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Chapitre  II   –  Lieux  d’enquête  :  Recife  et  sa  région  métropolitaine

2.   La  Région  Métropolitaine  de  Recife  (RMR)  et  deux  de  ses  quartiers

2.2.   Le  quartier  Loteamento  Bonfim

Situé à 26 km de Recife, le Bonfim est divisé en trois secteurs (Bonfim I, II et III), dont un est semi-rural. Sa population globale est estimée à environ dix mille habitants, à laquelle s’ajoute approximativement deux mille habitants qui résident dans le secteur semi-rural83. Il fait partie de la municipalité d’Igarassú, région métropolitaine au nord de Recife. Celle-ci est composée de trente-huit quartiers et trois districts dont le nombre d’habitants, d’après le dernier recensement du IBGE de 201084, dépasse les cent mille.

Au début du 20e siècle, le Loteamento Bonfim était une zone massivement rurale85. Son nom dérive d’ailleurs d’une « fazenda », une ferme en français, qui s’appelait Bonfim en hommage au saint protecteur de ce lieu. Son propriétaire y fit ériger une chapelle à l’intention

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Information recueillie auprès de l’unité de santé locale qui recense tous les ans le nombre d’habitants du quartier, incluant ceux de la zone semi-rurale. La mairie ne disposait pas de données actualisées sur le nombre d’habitants du Loteamento Bonfim, mais plutôt de l’ensemble d’habitants de la municipalité d’Igarassú.

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Source IBGE, Institut Brésilien de Géographie et Statistique, https://cidades.ibge.gov.br/brasil/pe/igarassu/panorama , consulté le 3 mai 2019.

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Information obtenue lors d’un entretien avec un historien, Guillerme Jorge Paes Barrêto Neto, lequel est par ailleurs le responsable du musée historique d’Igarassú.

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de ce dernier, laquelle est devenue le tout premier lieu de culte de cette localité. Vers les années 1950, la fazenda a été vendue via des lots de terre. Les employés agricoles y travaillant ont été les premiers à en acheter devenant ainsi propriétaires. Au fur et à mesure que les terrains se vendaient, des maisons commencèrent à se construire engendrant ainsi l’amorce du processus d’urbanisation du futur quartier Bonfim. Celui-ci fut enregistré dans les années 1960 par le service urbanistique municipal de la mairie d’Igarassú86.

Deux spécificités caractérisent l’histoire de ce quartier. La première concerne son nom, lequel est en rapport à la fois avec l’acquisition des lots de terre et avec la chapelle du saint catholique Notre Seigneur du Bonfim. Le lien entre ces deux éléments est à l’origine du nom « Loteamento Bonfim ». Cette appellation est surtout reconnue par les primo-résidants qui s’y sont installés dès le début de leur processus d’urbanisation. Or, à la mairie d’Igarassú, le quartier a été enregistré officiellement comme Bonfim. Bien que cette dernière reconnaisse que ce sont les lotissements qui ont défini ce lieu, elle n’a pas pris en considération cet aspect lorsqu’elle a officialisé le nom du quartier demeuré uniquement Bonfim.

Pour la gestion municipale, le démembrement de la zone rurale s’inscrit dans un processus relativement long qui s’est déroulé sur quelques décennies. Ce n’est que beaucoup plus tard, vers la deuxième moitié du 20e siècle, que le service de gestion urbaine va s’occuper de l’enregistrement des maisons comme des rues ayant façonné le quartier, soit au moment où il est devenu un espace urbain bien établi. Aujourd’hui, les deux noms, Loteamento Bonfim et

Bonfim, figurent dans le langage local de la population y résidant. C’est pourquoi je mobiliserai

ces deux appellations dans ce travail.

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Figure 11. Carte officielle du quartier Bonfim.Il faut noter une erreur d’orthographe sur le nom du quartier. Actualisée en 2000, la carte indique en jaune la division du quartier en trois parties : au centre, le Loteamento Bonfim I, à droite, le Loteamento Bonfim II et, à gauche, le Loteamento Bonfim III. Ce dernier n’est pas encore officiellement reconnu par la mairie, parce qu’il s’agit d’un secteur semi-rural, mais son processus d’urbanisation est en cours. En dépit de cette division interne, le quartier a été enregistré uniquement comme Bonfim. Source de la carte : service de gestion urbaine de la mairie d’Igarassú.

La deuxième spécificité du Bonfim a trait au religieux. La chapelle ayant été construite dans la « fazenda » illustre la prééminence du catholicisme dans la région. Il est à noter que cette confession est historiquement la religion dominante au Brésil (Hoornaert, 1974), et dans la municipalité d’Igarassú elle occupe une place privilégiée ; après Recife et Olinda, Igarassú a été un fief du pouvoir religieux catholique durant l’époque coloniale.

