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L’ÉDUCATION ET LA SCOLARISATION DES ENFANTS

DYNAMIQUES FAMILIALES ET POLITIQUES DE L'ENFANCE

2. DYNAMIQUES FAMILIALES

2.4 L’ÉDUCATION ET LA SCOLARISATION DES ENFANTS

Les foyers sociaux n‟étaient qu‟une des institutions qui travaillaient pour l‟éducation morale et le développement physique de l‟enfant et de la femme africaine. L‟Union Minière attachait une importance capitale à la scolarisation des enfants. Pour ces raisons, l‟entreprise instaura dans son enceinte des écoles primaires pour filles et pour garçons, et des jardins d‟enfants.

Nous approfondirons le système scolaire de l‟époque coloniale, largement dans les mains des missions chrétiennes, plus tard dans ce travail. L‟UMHK confia à la congrégation des Bénédictins l‟éducation de la population ouvrière et de la scolarisation de leurs enfants. En 1926, la société signa un contrat avec la congrégation belge bénédictine. Les conditions du contrat signé par les Bénédictins étaient tout à fait proches de celles que je présenterai concernant les Salésiens. L‟entreprise fournissait les financements et les bâtiments alors que les missionnaires devaient s‟occuper de l‟organisation du programme d‟éducation collective et de l‟organisation du système scolaire (Cuvelier 2011 : 75). Sans entrer dans les détails du fonctionnement des écoles de l‟UMHK, il est à souligner la nette division de genre, entre garçons et filles, que prenait l‟enseignement dans les camps des travailleurs. Une division de genre qui était fonctionnelle dans le cadre de la division du travail des adultes. Les écoles visaient à faire des filles de bonnes ménagères et des garçons de bons ouvriers. À partir de 1947, la société mit en place une vaste réforme du système scolaire (Dupéroux 1948 ; Koettlitz 1948). À la suite de la réforme, l‟école primaire devint obligatoire pour tous les enfants des travailleurs âgés de 6 à 14 ans. Le cycle primaire avait une durée de 6 ans (Dibwe 2001 : 33). Le nouvel enseignement primaire de l‟Union Minière, géré par le Comité central d‟enseignement et d‟action sociale (UMHK 1956 : 250) visait, tout comme les écoles en dehors des camps, à ne pas fournir des programmes d‟enseignement trop sophistiqués. L‟objectif était plutôt, comme le dit Dibwe, d‟éveiller et de développer l‟intelligence des futurs travailleurs et travailleuses (Dibwe 2001 : 32).

En ce qui concerne les écoles postprimaires, l‟accès des élèves était confié au Centre de psychologie et de pédagogie, institué en 1954. Le Centre mettait au point des

tests pour évaluer l‟intelligence des élèves, à la sortie de l‟école primaire, et les orienter selon leurs capacités intellectuelles (UMHK 1956 : 251). Les garçons étaient envoyés soit vers les chantiers de travail où ils étaient entraînés au travail manuel, soit vers les chantiers d‟apprentissage pour des cours généraux, ou encore vers les écoles préprofessionnelles (ibid. : 252). Les élèves les plus doués étaient orientés vers l‟école normale de Ruwe, fondée en 1947, pour former des moniteurs de l‟enseignement (ibid.).

Les filles, en sortant de l‟école primaire, avaient plusieurs options : les écoles de formation familiale, dont nous avons déjà parlé, ou les « homes » pour les jeunes filles, écoles secondaires ouvertes par des religieuses. Les filles les plus douées pouvaient, en revanche, suivre les cours de l‟école normale Institut Sainte-Agnès ou ceux de l‟école d‟infirmières-accoucheuses du même institut. Les deux écoles, organisées en internat, étaient à Kolwezi (ibid.).

Un élément intéressant de l‟emprise éducative coloniale fut les jardins d‟enfants. Les jardins d‟enfants eurent une fonction fondamentale, après la réforme du système scolaire de 1947, dans le projet de construction d‟une enfance de type occidental. Il ne s‟agissait pas d‟une simple garderie. Les jardins d‟enfants avaient pour fonction explicite de « remédier à certaines carences familiales d‟ordre éducatif général », comme le remarquait Verhaegen (1959), directeur des services éducatifs et sociaux de l‟Union Minière. Les jardins d‟enfants visaient, tout comme dans les domaines de la santé et de l‟alimentation, à donner une tournure scientifique à l‟éducation de l‟enfant noir. Dans un monde qui s‟urbanisait et s‟industrialisait à un rythme frénétique, le colonisateur jugeait que l‟éducation de l‟enfant indigène devait également être améliorée, surtout avant l‟entrée à l‟école primaire. Les activités du jardin d‟enfants étaient donc conçues à cet effet. Elles avaient pour but de stimuler et d‟éveiller les enfants en leur donnant des expériences variées dans une phase cruciale de leur développement. Les jardins d‟enfants étaient destinés aux enfants de 4 à 6-7 ans pour en favoriser le développement intellectuel et caractériel (maîtrise de soi, habitude d‟égards pour les autres). L‟éducation dispensée dans les jardins d‟enfants concernait également d‟autres aspects de la formation de l‟enfant noir particulièrement chers aux religieux : l‟éducation « civique » (bonne tenue à table, hygiène, comportement éduqué) et l‟éducation religieuse.

