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La « ville blanche » et les cités

Dans le document Les enfants accusés de sorcellerie au Katanga (Page 138-142)

4.2 « BATOTO WA MARIA » : LA QUESTION DES ENFANTS DE LA RUE

4.3 LES OPÉRATIONS « SHEGE ZERO » ET LE CENTRE KASAPA

4.3.1 La « ville blanche » et les cités

L‟image que les Lushois ont de leur ville, en particulier de la « ville blanche », est fondamentale pour comprendre que cette dernière est opposée, non seulement au village, mais dans une certaine mesure à la cité. La ville est pour ses habitants le foyer de la modernité, de l‟industrialisation et de la propreté. Dans le rapport de l‟OCU (Observatoire du changement urbain de Lubumbashi) portant sur les « identités lushoises » (Dibwe 2002), on peut lire : « Lubumbashi est considérée par nos enquêtés

comme une ville coloniale, une grande ville industrielle et administrative » (2002 : 39). La cité, par contre, est perçue généralement négativement par ses mêmes habitants.

Il est intéressant de remarquer que les mécanismes à la base de la confrontation ville-village se reproduisent à l‟intérieur de la ville en définissant des représentations en opposition du centre ville et de la cité. En fait, la confrontation entre centre ville et cité met en évidence d‟autres clivages qui caractérisent le sens de l‟urbanité lushoise. En effet, le centre ville est vu comme l‟espace urbain par excellence, foyer des activités commerciales et des business. Il est le côté propre et civilisé de la ville, habité par les expatriés occidentaux et par les couches sociales les plus nanties.

L‟espace de la cité, par contre, n‟est pas perçu positivement. Les conditions de vie de la cité sont dénoncées par la plupart de ses habitants comme n‟étant pas appropriées à la réputation de Lubumbashi Wantanshi. La cité, dans la plupart de cas, est vue comme mal entretenue et sale, comme un endroit caractérisé par un manque de civisme ; elle est considérée comme la partie de la ville où vit la population « noire49 ».

Les raisons de l‟écart entre centre ville et cité plongent leurs racines dans l‟histoire coloniale de la ville. A l‟époque coloniale (1910-1960), la commune de Lubumbashi était appelée « la ville blanche », le cœur d‟Élisabethville, nom de Lubumbashi durant le régime colonial belge. L‟axe central de la ville était l‟actuelle avenue Tabora, anciennement appelée avenue du Katanga : il traverse toute la ville et aboutit à la cathédrale Saint-Pierre-et-Paul et au Palais du gouverneur (Lwamba Bilonda 2001). La ville blanche est encore aujourd‟hui le siège d‟importants lieux de pouvoir politique et administratif ainsi que des écoles les plus prestigieuses de la ville (Imara et le lycée Tuendelee) gérées par les Salésiens et les sœurs Filles de Marie Auxiliatrice. La commune de Lubumbashi est en outre le centre des affaires, des banques, de la poste et de la mairie de la ville.

Le plan d‟urbanisation d‟Élisabethville dénotait, d‟un point de vue autant spatial que social, le caractère racial et ségrégationniste de l‟emprise coloniale. En bref, la ville était divisée en deux parties principales : la ville blanche, pour les Occidentaux, et les

49 À ce propos, les auteurs du rapport Les Identités lushoises (Dibwe 2002) font remarquer que « Les Noirs qui déménagent vers la commune de Lubumbashi deviennent à leur tour des Blancs à la peau noire, du terme swahili Mundele ndombe » (ibid. : 82).

134 cités indigènes lieux de résidence de la majorité de la population congolaise50. Entre ces deux parties se trouvait une zone neutre destinée aux « Blancs de seconde catégorie » : Indiens, Pakistanais, Arabes, Grecs et Portugais. Les Blancs ne pouvaient pas habiter la cité indigène sous peine d‟être rapatriés en Europe accusés de manque d‟éducation coloniale. De manière analogue, les Noirs ne pouvaient pas vivre dans la ville blanche. Seuls les domestiques et les boys de maisons étaient censés partager la parcelle avec leurs employeurs. La circulation des Noirs dans les rues de la ville blanche était interdite entre 21 heures et 5 heures du matin.

La ville blanche fut ouverte aux Africains lors de l‟indépendance du pays en 1960. Depuis ce tournant historique, les Congolais eurent libre accès aux lieux et infrastructures jusque là destinés aux Européens (Dibwe 2002 : 82). Aujourd‟hui, en continuité avec le plan de la ville d‟époque coloniale, les cités de Lubumbashi sont marquées par des limites, spatiales et symboliques, qui en déterminent la proximité et la distance par rapport à la ville. Il ne s‟agit pas de frontières de base raciale mais plutôt les confins entre cité et ville suivent les lignes des classes sociales en dessinant une diversité de paysages en termes de distribution de richesses (Dibwe 2002). Le centre ville évoque un paysage de richesse et de promotion sociale (ibid. : 62). Les gens de la ville, bamu

ville (ibid. : 83), se distinguent des habitants des cités par leur comportement, leur

langage, leur habillement et leur démarche. Les habitants du centre ville offrent des modèles de comportements considérés modernes et civilisés contrairement à ceux de la cité.

