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Chapitre  II   –  Lieux  d’enquête  :  Recife  et  sa  région  métropolitaine

1.   Recife  :  de  la  ville  d’hier  à  la  capitale  d’aujourd’hui

1.2.   Quelques  caractéristiques  de  la  métropole  recifense

Aujourd’hui, Recife est une métropole attractive et dynamique qui porte le titre de quatrième ville brésilienne au niveau national selon l’Indice de Développement Humain (IDH)62. Celui-ci étant un indicateur du Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD) qui vise à évaluer et à classer les villes selon trois critères : le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’éducation des enfants de 17 ans et plus.

Selon l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique (IBGE), elle est la première capitale nordestina en matière de richesse. Elle se situe également parmi les quinze premières métropoles brésiliennes possédant le meilleur PIB au niveau national63. Elle dispose d’un pôle économique important avec des industries, un grand port maritime, des centres commerciaux, dont le Shopping Center Recife – le plus grand centre commercial d’Amérique latine.

Son attractivité économique attire des individus provenant de l’intérieur des terres comme d’autres régions du Nord/Nordeste moins prospères. A ce titre, la ville de Recife s’inscrit, à l’image d’autres capitales brésiliennes, dans les mutations urbaines de la deuxième moitié du 20e siècle, lesquelles ont fait émerger les métropoles et les mégalopoles, qui ont induit une migration interne, principalement à partir des années 1980 (Brito, 2006).

La métropole recifense est entre autres caractérisée par sa dimension culturelle, laquelle trouve son expression majeure dans le carnaval et le religieux. Le premier est fait de couleurs, rythmes et traditions. Il rassemble chaque année des milliers de personnes, et est commémoré au mois de février ou au début mars en fonction du calendrier chrétien du carême avant Pâques. Des « blocos de rua64 », en passant par les orchestres de « frevo 65 », aux défilés des groupes

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Gentif de Recife.

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Source: Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística – IBGE, www.ibge.gov.br , consulté le 8 avril 2019.

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Ibid.

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Un rassemblement d’individus autour d’un défilé à travers les rues de la ville.

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Il s’agit à la fois d’un genre musical et d’une danse avec des tenues vestimentaires très colorées et des pas acrobatiques. Typique de la région de Pernambuco, le Frevo a été reconnu comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2012. Dans le centre historique de Recife, un musée lui est entièrement dédié.

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de « maracatu 66 » et de « caboclinho 67 », les attractions sont amplement diversifiées avec des

musiques, tenues vestimentaires et représentations qui révèlent la richesse de la production socioculturelle du peuple brésilien. Le rendez-vous incontournable des « carnavalescos68 » à Recife est sans doute le « Galo da Madrugada », littéralement « le coq de l’aube ». Selon le

Guiness Book, il s’agit du plus grand rassemblement festif de rue au monde. Il attire chaque

année plus de deux millions de personnes venues non seulement de tout le Brésil, mais également d’autres parties du monde.

Le religieux représente également une dimension importante dans la ville, avec sa diversité de lieux de cultes et de rituels (Aubrée, 1987 ; Bastide, 1995a ; Fernandes, 1938). Toutefois, cela est loin d’être une particularité locale mais plutôt un trait culturel appartenant à la société brésilienne, dans la mesure où le peuple brésilien est généralement attaché à la religion (Cascudo, 1974). Le religieux fait ainsi partie de leur quotidien, ceci étant visible notamment dans l’espace public (Birman, 2003 ; Contins et al., 2015 ; Oro et al., 2012). Vers la fin du 19e siècle, et surtout au début du 20e siècle, plusieurs confessions religieuses se sont établies dans le pays de manière pérenne, dont le catholicisme, le protestantisme, les cultes afro-descendants et entre autres l’évangélisme pentecôtiste. A Recife, comme dans sa région métropolitaine, tous ces cultes peuvent cohabiter dans un même espace géographique et localement situé, par exemple, au niveau d’un quartier ou d’une avenue69.

