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Chapitre  I   –  Sociohistoire  de  l’évangélisme  pentecôtiste  au  Brésil  et  à  Recife

3.   L’essor  évangélique  pentecôtiste  à  partir  des  «  vagues  »  pentecôtistes

3.1.   Les  trois  «  vagues  »  pentecôtistes

3.   L’essor évangélique pentecôtiste à partir des « vagues » pentecôtistes

3.1. Les trois « vagues » pentecôtistes

Au début des années 1990, le sociologue Paul Freston avait soutenu une thèse, à l’université de São Paulo, dans laquelle il a analysé le rôle des évangéliques dans la sphère politique brésilienne. Son étude couvre une période qui correspond à la nouvelle phase démocratique du Brésil, se situant de 1989 à 1992, après les vingt et une années de dictature du pays. L’auteur s’est intéressé à ce contexte politique puisqu’il marque l’amorce de l’investiture de candidats se déclarant évangéliques. Ces derniers ont formé une coalition qui a été nommée « Bancada evangélica » par la presse brésilienne (Freston, 1993 ; Oro et al., 2006). Cette expression a été par la suite reprise par certains analystes sociaux brésiliens, dont anthropologues, sociologues et politologues (Burity, Machado, 2006 ; Oro, 2001 ; Oro et al., 2006 ; Pierucci, 1989). La « Bancada evangélica » représente ainsi une sorte de coalition formée par la jonction de deux leaderships, l’homme politique et le leader religieux évangélique, réunis à la fois dans la figure d’un élu politique siégeant soit au Congrès national soit dans une assemblée locale.

Dans son étude, Freston (1993) entend dresser un panorama macrosocial du rôle des élus évangéliques dans la société brésilienne, à partir d’une analyse centrée sur leur investiture politique. L’auteur y propose un portrait du mouvement évangélique pentecôtiste brésilien, à partir duquel il cherche à identifier l’ensemble des églises implantées dans le pays, depuis les pionnières jusqu’aux plus contemporaines. Ce portrait est représenté sous la forme d’une typologie qui vise à rendre compte du développement de ces églises au moyen de la métaphore de « vagues ».

La typologie de Freston (1993) repose sur le schéma des « trois vagues pentecôtistes », où l’auteur classe les églises en fonction de leur période d’implantation et selon leur modèle doctrinal. D’après lui, les églises de première vague, dites classiques, connues également comme historiques ou d’implantation, ont émergé avec les premiers missionnaires (Francescon et les Suédois, Berg et Vigren, évoqués ci-dessus). Leur modèle est basé sur le « parler en langues », soit la glossolalie. Une pratique découlant des précurseurs de l’évangélisme pentecôtiste nord-américain, notamment de Parham et Seymour (Blumhofer, 1993 ; Espinosa, 2014). Par conséquent, à l’image des églises fondatrices américaines, les églises brésiliennes de première vague vont également mettre en avant les pouvoirs du Saint-Esprit et la glossolalie.

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Par la suite, la deuxième vague va émerger grâce aux premiers pasteurs brésiliens formés par les missionnaires. Ces pasteurs nationaux exercent leur fonction de pastorat dans des églises auxquelles ils sont attachés puis, par le biais de schismes, ils s’en détacheront pour fonder leurs propres dénominations. C’est ainsi qu’en 1952 surgit la toute première église évangélique pentecôtiste brésilienne nommée « Le Brésil pour le Christ ». D’après Cortén (1995), ce nom, « tout à fait symbolique », annonce une idée sous-entendue de conquête nationale.

Cette nouvelle vague a deux caractéristiques : l’« exorcisme » et la guérison divine. Pour Freston (1993), il s’agit là de nouvelles pratiques qui viendront s’ajouter à la glossolalie, aux chants, aux louanges et aux prières, déjà exercées au sein des églises de première vague. Apparaissent alors l’église Deus é Amor (Dieu est Amour), Quadrangular (Quadrangulaire),

Casa da Benção (Maison de la Bénédiction), Maranata. L’apparition de ces nouvelles

dénominations nationales, même si certaines comptaient avec la présence de pasteurs étrangers (Mariano, 1999), marquera un départ décisif pour leur ancrage national, mais aussi pour le développement du mouvement dans le pays.

