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Chapitre  II   –  Lieux  d’enquête  :  Recife  et  sa  région  métropolitaine

2.   La  Région  Métropolitaine  de  Recife  (RMR)  et  deux  de  ses  quartiers

2.1.   Nature  juridico-­‐politique  et  administrative  de  la  RMR

L’État de Pernambuco compte cent-quatre-vingt-cinq municipalités, dont sa capitale Recife. Celle-ci est la ville chef-lieu parmi l’ensemble des quatorze municipalités composant la région métropolitaine de Recife (RMR), laquelle représente la troisième région métropolitaine du pays en densité démographique, derrière São Paulo et Rio de Janeiro, et la cinquième en nombre d’habitants74.

La RMR est d’abord un modèle juridico-politico-administratif qui a été instituée au Brésil par la « Lei Complementar » fédérale numéro 14, le 8 juin 1973, pour répondre à l’expansion urbaine, et aux mutations qui en découle, depuis la deuxième moitié du 20e siècle (Fernandes, Araújo, 2015 ; Tomio, 2002). Ce modèle renvoie à l’extension de la métropole qui se déploie sur des espaces proches. Dans le cas de Recife, les quatorze municipalités les plus proches s’inscrivent dans la région métropolitaine.

La loi fédérale date de la période de la dictature, dont le président était alors Emílio Garrastazu Médici. A cette période, neuf régions métropolitaines ont été établies : São Paulo,

Belo Horizonte, Porto Alegre, Recife, Salvador, Curitiba, Belém et Fortaleza (Fernandes,

Araújo, 2015 : 302). Par la suite, d’autres ont émergées par le biais de lois complémentaires jusqu’à 1988, au moment où la Constitution Fédérale va octroyer la possibilité aux États brésiliens de délimiter et de formaliser leurs régions métropolitaines (Ibid., 2015).

A partir de 1988, les lois constitutionnelles ont connu des amendements visant à mettre à jour les directives concernant le fédéralisme et la décentralisation (Tomio, 2002). Depuis, le Brésil est devenu « un des pays les plus décentralisés dans la répartition des ressources fiscales

et dans la gestion du pouvoir politique » (Souza, 1996 : 103). Il convient à chaque État de gérer

son budget ainsi que ses dépenses, en particulier celles concernant les politiques publiques locales. Bien que la région métropolitaine émerge comme un acteur global, incluant les intérêts des municipalités qui la compose, il revient aux territorialités locales d’organiser leur gestion. Néanmoins, cela pose parfois un problème de gestion locale, notamment lorsque le territoire est de taille modeste. Dans ce cas, ses ressources peuvent s’avérer insuffisantes pour répondre aux besoins. Selon Souza (1995), cet aspect révèle les limites de la décentralisation, parce que les recettes produites par un territoire donné ne sont pas toujours adaptées aux besoins.

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En ce qui concerne Recife, l’article premier de la « Lei Complementar », numéro 10, du 6 janvier 1994 indique que : « La Région Métropolitaine de Recife est une unité

organisationnelle, géoéconomique, sociale et culturelle constituée par le groupement des

municipalités75 d’Abreu e Lima ; Cabo de Santo Agostinho ; Camaragibe ; Igarassú ; Ipojuca ;

Ilha de Itamaracá ; Itapissuma ; Jaboatão dos Guararapes ; Moreno ; Olinda ; Paulista ; Recife e São Lourenço da Mata, pour intégrer l’organisation, la planification et l’exécution de

fonctions publiques d’intérêt commun »76.

Ici, la région métropolitaine assure les fonctions publiques d’intérêt commun qui sont, entre autres, la « planification intégrée du développement économique et social,

l’assainissement de base, l’usage du sol métropolitain, les transports, la conservation et la protection de l’environnement » (Fernandes, Araújo, 2015 : 303). Ces fonctions publiques

d’intérêt commun sont liées à des politiques publiques que chaque municipalité a toute autonomie pour les appliquer. Autrement dit, ces attributions s’appliquent à l’ensemble de la RMR, mais chaque municipalité doit les exécuter de manière individuelle et en toute autonomie. Par conséquent, si d’un côté la RMR s’inscrit dans une cohérence de gestion territoriale commune, de l’autre elle bute sur les spécificités locales propres à chaque municipalité (Souza, 1995).

75 Au cours des deux dernières décennies, certaines municipalités proches de la RMR se sont développées sur le plan démographique et socioéconomique, c’est le cas de Goiana, située à 63.5 km de Recife. Vu son importance, le pouvoir législatif de l’État de Pernambuco a voté une loi pour intégrer cette municipalité à côté des quatorze autres formant la RMR. L’amendement a été annoncé dans la presse locale : https://folhape.com.br/politica/politica/blog-da-folha/2017/12/18/BLG,5077,7,509,POLITICA,2419-EM-PLENARIO-DEPUTADOS-APROVAM-INCLUSAO-GOIANA-RMR.aspx , consulté le 22 juillet 2019.