Cependant, la religion catholique reste dominante. Son héritage date de la période coloniale, soit du 16e siècle. Depuis l’arrivée des conquistadors portugais, plusieurs églises et couvents catholiques ont été bâtis à Recife. Ceux-ci portent le style baroque portugais (Bastide, 1995a ; Freyre, 1967). Lorsqu’on parcourt le centre-ville, il est possible de remarquer un nombre considérable d’églises catholiques, mais aussi des temples appartenant à d’autres confessions religieuses comme le protestantisme ou l’évangélisme pentecôtiste. Par exemple, quand Bastide a été à Salvador, la capitale de Bahia, il avait fait le même constat : « toutes les

rues qui partent de là…, conduisent à d’autres églises, à d’autres couvents, à d’innombrables chapelles, à l’image de Dieu qui se trouve à la fois au centre et à la périphérie, au milieu et de toutes parts » (Bastide, 1995a : 32). A Recife, l’omniprésence du religieux peut ainsi étonner

un visiteur non informé.

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C’est une danse ritualisée, issue des populations noires et de la période coloniale, qui rendait hommage au roi du Kongo. Également typique de la région de Pernambuco, cette danse est devenue une manifestation populaire. Elle a été intégrée aux festivités du carnaval.

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Danse folklorique indigène où les danseurs s’habillent avec des parures en plumes, portant des arcs, flèche et accessoires tels que colliers, bracelets. Cette danse est en rapport avec le culte de la Jurema, une pratique religieuse syncrétique qui mélange des éléments indigènes et afro-descendants (cf. Bastide, 1995a ; Fernandes, 1938).

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Les personnes qui célèbrent les fêtes de carnaval.

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Cf. Cet aspect est présenté plus en détail au Chapitre IV, notamment à travers des cartes ayant recensée le religieux dans trois espaces différents.

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Les églises catholiques organisent de nombreuses festivités dédiées aux saintes et saints patronymes aussi bien à Recife que dans l’ensemble des municipalités de l’État de Pernambuco. Chaque municipalité possède son saint patronyme. Certaines décrètent leur jour de fête férié et parfois elles organisent des commémorations à leur intention. A Recife, il y a la fête de Notre-Dame du Carmel, célébrée chaque 16 juillet, jour décrété férié car il s’agit de la sainte patronne de la ville. Il en est de même pour les célébrations de Notre Dame de la Conception, commémorée chaque 8 décembre, jour également férié.

D’après une information diffusée sur le site Internet de l’archidiocèse de Recife et d’Olinda70, l’image de Notre Dame de la Conception est venue de France par le biais de missionnaires vicentins de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. L’image est arrivée à Recife en 1904 et elle fut érigée au point culminant d’un quartier situé dans la zone nord-ouest de la capitale recifense. Durant la fête, des pèlerins se rendent dans ce lieu pour rendre hommage à la Vierge de la Conception. Il s’agit là d’un haut lieu de pèlerinage et de rassemblent festif autour du catholicisme.

Lorsque j’ai réalisé mon deuxième terrain, d’octobre 2015 à janvier 2016, je me suis rendue au pied de la statue de la Vierge de la Conception le 8 décembre 2015. Il était environ 9h du matin. J’étais étonnée de voir une foule qui occupait l’espace si tôt dans la journée. Les gens venaient déposer des fleurs, bougies et tissus au pied de la sainte pour lui témoigner leur gratitude ou lui adresser leur requête. Bon nombre de ces individus participaient aux messes se déroulant, environ toutes les deux heures, dans la basilique construite juste devant l’image. De même, tout un commerce d’objets religieux s’était développé pour approvisionner les croyants en bougies, chapelets et bracelets en tissu dans lesquels figuraient le nom de la Vierge ou son image.

Je me suis rendue à cette manifestation car elle a été mentionnée par certains pasteurs évangéliques, notamment ceux de l’IURD, comme une festivité profane. Des critiques virulentes étaient alors dressées durant les cultes envers les dévots catholiques. J’ai décidé d’observer l’événement en question pour tenter de saisir les arguments des pasteurs évangéliques de cette église. Ceux-ci considéraient qu’adorer des images de saints ou des statuettes relève du paganisme et de l’ignorance des Évangiles. Finalement, j’ai remarqué que la fête catholique dédiée à la Vierge était un événement culturel et religieux où les Évangiles ont également leur place, notamment lors des célébrations solennelles réalisées par les prêtres.