De fait, l’évangélisme pentecôtiste ne cessera de se développer au Brésil, surtout à partir des années 1970 avec l’avènement du « néo-pentecôtisme » (Cortén, 1995 ; Mariano, 1999). Ce dernier va caractériser les églises de la troisième vague. Il englobe toutes les caractéristiques des deux vagues précédentes, mais il inclut dans sa pratique doctrinale d’autres éléments. D’une part, il met en place le « télé-évangélisme » (Assmann, 1986 ; Gutwirth, 1988, 1991), une pratique déjà bien connue dans les pays d’Amérique du Nord. Le télé-évangélisme consiste principalement à diffuser des services évangélisateurs et des témoignages de conversion et de guérison des fidèles par les moyens de communication de masse. En réalité, il s’agit d’une nouvelle approche religieuse par l’image audiovisuelle qui permet d’atteindre de plus en plus d’individus grâce à la communication de masse (Assmann, 1986 ; Cortén, 1995, 1999 ; Fonseca, 2003 ; Gutwirth, 1988, 1991).

D’autre part, ces églises vont proposer une nouvelle théologie, la théologie de la prospérité, connue par ailleurs comme la « confession positive », dont l’un des diffuseurs principaux est le pasteur évangélique nord-américain Kenneth Hagin (Soares, 2009 : 129). Elle consiste à inciter les fidèles à faire des dons d’argent à l’église au moyen de prières spécifiques. Ces prières portent le plus souvent sur des thématiques diverses autour de la vie financière, la famille, la santé. En faisant ces dons d’argent et en participant aux chaînes de prière, les individus espèrent prospérer et voir leurs souhaits réalisés. Parmi ces églises de troisième vague,

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une institution se distingue plus particulièrement, l’Igreja Universal do Reino de Deus (IURD), laquelle est en plus la pionnière de cette vague (Freston, 1993).

Fondée par le Brésilien Edir Macedo, l’IURD représente désormais un empire à la fois financier, médiatique et religieux qui s’est implanté dans les quatre continents du monde (Aubrée, 2000, 2003 ; Campos, 1999, 2004 ; Cortén, Dozon, Oro, 2003 ; Freston, 2005 ; Mariz, 2009 ; Mary, 2002 ; Rocha de Oliveira, 2014 ; Oro, 1999 ; Soares, 2005 ; Weiner, 2009). L’IURD a commencé son implantation à l’étranger dans les années 1980 : d’abord, dans des pays frontaliers au Brésil, notamment en Argentine, puis, elle s’est exportée aux États-Unis, dans la ville de New York, ensuite en Europe, en Afrique et en Asie. Avec l’IURD, on se retrouve dans une dynamique qui va du Sud au Nord (Aubrée, 2000). ; en inversant le sens habituelle, l’IURD s’est aussi inscrite dans la dynamique des mouvements religieux transnationaux (Argyriadis et all., 2012 ; Cortén, Marshall-Fratani, 2001 ; Fancello, Mary, 2011 ; Lerat, Rigal-Cellard, 2000).

Cette dynamique est illustrative de la modernité ayant engendré des mutations sociales et religieuses dans les pays du Sud. Ces mutations ont permis à des églises latino-américaines et africaines de s’exporter du Sud vers le Nord (Bastian, 1997, 2001 ; Fancello, 2006 ; Fancello, Mary, 2011 ; Kouvouama, 2014 ; Lerat, Rigal-Cellard, 2000). En outre, cette dynamique est également indissociable des vagues migratoires. Celles-ci se focalisent vers des pays considérés plus prospères ou vers des villes susceptibles d’offrir des nouvelles opportunités. Les individus s’y déplacent pour s’y procurer de meilleures conditions de vie. Certaines églises, comme l’IURD, se sont inscrites dans cette logique des vagues migratoires (Cortén, Marshall-Fratani, 2001 ; Fancello, 2006 ; Fancello, Mary, 2011).

Pour revenir au cas du Brésil, il est à noter que l’expansion de l’évangélisme pentecôtiste doit être mis en rapport avec les transformations de la société brésilienne. Si Freston (1993) prend en compte certains contextes sociohistoriques pour expliquer le développement des églises, il ne les systématise pas. Il s’attache surtout à présenter les leaders religieux et leurs variantes doctrinales, alors que d’autres facteurs ont pu contribuer à l’essor du pentecôtisme brésilien, notamment l’influence d’institutions évangéliques pentecôtistes nord-américaines.

D’après Campos (2005), elles ont financé des églises portées par des missionnaires étrangers, mais aussi celles menées par des nationaux. Toujours selon lui, ces institutions ont par ailleurs contribué à la formation de pasteurs nationaux, envoyés dans des facultés théologiques en Amérique. L’auteur suggère ainsi de prendre en compte ce lien entre le

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développement de l’évangélisme pentecôtiste brésilien et l’influence d’institutions évangéliques pentecôtistes nord-américaines.

La typologie des « vagues » pentecôtistes proposée par Freston (1993) demeure la plus mobilisée parmi les chercheurs, qu’ils soient brésiliens ou non. Mais, elle ne fait pas l’unanimité parce qu’elle envisage le développement de ces églises de façon linéaire avec des phases de schismes.

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