76 Traduction faite par l’auteure du texte original ci-contre : “A Região Metropolitana do Recife é a unidade organizacional, geoeconômica, social e cultural constituída pelo agrupamento dos municípios de Abreu e Lima; Cabo de Santo Agostinho; Camaragibe; Igarassu; Ipojuca; Ilha de Itamaracá; Itapissuma; Jaboatão dos Guararapes; Moreno; Olinda; Paulista; Recife e São Lourenço da Mata, para integrar a organização, o planejamento e a execução de funções públicas de interesse comum”. La référence de ce texte se trouve après la bibliographie générale dans la page “Autres sources”.

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Figure 10. Localisation générale du terrain. A droite le Brésil, au centre l’État de Pernambuco et à gauche Recife et sa région métropolitaine, et en rouge la localisation des lieux d’enquête.

Les cartes ci-dessus montrent à la fois la position géographique du Brésil, celle de l’État de Pernambuco et la localisation de la ville de Recife et celle de sa région métropolitaine avec trois points signalisés en rouges. Ceux-ci indiquent les lieux de l’enquête menée dans ce travail. Quatorze municipalités forment la région métropolitaine de Recife, elles se distribuent au Nord, au Sud et à l’Ouest de la ville, à Est se trouve la côte atlantique.

La municipalité constitue la plus petite unité territoriale administrative du pays étant dirigée par deux instances77. Il y a d’une part, le pouvoir exécutif, exercé par un maire, en portugais le « prefeito » et, d’autre part, le pouvoir législatif correspondant aux élus municipaux, soit les « vereadores ». La municipalité, l’Union et les États constituent la fédération brésilienne. La première occupe une position politico-administrative locale, le deuxième une position nationale et le troisième est régional. Concernant la première, selon sa structure géographique, et sa zone urbaine ou rurale, sa population peut varier de quelques milliers à des millions d’habitants.

Sur le plan politico-administratif, les municipalités doivent mettre en œuvre un ensemble de directives prévues dans la constitution, entre autres, l’application des législations locales et le complément des législations fédérales et d’État, pour instituer et collecter des impôts, gérer son territoire et les services d’intérêt local (transport collectif, promouvoir l’éducation, la santé et la protection du patrimoine historico-culturel local)78. Bien que la

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Selon l’amendement constitutionnel n° 99 du 14 décembre 2017, articles 29 à 31 concernant les municipalités. Sa référence se trouve dans la page « Autres sources », après la page des ouvrages évangéliques référencés dans ce travail.

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municipalité soit rattachée au système fédéral brésilien, elle ne représente qu’une unité locale. Elle doit donc composer avec ses propres ressources qui, dans certains cas, sont nettement insuffisantes pour répondre à l’ensemble de ses besoins de gestion publique municipale (Souza, 1996).

Par ailleurs, chaque municipalité est composée de nombreux « bairros », littéralement quartier, lesquels sont les bénéficiaires directs des politiques publiques établies par la municipalité à laquelle ils sont rattachés. Lorsque les pouvoirs locaux ne disposent pas assez de moyens, ce sont les quartiers qui en pâtissent d’abord. J’ai constaté sur mon terrain que certains sont plus pénalisés que d’autres en raison de leur statut et de leur localisation. A titre d’exemple, et d’après mes observations sur le terrain, plus un quartier est proche du centre-ville de sa municipalité, plus il va pouvoir disposer de l’ensemble des services publics proposés par son unité de rattachement. En revanche, plus un quartier s’en éloigne géographiquement, moins il dispose d’une offre satisfaisante des divers services municipaux, en particulier écoles et centres de santé de proximité.

L’aspect suivant a également été observé sur le terrain. En général, la plupart des quartiers brésiliens, y compris les plus aisés, ont des « secteurs » ou des « zones » internes où habitent une population vivant dans des agglomérats d’habitations informelles qui émergent de façon spontanée, et dont les conditions de vie sont particulièrement précaires (Guimarães, 2010). Ce type d’occupation de l’espace renvoie à la catégorie de « favela » et les personnes y résidant sont perçues comme étant des « favelados » (Valladares, 2006). J’ai eu l’occasion de voir ces « secteurs » ou « zones » dans les deux quartiers, au Loteamento Bonfim et à Aguazinha, où j’ai réalisé mon travail de terrain.

Après avoir énoncé cet ensemble d’éléments organisationnels et politiques de l’État brésilien, je propose désormais de les relier au religieux. L’implantation des églises évangéliques, tout comme leur développement et l’implication de leurs leaders en politique, ont une incidence directe sur les territorialités locales voire nationales. Par exemple, à Recife, des élus de confession évangélique, siégeant à la chambre des députés, ont voté une loi qui exonère les églises de la taxe relative au ramassage des ordures ménagères79.