Des églises et couvents y ont été érigés dès le 16e siècle. A titre d’exemple, l’église des Saints Cosme et Damião y a été bâtie en 1535. Elle est considérée comme la plus ancienne du pays. A cause de leur importance historique, dans les années 1950, les églises et couvents catholiques de cette municipalité ont été classées par l’Institut du Patrimoine Historique et Artistique National (IPHAN) (Neto, 2014). Ce dernier possède d’ailleurs une antenne d’activités dans la ville, laquelle participe à la promotion et à la préservation du patrimoine historique local, en particulier en rapport avec le religieux.

Dans le courant du 20e siècle, cette prééminence catholique a été bouleversée par les mutations se déroulant dans la sphère religieuse brésilienne. Pendant cette période, de nouveaux

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groupes ont émergé parmi lesquels les évangéliques pentecôtistes qui apparaissent désormais comme la deuxième confession religieuse du pays après les catholiques (Teixeira, Menezes, 2013). A une échelle locale, c’est-à-dire au niveau du quartier Bonfim, lequel appartient à la municipalité historique d’Igarassú, les premières églises évangéliques, notamment pentecôtistes, émergent dès les années 1960. Une période qui correspond au processus d’urbanisation du quartier et qui montre la spécificité urbaine de ce mouvement religieux (Rolim, 1985 ; Willems, 1967).

A ce propos, j’ai interrogé le leader-président de l’association de quartier Bonfim I et II. Sa famille se trouve parmi les primo-résidants de ce lieu. Son père avait acheté une parcelle de terre et y fit construire une maison pour la famille. Il y a grandi avec les siens. Plus tard, à l’âge adulte, il s’est engagé localement auprès des habitants devenant leur représentant associatif, ce qui fait de lui une référence locale. Cet individu m’a affirmé qu’il est le témoin direct des transformations spatiales subies par son quartier qui, selon lui, a atteint un niveau élevé d’urbanisation. Il m’a expliqué que, dès les prémices du Bonfim, les évangéliques de l’Assembléia de Deus étaient présents et menaient un travail d’évangélisation en faisant du porte-à-porte. Lorsqu’ils ont commencé à réunir des groupes de personnes adhérant à leur doctrine, ils ont pris l’initiative de développer leur église locale, notamment dans le courant des années 1970, et davantage dans les décennies suivantes.

D’après ce leader associatif, les personnes résidant dans cette localité étaient majoritairement de confession catholique. A mesure que l’évangélisme assembléiano87 gagnait du terrain, le nombre d’adhérents à cette nouvelle doctrine augmentait. C’est pourquoi des églises commencèrent alors à se mettre en place pour regrouper les petits groupes d’évangéliques formés ici et là dans ce quartier.

J’ai croisé ces informations recueillies auprès du leader associatif avec celles obtenues via un évangélisateur membre dirigeant à l’AD. Ce dernier avait participé dans le travail d’évangélisation de porte-à-porte avant l’implantation de l’église. Il a aujourd’hui plus de soixante-dix ans, et est devenu le « presbítero88 », presbytre, d’une AD située à Rubina, un quartier voisin au Loteamento Bonfim. Cet évangélisateur m’a confirmé que le catholicisme était la confession dominante chez le peu d’habitants qui étaient installés à l’époque au Bonfim. Certains fréquentaient la chapelle locale et participaient aux célébrations festives de ce lieu de

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Qui appartient à l’Assembléia de Deus.

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Il s’agit là d’une fonction de la hiérarchie de l’église Assembléia de Deus dont le régime juridico-politique s’appuie sur le congrégationalisme et sur le presbytérianisme. Ce dernier modèle étant formé par une assemblée d’anciens, ou d’aînés (Roque, 2018). A l’AD, le « presbítero » est le troisième poste le plus élevé après le pasteur, le premier, et celui de l’évangéliste qui est le deuxième. Je reviendrai sur la classification hiérarchique de cette église au quatrième chapitre.

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culte, principalement la fête de Notre Seigneur du Bonfim. Progressivement, le travail d’évangélisation auquel il s’est consacré a porté ses fruits. Puisqu’un certain nombre de personnes ont été réunies autour des Évangiles et à différents endroits. Ces groupes ont par ailleurs constitué des groupes de prière réguliers. C’est pourquoi, d’après cet évangélisateur, l’initiative d’édifier une église de l’AD localement s’est imposée comme une évidence.

Il s’agissait là du début d’un long chemin parcouru par les évangélisateurs de l’Assembléia de Deus dans cette localité, lequel a ouvert la possibilité à d’autres églises évangéliques de s’y implanter plus tard. Je développerai ces éléments au quatrième chapitre, lorsque je traiterai de l’implantation des églises de l’AD en contexte local.

Il faut aussi souligner la spécificité des situations des habitants qui y vivent. En premier lieu, il y a la question du déplacement. Celui-ci est un sujet récurrent dans les conversations quotidiennes, notamment dans celles des travailleurs qui dépendent du service de transport collectif public. Le quartier compte une ligne de bus qui assure la liaison du Bonfim avec un terminus d’échange situé à près de 10km de là, dans la municipalité de Paulista. Dans ce terminus d’échanges, les usagers disposent de différentes connexions vers plusieurs destinations de la région métropolitaine, y compris Recife. Cela veut dire qu’il n’y a pas de ligne de bus directe reliant le quartier à la capitale, mais une liaison facilitée par un système d’échanges.

