rendue dans les églises afin d’assister aux cultes et prendre connaissance des espaces, des gestes, de l’ambiance et des habitudes du milieu évangélique pentecôtiste, de manière spontanée, sans me poser des questions. Cette première approche m’a permis de visualiser les lieux, les individus, la disposition des objets dans l’espace (bancs, chaises, pupitre, caméras, vidéoprojecteur, instruments de musique, éclairage, climatisation), les ornements de décoration des salles de culte (tableaux, peintures murales, rideaux, vitraux, vases de fleurs) et le déroulement des rituels quotidiens et hebdomadaires ; cette première étape a duré un total de trois semaines.

Même si le regard précède l’observation (Beau, Weber, 2000), mon intention n’était pas de l’engager en tant qu’approche méthodologique, mais comme une première entrée dans la découverte du terrain. Il s’agissait d’une première approche guidée par ma curiosité. En effet, je portais un « regard curieux » sur les églises, à la manière suggérée par Peneff (2009), mais avec une volonté de m’introduire naturellement dans l’univers évangélique pentecôtiste local de façon spontanée, et de me laisser surprendre par cet univers religieux auquel je m’intéressais.

99  

Cette démarche personnelle est à différentier de l’« observation flottante » qui « (…) consiste à rester en toute circonstance vacant et disponible, à ne pas mobiliser l’attention sur un objet précis, mais à la laisser « flotter » afin que les informations la pénètrent sans filtre, sans a priori, jusqu’à ce que des points de repère, des convergences, apparaissent et que l’on parvienne alors à découvrir des règles sous-jacentes » (Pétonnet, 1982 : 39). Autrement dit, une démarche qui cherche à s’imprégner d’un lieu de manière non directive mais sur fond analytique, dont le but est d’identifier des conduites générales (Ibid., 1982).

Dans mon cas, et dans cette première phase de mon terrain, je ne cherchais pas à établir des caractéristiques, ni à identifier des convergences ou divergences existantes parmi les trois églises que j’ai fréquentées. Mon seul objectif était de m’inscrire dans une approche découverte de façon spontanée, sans interrogations ni recherche d’indices factuels. Par conséquent, cette démarche précédait de loin ma recherche ethnographique de terrain, laquelle a été amorcée lors de la quatrième semaine de mon séjour de terrain. À partir de ce moment-là, une approche méthodologique systématique d’observation, de description et d’analyse a été mise en place.

Cette première approche « découverte » du terrain m’a conduit, a posteriori, à une démarche réflexive sur mon propre parcours personnel, notamment sur ma formation académique. Celle-ci induit à réfléchir et à analyser l’univers social qui nous entoure de façon quasiment systématique (Olivier de Sardan, 2008). Or, être dans une posture de regard spontané, en dépit de ma condition d’ethnologue sur le terrain, s’est révélé un vrai défi parce qu’il fallait me détacher de mes nombreuses lectures portant sur mon objet d’étude, mais aussi écarter les idées débattues sur mon sujet de recherche lors des multiples rencontres académiques auxquelles j’ai participé. Non que mes lectures et mes échanges académiques aient représenté un frein à mon terrain, au contraire, cela a été essentiel à ma formation et à ma recherche. La difficulté ici réside dans la manière de prendre une position « neutre » voire « indifférente » vis-à-vis d’un espace social dont on a intégré des connaissances préalables.

Intégrer le milieu évangélique pentecôtiste à Recife de façon spontanée et naturelle relevait du défi de la distanciation d’avec mon objet d’étude. D’emblée, je me suis confrontée à la question de la distanciation sans pour autant y réfléchir à ce qu’elle pouvait représenter pour moi à ce moment-là. Dans ce début d’entrée sur le terrain, mes efforts se sont uniquement focalisés à avoir une posture de neutralité. Mais il en résulte que se soustraire à la tentation du regard analytique ne vas pas de soi. J’ai alors constaté combien il était difficile de me dégager de toute idée construite autour de mon objet d’étude, et ce constat était sans doute une raison pour que je m’en distancie.

100  

Finalement, je suis parvenue à me détacher de mes connaissances antérieures en m’assurant d’être dans les lieux de culte juste pour regarder, pour faire connaissance et pour apprendre de l’intérieur ce qui constituait l’évangélisme pentecôtiste dans chacune des trois églises que j’ai fréquentées. Cette démarche d’une observation de l’intérieur est la base même du travail ethnographique (Malinowski, 1989 ; Olivier de Sardan, 2008), pourtant, je ne l’ai pas appliqué en tant que méthode dans cette première phase, mais en tant qu’une prise de conscience de la distanciation et d’une volonté manifeste d’être dans la spontanéité.

Ce détachement a été indispensable dans mon parcours d’initiation au terrain, car il m’a conduit à adopter un regard optimal de l’univers multiple et complexe de l’évangélisme pentecôtiste. En adoptant cette posture, mes apprentissages sur les codes et les conduites des églises se sont déroulés dans la bienveillance, et sans aucun a priori. Embrasser cette attitude bienveillante m’a amenée vers des chemins inattendus et m’a servi de passerelle pour l’immersion systématique, laquelle a démarré quelques semaines après cette première phase de découverte.

Enfin, il me paraît important d’ajouter que suivre les activités de ces trois églises durant cette première étape s’est avéré une tâche exigeante. Les cultes et les prières de l’IURD et de l’IIGD duraient en moyenne une heure, chaque jour de la semaine, alors que ceux de l’AD, de deux à trois heures, trois fois par semaine. En conséquence, mes visites aux églises s’inscrivaient dans une cadence soutenue. Tous les jours de la semaine, je me suis rendue aux trois églises pour participer à leurs activités journalières et hebdomadaires à raison de trois à quatre heures de cultes par jour, parfois cinq heures et plus. Bien évidemment, le rythme dépendait des jours de la semaine comme des événements prévus dans les trois églises. Leur calendrier d’activités étant très dynamique, il fallait que je m’inscrive dans cette dynamique au risque d’une surcharge d’informations.

Ainsi, si le regard spontané m’a servi d’ouverture initiale, il a eu ses limites par rapport à l’avalanche d’informations et d’actions s’opérant dans ces trois lieux de culte. C’est pourquoi, durant ma quatrième semaine de séjour, j’ai entamé ma recherche ethnographique de terrain, avec une approche méthodologique l’encadrant. J’ai alors mobilisé une approche par immersion prolongée, laquelle s’est focalisée sur des faits précis susceptibles de mettre en avant l’évangélisme pentecôtiste dans la vie quotidienne des individus.

101  

Outline

Documents relatifs