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Chapitre  I   –  Sociohistoire  de  l’évangélisme  pentecôtiste  au  Brésil  et  à  Recife

4.   Facteurs  endogènes  ayant  contribué  au  développement  du  mouvement

4.2.   Un  développement  accru  du  milieu  urbain

C’est pourquoi, d’après ces auteurs, ce nouveau modèle culturel trouvera une résonnance particulière auprès des plus démunis, mais aussi auprès des individus déçus d’un catholicisme « controversé et affaibli » (Willems, 1967). Mais, ce nouvel évangélisme n’intégrait pas que les « pauvres » et « marginalisés », puisque certaines églises comptaient des individus issus d’un milieu plutôt favorisé (Ibid., 1967).

Toutefois, plusieurs auteurs insistent sur le fait que l’adhésion massive à ce mouvement semble venir des populations les moins favorisées (Campos, 1997 ; Chesnut, 1997 ; Cortén, 1995, 1999 ; Freston, 1993 ; Mariano, 1999 ; Pierucci, Prandi, 1995 ; Rolim, 1985). Les politiques développementalistes depuis le début du 20e siècle ont surtout bénéficié aux classes privilégiées ; les pauvres ont été plutôt délaissés par l’État, d’où leur adhésion à une doctrine susceptible de leur offrir du réconfort et l’espoir d’une vie meilleure (Chesnut, 1997 ; Cortén, 1995 ; Pierucci, Prandi, 1995 ; Willems, 1967).

4.2. Un développement accru du milieu urbain

Au cours des dernières décennies et jusqu’aux années 2000, les recherches sur l’évangélisme pentecôtiste se sont intensifiées. Elles ont cherché à appréhender ce mouvement comme un phénomène désormais ancré dans le paysage urbain national (César, 1974 ; Fernandes et al., 1998 ; Fry, 1978 ; Jacob et al., 2006). Ces études ont été menées dans diverses capitales brésiliennes de différentes régions, y compris la région Nordeste (Jacob et al., 2006).

Le Nordeste brésilien a connu une expansion rapide du mouvement, en particulier à partir des années 2000, et principalement à l’intérieur des grands centres urbains. C’est le cas de la ville de Recife. En 2000, cette ville était la troisième capitale brésilienne en nombre d’évangéliques, juste après Vitória (Sud-Est) et Manaus (Nord) (Ibid., 2006). C’est notamment dans sa zone périphérique métropolitaine que se concentre la croissance du mouvement. Les zones périurbaines brésiliennes sont souvent évoquées comme des endroits privilégiés d’actions évangélisatrices (Almeida, 2004 ; Chesnut, 1997 ; Willems, 1967).

L’enquête menée par Jacob et al. (2006) a également révélé le nombre d’adhérents à l’évangélisme pentecôtiste à Recife. Pendant les années 2000, il a été recensé 150 000 fidèles dans cette ville, alors que dans sa région métropolitaine31 ce nombre s’est élevé à 290 000 fidèles. Ces chiffres représentaient 10% des évangéliques adhérant à l’évangélisme pentecôtiste pour la capitale et 16% pour le reste des municipalités de la région métropolitaine.

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Les termes ville, capitale, région métropolitaine et « bairros », littéralement quartiers, font partie de la configuration spatiale et politico-administrative territoriale brésilienne, ils seront présentés et discutés au chapitre suivant.

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Au regard de ces résultats, force est de constater qu’il y a eu une expansion du mouvement plus accentuée dans les zones périphériques urbaines qu’à Recife (Jacob et al., 2006). D’autres travaux pionniers ont également mis en relief cette même caractéristique (Souza, 1969 ; Willems, 1967). Il convient d’interroger pourquoi un tel accroissement d’églises évangéliques pentecôtistes dans les zones urbaines, et plus particulièrement dans les zones urbaines périphériques ? Plusieurs travaux ont dressé des portraits de convertis à l’évangélisme pentecôtiste en milieu urbain en prenant en compte leur origine socioéconomique (César, 1974 ; Chesnut, 1997 ; Fry, 1978 ; Pierucci, Prandi, 1996 ; Rolim, 1995 ; Willems, 1967). Ces convertis incarnent, d’après ces études, le visage de la précarité voire de la pauvreté sociale dans l’espace urbain brésilien.

Ne trouvant pas leur place au sein d’une société moderne et hiérarchique, ces individus seraient en manque de repère et donc dans une situation d’« anomie sociale » (Durkheim, 2004). Dans ce contexte, l’évangélisme pentecôtiste émergerait comme un moyen efficace de lutter contre les infortunes de la vie, mais aussi comme un refuge pour la détresse humaine et sociale (Chesnut 1997 ; Cortén, 1995 ; Mariano, 1999 ; Pierucci, Prandi, 1996).

Ici, il s’agit de comprendre le lien entre évangélisme pentecôtiste et milieu urbain. Pour y parvenir, je propose d’abord un rapide détour autour de quelques mutations subies par la société brésilienne contemporaine. Celle-ci a connu des transformations spatiales et sociales considérables au début du 20e siècle, et davantage dans sa deuxième moitié. Les grandes villes se sont transformées en métropoles, et des mégalopoles ont été engendrées, telles que São Paulo et Rio de Janeiro (Brito, 2006). Désormais, plus de 80% de la population brésilienne, soit plus de cent soixante millions d’individus, habite dans des zones urbaines. Le taux d’urbanisation dans le pays a atteint 90%32.