Un représentant du Secrétariat de la gestion des finances de la mairie de cette ville, que j’ai eu l’occasion d’interviewer, considérait que si les églises ne contribuaient pas à cet impôt le service est amené à se détériorer : les églises sont de plus en plus nombreuses, elles font partie

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des unités urbaines qui produisent des déchets, d’autant plus qu’elles disposent d’une grande surface susceptible de générer parfois plus de déchets qu’une unité urbaine résidentielle. Il estimait que l’exonération de ces églises était injuste et forte en conséquence.

De fait, au Brésil, les prémices de la détaxation des lieux religieux remontent à la Constitution de 1891 (Baleeiro, 2012). A ce moment-là, la République brésilienne institue la liberté de culte. Cette loi va permettre à des groupes religieux secondaires par rapport au catholicisme dominant, notamment les protestants, d’exercer leur activité en toute liberté. Il faut savoir qu’au fur et à mesure que les régimes politiques se sont succédés dans l’histoire politique du Brésil, des constitutions ont été promulguées. Le pays en compte un total de neuf et la dernière date de 1988. Celle-ci établi, dans son article 150-VI que « … il est interdit à

l’Union, aux États, au District Fédéral et aux Municipalités d’imposer des taxes sur les temples de tout culte »80.

Depuis cet article constitutionnel, d’autres amendements ont été présentés par des élus au niveau national (Union) comme au niveau régional et local (États et Municipalités). Parfois ces amendements sont conçus par des élus de confession religieuse, notamment des hommes politiques évangéliques. Ceux-ci visent l’exonération de certains impôts relatifs à certaines activités des institutions religieuses auxquelles ils appartiennent eux-mêmes, et y occupent une fonction de pasteur ou de membre dirigeant (Oro et al., 2006).

En consultant les amendements à ce sujet81, j’ai constaté que parmi les activités visées par des politiques de détaxation se trouve l’importation de biens et produits, lesquels sont destinés à approvisionner des lieux de culte sur le territoire brésilien, et la défiscalisation des voitures de fonction mobilisées par des chefs de culte dans le cadre de leurs fonctions religieuses. Mieux encore, récemment, le congrès national a approuvé le prolongement de la détaxation sur la circulation de marchandises et services82, l’ICMS. C’est l’équivalent de la TVA européenne. Or, les temples font circuler des objets et marchandises dont ils sont parfois les producteurs (CD’s, DVD’s, livres, journaux).

Finalement, aux lois constitutionnelles qui favorisent la défiscalisation des lieux de culte, s’ajoutent des lois régionales et municipales. Comme me le déclarait mon interlocuteur gestionnaire à la mairie de Recife, ces exonérations d’impôt ont réel impact sur la politique

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Pour la version originale du texte voir : https://www.senado.leg.br/atividade/const/con1988/con1988_03.07.2019/art_150_.asp , consulté le 30 juillet 2019.

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Informations figurant dans le site du sénat brésilien : www.12senado.leg.br , consulté le 20 juillet 2019.

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Voici le lien vers un reportage à ce sujet : https://g1.globo.com/politica/noticia/2019/05/08/camara-aprova-projeto-que-prorroga-beneficios-fiscais-para-igrejas-e-instituicoes-beneficentes.ghtml , consulté le 30 juillet 2019.

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budgétaire de la ville tant le nombre d’églises sur le territoire sont nombreuses. Les institutions religieuses implantées au Brésil, qui sont aussi des unités urbaines, bénéficient d’avantages fiscaux du système fédéral brésilien.

Cette protection fiscale est défendue par certains leaders religieux qui la justifie du fait des nombreuses actions socioreligieuses qu’ils développent sur le plan social brésilien. J’aborderai d’ailleurs ce sujet au quatrième chapitre avec l’exemple de l’église Assembléia de

Deus à Recife et dans deux quartiers de sa région métropolitaine. Toutefois, cela demeure une

problématique dans la mesure où plusieurs dénominations religieuses se sont enrichies devenant de vrais empires comme, par exemple, l’IURD (Cortén, 1995 ; Cortén, Dozon, Oro, 2003 ; Mariano, 1999).

Les temples de l’URD figurent parmi les plus importants du pays en termes de capacité d’accueil et son leader, Edir Macedo, est considéré comme un des hommes les plus riches du Brésil. Pourtant, le système politique brésilien les protège fiscalement, ce qui déconcertant dans un pays où les territoires locaux peinent à gérer leurs subventions locales et vivent des réalités sociales fort différentes d’une municipalité à l’autre (Souza, 1996). Pour illustrer ces propos, il suit l’exemple des deux quartiers périurbains.

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