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Pourtant, les pasteurs de l’IURD insistaient sur le caractère païen des célébrations à la sainte par ignorance des enseignements bibliques. A ce titre, il faut savoir qu’auparavant, cette église a fait l’objet d’un scandale qui a choqué le pays. Un de ses pasteurs, Sérgio von Helde, a donné un coup de pied dans l’image de Nossa Senhora da Conceição Aparecida, en français Notre-Dame d’Aparecida, le 12 octobre 1995 (Mariano, 1999). Son geste a été retransmis en direct dans un programme évangélique de la chaîne télévisée de l’église. Or, il s’agissait de l’image de la patronne du Brésil et du jour de sa fête qui est un jour fériée reconnue par le gouvernement brésilien71, et avec le rassemblement festif catholique le plus important du Brésil. Le « chute na santa », littéralement « coup de pied dans la sainte », a été médiatisé par plusieurs chaînes télévisées nationales, principalement la Globo72, lesquelles diffusaient régulièrement des reportages accablants sur l’IURD, insistant sur la violence et le mépris de cette église envers les catholiques. Pour préserver son image, l’IURD s’est excusée pour cet épisode qu’elle a qualifié de déplacé et malheureux (Ibid., 1999).

Or, en décembre 2015, au moment des festivités de la vierge de la Conception à Recife, une avalanche de commentaires négatifs affluait parmi les discours des pasteurs durant les cultes de l’IURD, mais aussi dans ceux de son homologue et concurrente l’IIGD. Le positionnement des pasteurs de ces deux églises reflétait bien le mépris envers la dévotion catholique dans le pays, contribuant par ailleurs à la diabolisation confessionnelle de l’autre. Cette posture semble être récurrente chez certains groupes religieux qui veulent se démarquer des autres (Sundkler, 1988), dans la mesure où ils prônent leur doctrine comme étant la révélation de la vérité. Mais, en réalité, cette posture produit de l’intolérance religieuse.

Au Brésil, cette intolérance religieuse se développe dans un pays qui se veut ouvert à la diversité (Ortiz, 2012). Le gouvernement brésilien a été contraint de rétablir l’enseignement religieux à l’école pour sensibiliser les enfants et leurs familles sur l’intolérance religieuse (Cury, 2004). Par ailleurs, l’école brésilienne a dû réfléchir dans les enseignements d’histoire à la place accordée dans les programmes à certaines populations, en particulier les populations noires et indigènes, du fait que leurs pratiques socioreligieuses sont diabolisées ou présentées comme étant arriérées (Salles, Gentilini, 2018).

Quoi qu’il en soit, réinstaurer l’enseignement religieux dans les écoles brésiliennes fut un moyen pour lutter contre l’intolérance religieuse dans un pays où de nombreux groupes

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Site officiel du gouvernement brésilien où figure le décret cité http://www.planalto.gov.br/ccivil_03/leis/L6802.htm, consulté le 19 juillet 2019.

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La chaîne télévisée leader du pays appartenant au groupe Globo de communication est un empire médiatique brésilien et l’un des plus importants dans le monde, dont le fondateur était Roberto Marinho.

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religieux cohabitent et s’inscrivent dans le quotidien des individus, comme c’est le cas du catholicisme ou de l’évangélisme pentecôtiste (Cascudo, 1974 ; Fernandes, 1988, 1998 ; Sachs, 1988).

Les manifestations religieuses, en particulier celles des catholiques, sont très populaires au Brésil (Andrade, 2013 ; Boing, 2017 ; Fernandes, 1988). Accompagnées de messes, processions, veillées de prière et dévotions diverses, ces fêtes religieuses peuvent durer parfois plusieurs jours. A titre d’exemple, et toujours dans le cas de Recife, les célébrations de la Vierge de la Conception commencent dès le mois de novembre et s’étendent jusqu’à la première quinzaine du mois de décembre.

Ainsi, si la capitale recifense présente de nombreuses attractions, le religieux demeure sans doute celle qui occupe la place la plus importante dans la vie quotidienne de ses habitants. Diverses manifestations religieuses ont lieu dans la ville tout au long de l’année. Plus globalement, au Brésil, la religion est une expression culturelle par excellence, elle a imprégné les mœurs brésiliennes (Cascudo, 1974 ; Hoornaert, 1974). De plus, avec la croissance du nombre d’églises, notamment évangéliques pentecôtistes, le pays voit émerger des pratiques religieuses nouvelles qui ne font qu’enrichir et diversifier l’univers socioculturel brésilien.

1.3. L’avenue Cruz Cabugá : un aperçu très localisé de la diversité socioculturelle de

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