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Chapitre  III   –  Le  terrain  ethnographique  :  méthodes,  apprentissages  et  expériences

2.   Apprentissages,  rencontres  et  limites  du  terrain  ethnographique

2.2.   La  rencontre  avec  mes  interlocuteurs

En effet, le culte est un lieu privilégié pour observer le religieux en train de se faire et faire des rencontres (Fancello, 2008 ; Campos, Gusmão, 2013), mais j’ai constaté que les espaces se trouvant en dehors de ce dernier ne sont pas à négliger. Il s’agit notamment des rues du centre-ville, des quartiers, des maisons ainsi que des transports en commun. Au départ, ces espaces ne figuraient pas au centre de ma démarche, parce que, au début de celle-ci, je me suis concentrée sur ce qui se passait uniquement à l’intérieur des temples.

Pourtant, je circulais dans les mêmes espaces que les adhérents à l’évangélisme pentecôtiste, en particulier les quartiers et les transports en commun, mais aussi les petits

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commerces ambulants situés devant les temples étudiés. Il en résulte que ces espaces se situant en dehors du culte m’ont servi de terrain d’observation du quotidien des individus se rendant aux églises. Ils m’ont également permis de faire des rencontres informelles et spontanées avec ces derniers.

Chez les commerçants ambulants, j’ai pu notamment observer l’achat de bouteilles d’eau minérale, lesquelles étaient emmenées à l’IURD ou à l’IIGD afin d’être bénies lors les prières. Avec ces vendeurs informels, des conversations ont être engagées portant sur des sujets en rapport avec l’église.

Des dialogues s’installaient facilement entre les individus et à différents moments de la journée comme le soir, avant ou après le culte. De même, sur le trajet en bus vers les temples, j’ai pu remarquer que les adhérents discutaient entre eux sur des thèmes liés aux églises. Parfois, des groupes de jeunes, qui se dirigeaient à leur culte hebdomadaire, chantaient des chansons évangéliques le temps du voyage.

Chez les vendeurs ambulants, j’ai eu l’occasion d’entendre quelques conversations sur des sujets liés au temple. Ces moments s’inscrivent dans les nombreuses situations d’informalité m’ayant aidé à accéder à des informations fort intéressantes. C’est ce que suggèrent d’ailleurs Beaud et Weber (2010), lorsqu’ils soutiennent l’informalité de la recherche comme un instant privilégié dans lequel le chercheur peut avoir accès à des univers qui lui sont parfois dissimulés lors des rencontres formelles.

À travers ces temporalités, situées en dehors du rituel, j’ai réussi à faire des rencontres inattendues avec plusieurs adhérents. Il s’agissait d’individus, femmes et hommes, d’âges très variées, jeunes et adultes. Après avoir établi un contact, je cherchais à me rapprocher d’eux de manière spontanée. Ainsi, dans le commerce ambulant ou dans un trajet de bus, lorsque je rencontrais des adhérents, je saisissais cette occasion pour les saluer. En me rapprochant de ces individus, je cherchais à identifier surtout les personnes susceptibles d’accepter de collaborer à ma recherche.

Il m’a fallu un peu de temps pour me familiariser avec les adhérents et savoir vers qui je pouvais me diriger en toute confiance. Finalement, un total de six semaines a été nécessaire avant que je ne commence à interroger de manière formelle les personnes rencontrées. C’est un temps relativement long lorsqu’on ne dispose que d’un temps de séjour de quatre mois. En même temps, cela est utile si l’on cherche à établir des relations de confiance durables.

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C’est donc au bout de deux mois de terrain que j’ai enfin réussi à mener mes premiers entretiens approfondis auprès de mes interlocuteurs de référence. La plupart d’entre eux fréquentent les églises étudiées depuis des années, et certains sont engagés comme obreira et

obreiro, leader de groupe d’évangélisation ou pasteur.

En revanche, dans les quartiers périurbains, ma rencontre avec les adhérents à l’évangélisme pentecôtiste s’est déroulée par l’intermédiaire de personnes qui m’ont hébergée. Celles-ci m’ont présenté un voisin, un ami ou un proche fréquentant telle ou telle église dans leur quartier. Progressivement, tout un réseau de contacts s’est mis en place à travers la technique du bouche à l’oreille. Les personnes avec lesquelles j’étais en contact direct me guidaient vers d’autres personnes qu’elles connaissaient.

Au fil de mes rencontres dans les deux quartiers, j’ai fini par me constituer un petit réseau de connaissances dès la quatrième semaine de mon séjour. Pouvoir bénéficier de l’aide d’habitants qui m’ont dirigé vers des personnes de leur propre cercle de connaissances a été un atout. Non seulement j’étais accueillie et hébergée au Loteamento Bonfim et à Aguazinha, mais aussi j’ai pu compter avec le soutien de ceux qui m’ont fait rencontrer des personnes en mesure de collaborer à ma recherche.