Pourtant, cette ligne de bus qui circule au Bonfim ne répond pas aux attentes de la population locale en raison de sa fréquence réduite, avec un véhicule tous les trente minutes. Il suffit qu’un bus soit en panne pour que les usagers locaux soient contraints à marcher environ un kilomètre et demi pour rejoindre une voie centrale où transitent d’autres lignes. Ce type de contraintes avive assez souvent l’exaspération des habitants qui manifestent régulièrement leur colère contre le système de transport public dont ils dépendent pour se rendre à leur travail quotidiennement.

De fait, la question des transports en commun est une vraie problématique pour les habitants du Bonfim. Au cours de mes séjours dans le quartier, j’étais moi-même confrontée à la question du déplacement. À plusieurs reprises, j’ai dû effectuer ce parcours d’un kilomètre et demi pour rejoindre une autre ligne de bus pouvant m’amener à Recife. Cela m’a permis de m’approcher d’autres usagers, habitants du quartier, avec lesquels j’ai eu l’occasion de discuter sur la médiocrité du service de transport collectif local. En réalité, ces discussions m’ont introduite dans un réseau de voisinage, dont certains membres fréquentaient l’église Assembléia

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Me déplacer à pied pour rejoindre d’autres lignes sur la grande voie située à un kilomètre et demi de là m’a permis d’arpenter les rues du quartier, de connaître sa morphologie ainsi que ses installations résidentielles et institutionnelles. Cela a constitué une manière de me familiariser avec les rues, les habitations et les institutions installées du quartier. Cet aperçu global m’a conduit à réaliser un travail de recensement local des institutions religieuses implantées, dont le résultat figure au quatrième chapitre.

À travers ce recensement, j’ai pu identifier et m’approcher de certains acteurs locaux, dont l’unité de santé où j’ai obtenu des renseignements fort pertinents pour ma recherche, principalement en ce qui concerne le profil des familles résidant dans le quartier. J’ai recueilli surtout des informations de type sociodémographiques susceptibles de dresser un tableau social général de la population locale.

Il en résulte qu’une majorité des habitants du Bonfim ont un niveau de vie modeste. Si certaines familles peuvent être classées dans la catégorie « classe moyenne basse », une bonne partie constitue une masse de travailleurs modestes, parmi lesquels se trouvent des employées, ouvriers, agriculteurs, professionnels autonomes et travailleurs informels. Les personnes sans activité y sont nombreuses, les plus touchées étant principalement les jeunes et les personnes de plus de cinquante ans.

Le profil sociodémographique de la population locale indique une prédominance d’individus relativement jeunes, dont la tranche d’âge se situe entre 20 et 40 ans89. Les foyers comptent en moyenne six personnes. La quantité de familles recomposées et monoparentales est en progression. Parfois les familles monoparentales possèdent plus de trois enfants et elles sont les plus touchées par la précarité, le chômage et des maladies infectieuses et psychiques.

D’après l’unité de santé locale, certains groupes d’individus, principalement les plus précaires, vivent dans des conditions de vie proches de la survie. Dans ce cas, ce sont les enfants et les adolescents qui en pâtissent. La dureté de leur vie les amène parfois vers le monde de la criminalité, notamment le trafic de drogue, qui guette souvent les plus démunis.

À ce propos, le quartier Bonfim a été autrefois le théâtre de nombreux épisodes de violence urbaine en rapport avec le trafic de drogues, la prostitution de mineurs et les vols à main armée. C’est ainsi que le leader associatif m’a expliqué qu’il s’est investi auprès de la municipalité d’Igarassú pour qu’une police de proximité soit installée dans le quartier. Une

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action qu’il a obtenue après maintes pétitions et négociations avec le service de gestion municipal chargé de la sécurité.

Il faut savoir qu’Igarassú se trouve parmi les municipalités les plus violentes de la région métropolitaine nord. Plusieurs de ses quartiers sont classés comme très dangereux, le

Bonfim est désormais une exception. D’après des données recueillies auprès du Secrétariat de

Défense Sociale – SDS90, le nombre d’agressions enregistrées par le service de police d’Igarassú, incluant des vols à main armée, homicides, tentatives de meurtre et endommagements corporels, s’est élevé à près de mille et deux cents en 2015. À ce chiffre viennent s’ajouter d’autres délits comme les agressions sur mineur, les violences conjugales et domestiques et le trafic de drogues qui ont totalisé plus de cinq cents cas recensés.

Depuis que la police de proximité fait la ronde dans le quartier Bonfim, les incidents y ont considérablement diminué. Cependant, les conditions de vie des habitants ne sont pas toujours faciles. En réalité, elles reflètent un enkystement profond représentant des problématiques socioéconomiques et sociopolitiques des quartiers périurbains dans tout le Brésil (Théry, 2017). Par exemple, le quartier qui suit s’inscrit, lui aussi, dans un contexte social qui témoigne des fragilités sociales des populations périurbaines de la région métropolitaine de Recife.

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