L’apparition des métropoles et des mégalopoles a donné lieu à une migration interne au début du 20e siècle. Nombre d’individus ont laissé derrière eux leur petite ville à l’intérieur des terres pour aller s’installer dans les grands centres urbains (Brito, 2006 ; Vita, 1991). Il est possible d’imaginer que ces migrants, provenant du milieu rural et semi-rural, songeaient à des nouvelles opportunités dans les grandes villes. Or, progressivement, ils ont formé la grande masse de travailleurs modeste du pays et de la classe ouvrière brésilienne (Ribeiro, 1978 ; Vita, 1991). Leurs moyens socioéconomiques étant limités, ils découvrent très vite que la métropole

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se fonde sur une hiérarchie socioéconomique basée sur le pouvoir, le revenu et la classe sociale (Ribeiro, 1978 ; 1995).

Peu à peu, ces citadins urbains, notamment ceux issus de la migration interne, dessinent le visage de la précarité voire de la pauvreté de la moderne société brésilienne de classe, au sein de laquelle la couleur de la peau est par ailleurs un facteur de déclassement socioéconomique (Bastide, Fernandes, 1971 ; Fernandes, 2008 ; Ribeiro, 1978, 1993, 1995a ; Skidmore, 1976), les personnes de couleur étant plus touchées par le chômage et par la précarité que les personnes ayant la peau blanche.

Cela est une conséquence d’un passé de colonisation qui a formé l’« Atlântico Sul » (Alencastro, 2000), mais aussi des politiques hygiénistes et développementalistes, envisagées dès la fin du 19e siècle et appliquées de manière systématique au 20e siècle. Celles-ci ont été plutôt pensées par et pour les Blancs (Rodrigues, 1935, 2006, 2011). Au final, à l’intérieur de cette société, les mieux lotis sont les plus fortunés et les individus ayant des origines européennes, tandis que les moins fortunés, principalement les descendants des ethnies noires ou indigènes, doivent lutter pour leur survie au quotidien.

Ainsi, faute de moyens, bon nombre des travailleurs modestes métropolitains n’ont pas eu d’autre choix que de s’installer dans des zones périphériques parfois délaissées, ou bien sur des terrains abandonnés situés dans les grands centres urbains, dans lesquels des habitats de fortune ont émergé. Ceux-ci ont engendré des « agglomérats urbains informels » nés de façon spontanée et désordonnée en raison du besoin des plus démunis de se loger à bas coût. Ils représentent une manière « informelle » d’occuper un espace urbain connu à travers la catégorie

« favela » (Gonçalves, 2010 ; Valladares, 2006). Il s’agit d’endroits où des services de base

comme l’entretien d’égouts, le ramassage d’ordures ménagères, les écoles, ne sont pas suffisamment pris en charge par l’État brésilien33. Les individus y résidant ont le sentiment d’être les oubliés du pouvoir politique, et donc des exclus du système. Ce tableau social, façonné par la précarité, mais aussi par les différences ethniques, renvoie à la notion d’exclusion sociale figurant dans la moderne société brésilienne moderne de classes (Fernandes, 2008 ; Ribeiro, 1978, 1995 ; Velloso et al., 1994).

Il s’agit là d’un point crucial qui a été intégré dans le travail d’évangélisation effectué par les différentes dénominations évangéliques pentecôtistes. Agissant dans ces espaces sociaux modestes, et peu investies par l’État, les églises présentent Jésus comme l’unique et

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seul sauveur face à toutes les peines, soient-elles sociales, économiques, morales ou spirituelles (Chesnut, 1997 ; Cortén, 1995 ; Pierucci, Prandi, 1996 ; Mariano, 1999). Ces zones urbaines, et surtout périurbaines, accumulent des problèmes d’ordre socioéconomique divers et font face à des violences multiples34. Elles ont constitué une porte d’entrée privilégiée pour le travail d’évangélisation développé par des évangéliques pentecôtistes en quête de sauver des âmes affligées.

A Recife, l’Assembléia de Deus a été une des pionnières à investir ce terrain. Au quatrième chapitre, il sera montré comment elle a fait des Évangiles un instrument à la fois culturel et pédagogique susceptible de lutter contre la précarité, la pauvreté et l’exclusion sociale. Elle a réussi à former une communauté de semblables, non seulement parce qu’elle a réuni des individus autour d’une foi et d’une croyance communes, mais aussi en raison d’un partage d’intérêts communs englobant diverses dimensions de leur vie quotidienne.

En somme, la corrélation évangélisme pentecôtiste et milieu urbain s’est faite dans un espace-temps qui suit les mutations de la société brésilienne moderne qui a engendré la précarité et la pauvreté. Partant, le mouvement semble émerger come une réponse aux tribulations traversées par les individus les plus démunis (Chesnut, 1997 ; Cortén, 1995 ; Pierucci, Prandi, 1996 ; Mariano, 1999). Mais la réussite évangélique pentecôtiste ne se cantonne pas à ce lien entre le milieu urbain et l’exclusion sociale. Elle est d’abord le produit d’entreprises missionnaires et individuelles dont l’engagement a été mis en œuvre dans le cadre de l’expansion du mouvement à travers le pays à partir de contextes locaux ; c’est le cas de l’Assembléia de Deus.

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