Ma démarche de rencontres spontanées, de suivi dans les espaces de circulation des adhérents aux temples a pris plus de temps, environ six semaines, du fait que je n’ai pas bénéficié d’intermédiaires. Les rencontres se sont principalement déroulées par coïncidence et en fonction des circonstances. Alors que dans les quartiers, une fois mon réseau de connaissances établi, j’ai démarré ma recherche en toute autonomie, mais comptant toujours sur l’appui de personnes qui m’hébergeaient dans les deux lieux, dont certains m’ont introduite dans leur église de quartier.

Au début, quand je devrais me rendre dans les églises de quartier, je cherchais à être accompagnée par un membre de la congrégation. En procédant ainsi, la prise de contact avec d’autres personnes appartenant au lieu était plus facile. Dès que je me suis sentie à l’aise dans cet environnement, je me présentais seule.

J’ai remarqué que les églises de quartier forment généralement une communauté très soudée, où les uns et l’autres se connaissent bien et parfois depuis des années. Les membres résident le plus souvent dans l’espace où leur temple est situé, voire dans la même rue. Ces individus se côtoyant au quotidien, ils sont donc au courant à la fois de ce qui se passe au sein de leur communauté religieuse et dans leur quartier.

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Un nouvel arrivant, comme c’était mon cas, est tout de suite repéré. En me faisant accompagner par un membre, cela permettait de rassurer tout le monde. Progressivement, je suis parvenue à réaliser de nombreux entretiens au sein de douze familles qui résidaient dans les deux quartiers étudiés. Certaines fréquentaient leur église de proximité, d’autres les églises-mère de la Cruz Cabugá. Elles m’ont ouvert la porte de leur maison en toute confiance. Je les ai fréquentées durant toute la durée de mon terrain et nous avons noué une relation de proximité.

J’ai eu la possibilité de participer à un certain nombre d’activités de leur vie quotidienne, ce qui m’a été très utile pour pouvoir observer et interroger leur pratique religieuse dans le quotidien. Parmi les familles étudiées, soit la totalité de leurs membres étaient des convertis, soit une partie d’entre eux. Dans ce dernier cas, il s’agissait souvent des parents. Ils étaient étonnés de mon enquête puisque jamais personne ne s’était intéressée à leur église de quartier dans le cadre d’un travail académique. Cela les rendait en quelque sorte fiers de pouvoir collaborer pour la première fois à une recherche universitaire. Quant à moi, je me sentais d’autant plus responsable de mes actions sur le terrain, car je savais que le moindre faux pas pouvait très vite jouer en ma défaveur.

La crainte qui m’habitait à certains moments n’était pas sans fondement. Le mouvement évangélique pentecôtiste brésilien étant fragmentée et hétérogène (Mariano, 1999), les adhérents peuvent entrer facilement en désaccord entre eux dans la mesure où chacun cherche à défendre son camp et, en conséquence, sa doctrine. Par exemple, j’ai remarqué que l’IURD et l’IIGD sont souvent discréditées par les adhérents de l’AD à cause leur prières thématiques et des dons d’argents. À l’inverse, les adhérents des deux premières églises (je précise qu’il s’agit de mes interlocuteurs de référence), estiment l’AD assez rigide. Or, sur le terrain, je côtoyais des personnes des trois champs religieux, mais aussi des personnes d’autres confessions, notamment celles en rapport avec les cultes afro-descendants, lesquels sont discriminées (Caputo, 2012) voire diabolisées, notamment par les évangéliques pentecôtistes (Almeida, 2006). Par conséquent, il fallait que je sois vigilante quant aux sujets de conversation afin de maîtriser mes rapports avec les uns et les autres pour éviter des tensions engendrées par des positionnements d’appartenance religieuse revendiquée.

De même, il fallait que je surveille mes déplacements et mes rencontres pour ne pas mélanger les univers socioreligieux auxquels j’accédais. Sortant de chez un adhérent à l’évangélisme pentecôtiste, je me défendais d’aller chez un candobleciste115. À l’inverse, après

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une visite d’un terreiro116, je ne me rendais pas chez un adhérent à l’évangélisme pentecôtiste. Je défendais ce positionnement personnel pour délimiter les différents espaces dans lesquels je circulais, mais aussi par principe de respect à l’égard d’un interlocuteur qui m’avait accueillie chez lui, m’avait non seulement introduit dans son réseau de connaissances mais aussi dans son intimité, m’accordant par ailleurs de son temps.