Les communes en dehors du centre ville sont communément appelées cités. Les cités correspondaient jadis aux cités indigènes (ou centres extra-coutumiers) et aux camps de travailleurs de la Société du chemin de fer (SNCC) et de la Gécamines (ex-UMHK). Contrairement à la commune Lubumbashi, elles constituent les paysages intermédiaires et pauvres de la ville. D‟une manière générale, les cités sont perçues

50 Les premières cités indigènes étaient adjacentes à la ville blanche. C‟est à partir des années 1930 que fut créée la première commune indigène, appelée « centre extra-coutumier ». Elle fut appelée la commune Albert, aujourd‟hui rebaptisée commune Kamalondo. Les raisons qui poussèrent le gouvernement provincial de l‟époque à éloigner la cité indigène et à élargir la zone neutre (Lwamba Bilonda 2001 : 30) étaient d‟ordre hygiénique et de sécurité pour la population blanche d‟Élisabethville (Grevisse 1951). L‟actuelle commune Kamalondo fut donc fondée en 1929 et elle recouvrait dans son extension tout l‟espace occupé aujourd‟hui par la commune Kenya.

comme dégradées, surpeuplées et mal entretenues. Les Lushois se plaignent des conditions de vie et d‟insécurité qui y règnent. Cependant les cités ne sont pas toutes égales et certaines distinctions sont de rigueur51.

Les quartiers qui forment les cités se différencient selon le type de constructions, le service de transport et la proximité du centre-ville. La commune Kenya, par exemple, dont nous allons brièvement parler, est caractérisée par des habitations et des conditions de vie assez hétérogènes : on y retrouve un paysage de richesse moyenne et des bidonvilles non planifiés appelés localement tumbototo (Dibwe 2002 : 60).

La commune Kenya est certainement l‟une des cités les plus connues à Lubumbashi. La commune naquit en tant que centre extra-coutumier en 1932. Elle se développa initialement comme extension de la première commune indigène, la commune Albert (actuelle Kamalondo), et est localisée entre le rail de la SNCC, la rivière Lubumbashi et la concession de l‟Union Minière du Haut-Katanga qui devint par la suite le quartier Mampala (Lwamba Bilonda 2001 : 35). La Kenya est une commune très peuplée. Elle est connue en premier lieu pour le marché (Njanja) qui offre les prix les plus bas de la ville et les plus accessibles à la majorité de la population. En deuxième lieu, elle est célèbre pour la basilique catholique Sainte-Marie qui domine les quartiers de la commune. Les habitants n‟hésitent pas à rappeler qu‟il s‟agit de la deuxième plus grande basilique d‟Afrique subsaharienne. En outre, le stade de football, appelé « stade de la Kenya » mais dont le vrai nom est « stade Mobutu », est une autre des attractions principales de la commune. Aujourd‟hui, la commune Kenya est étiquetée « commune rouge52». Cela est dû à l‟« ambiance » nocturne des bars, des boîtes de nuit et à la prostitution dans certaines avenues (en particulier l‟avenue Mitwaba). D‟une manière générale, mes interlocuteurs soulignaient que la Kenya est la cité la plus importante de la

51 Pour les différentes perceptions de la population lushoise des sept communes de la ville, cf. Dibwe (2002 : 89-100).

52 Contrairement à l‟opinion courante le nom de « commune rouge » n‟était pas attribué à la Kenya pour indiquer une partie de la ville particulièrement dangereuse. Le sobriquet se référait par contre à la croix qui surmonte la coupole de la basilique Sainte Marie que s‟illuminait de rouge les jours de fête (Lwamba Bilonda 2001 : 36). Cependant, aujourd‟hui le sobriquet de commune rouge est dû à la violence et à la vie nocturne qui caractérisent la commune. À ce propos, il est intéressant de remarquer que l‟ancien commissaire de zone, monsieur Mastaki wa Bazila Mpuku, tenta, sous le régime du parti unique de Mobutu, de combattre le banditisme et l‟insécurité en changeant par ailleurs le sobriquet de « rouge » à « commune verte » (Dibwe 2002 : 91).

136 ville à travers des phrases de ce type : « tout se passe à la Kenya », « à la Kenya tout est possible ».

Dans le document Les enfants accusés de sorcellerie au Katanga (Page 138-142)