En conséquence, j’organisais mes rencontres en fonction des appartenances des uns et des autres. Un jour était dédié aux assembléianos117, un autre aux iurdianos118, puis un autre aux adhérents de l’église de la Graça (IIGD). Mais, certains jours je rencontrais le matin un

iurdiano au Loteamento Bonfim et, l’après-midi, un assembléiano à Aguazinha, ou vice-versa.

Je devais aussi m’adapter aux disponibilités des uns et des autres. De même, je réservais des jours pour visiter des lieux de culte d’autres confessions comme le candomblé.

Enfin, un autre aspect a marqué quelques-unes de mes rencontres avec les adhérents à l’évangélisme pentecôtiste : l’étonnement. La situation suivante m’a par exemple profondément marquée. Un jour, le culte de l’IURD, à la Cruz Cabugá, s’est déroulé dans une salle en parallèle à la salle principale qui était en travaux ce jour-là. Arrivée avec cinq minutes de retard, j’avais pris place sur les derniers bancs du fond, ce qui me convenait tout à fait me permettant une vision élargie de l’ensemble du lieu. C’était un emplacement d’autant plus intéressant qu’il m’aidait à percevoir globalement cette salle d’appoint située au deuxième étage du bâtiment.

À un moment du rituel, juste après une prière, le pasteur avait distribué quelques bibles en choisissant des personnes au hasard. Il faut savoir que lorsque le culte touche à sa fin, la salle se vide. J’ai alors fait exprès de prendre mon temps avant de me lever pour m’en aller. C’est là qu’un monsieur âgé d’une cinquantaine d’années s’approche de moi, et me donne la bible que le pasteur lui avait offerte. Je lui ai demandé pourquoi il m’avait choisie parmi l’ensemble de personnes présentes dans la salle. Il m’a répondu que Dieu avait touché dans son cœur pour que je puisse recevoir ce cadeau. Il a jouté qu’il était convaincu que j’allais en faire un bon usage. Il se trouve que j’étais sur le point d’acheter une bible pour la consulter dans le cadre de mon travail, son cadeau était donc bienvenu.

Ce type de rencontre inespérée faisaient naître chez moi des sensations assez troublantes. Si j’avais été l’une des leurs j’aurais pu voir là un signe, peut-être même une sorte d’appel à la conversion. C’est d’ailleurs ce que m’a suggéré une adhérente, lorsqu’elle m’a

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Lieu où se déroule le culte afro-descendant, Ibid. (1958) 2000.

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Qui appartient à l’Assembléia de Deus.

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regardé avec la bible à la main et que je lui ai raconté l’épisode. Mais, ma position d’immersion, à la fois proche et distanciée, ne laissait pas la place à ce type de raisonnement parce que je savais exactement pourquoi j’étais là (Augé, 2006 ; Olivier de Sardan, 2008).

Pourtant, cela n’a pas empêché que je me sois sentie à plusieurs reprises touchée par certains gestes et attitudes venant de quelques adhérents de ces églises. Il s’agit là du rapport subjectif que le chercheur peut nouer avec son terrain, et en particulier avec ses enquêtés (Fancello, 2008, Ghasarian, 2002). Dans les églises, les personnes que j’ai rencontrées tissaient parfois des rapports de manière volontaire et spontanée, avec une bienveillance dans la façon de partager leur univers évangélique pentecôtiste.

De mon expérience de terrain, et à de nombreuses reprises, je n’ai pas eu le sentiment de percevoir certaines actions comme émanant du prosélytisme. Celui-ci me semble une action de nature réfléchie, alors qu’un geste ou une attitude isolée peut révéler juste une volonté de partager ou de faire communion avec l’autre de manière spontanée. Mais, il s’agit là d’une question à étudier avec plus de minutie pour proposer une réflexion plus approfondie des différences entre l’action spontanée d’un converti et son action prosélyte.

Pour le reste, il en résulte que les rencontres avec les adhérents au mouvement évangélique pentecôtiste se déroulant dans des multiples lieux et selon les différentes situations ont été plutôt bien réussies. De même, mon intégration en milieu évangélique pentecôtiste s’est faite sans beaucoup de difficultés, excepté dans certains cas que j’aborderai au point suivant.

Pour conclure, je dirai que de nombreuses rencontres m’ont permis d’observer et d’appréhender la manière dont ce mouvement s’est ancré dans le quotidien des individus interrogés. Ce constat n’émane pas seulement de l’offre diversifiée d’églises évangéliques installées ici et là, mais surtout des actions individuelles et collectives lui étant rattachées et s’exprimant dans la vie de tous les jours.

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