62 Les jardins d‟enfants furent organisés dans chacun des quartiers des grandes cités de la société. Comme pour les autres institutions éducatives coloniales, ils étaient gérés par des assistantes sociales européennes aidées par des monitrices congolaises. En 1955, 3 100 enfants de 3 à 6 ans avaient fréquenté les jardins (UMHK 1956 : 250). En ce qui concerne la commune de Lubumbashi, le jardin d‟enfants fut créé en 1949. Une étude publiée dans un bulletin CEPSI (Samyn 1959) en explique de manière exhaustive le fonctionnement et les buts. L‟auteur nous dit que, depuis l‟ouverture du centre, le nombre d‟enfants inscrits n‟avait cessé de croître (ibid. : 23). Cela était favorisé, en toute probabilité, par la distribution de la bouillie qui « constituait la récompense de la présence au jardin d‟enfants » (ibid.). L‟éducation des enfants du jardin de Lubumbashi était confiée à quatorze femmes et deux jeunes filles de 14 et 18 ans (ibid.). Un cours de formation spécialisée de monitrice de jardin d‟enfants était organisé pour les jeunes filles moins expérimentées (ibid.).

Les activités y étaient divisées selon les classes d‟âge. On occupait les plus petits avec des jeux, des chants, des rondes, des danses. En outre, des cours de gymnastique et d‟histoire morale et religieuse étaient dispensés. Tout comme des notions d‟enseignement plus classique tels que le calcul élémentaire, la reconnaissance des formes et des couleurs (ibid. : 24). Les enfants plus âgés, par contre, s‟adonnaient, outre qu‟aux mêmes activités que les plus jeunes, aux travaux manuels : piquetage, perles, dessin, tissage, couture, jeux de construction, dessins, exercices sur les nombres, les grandeurs, etc. (ibid.).

On peut remarquer que les activités menées au jardin d‟enfants étaient fort proches de celles de la plaine de jeux organisée par les centres des missionnaires catholiques et plus particulièrement par les Salésiens14. Néanmoins les plaines de jeux s‟étalaient sur quelques semaines au mois d‟août alors que les activités des jardins se déployaient au quotidien, ressemblant ainsi à une école maternelle.

14 L‟organisation des plaines de jeux par les centres salésiens continue encore aujourd‟hui. Chaque année durant les grandes vacances d‟été, les missionnaires, aidés par de jeunes volontaires provenant de l‟Europe, organisent des journées de jeux et d‟occupations pour les enfants de leurs écoles.

Les jardins d‟enfants de l‟époque coloniale révèlent l‟intention, à travers une attention méthodique envers les processus d‟apprentissage et cognitifs de l‟enfance15, de considérer l‟enfance comme un monde spatial et temporel séparée du monde des adultes. Conjointement à l‟institution scolaire, les jardins d‟enfants étaient des lieux où l‟occidentalisation de l‟enfance devait se réaliser : l‟enfant devait s‟abandonner aux jeux, se distraire et apprendre. Toute forme de responsabilisation de l‟enfant était absente. Il s‟agissait, en outre, de lieux où les adultes, plus précisément les femmes, pouvaient apprendre les méthodes de contrôle et d‟éducation des enfants. Enfin, la présence d‟assistantes et de monitrices européennes était une opportunité supplémentaire d‟inculquer aux femmes noires les modèles de maternité et de parenté véhiculés par l‟idéologie coloniale.

Les jardins d‟enfants poursuivaient des objectifs proches de ceux des foyers sociaux pour les femmes. Dans les deux cas, il s‟agissait d‟éduquer les « cibles » à devenir « enfant » et « femme » au sens colonial et occidental de ces constructions sociales. C‟est dans cette optique que le colonisateur rattacha les jardins d‟enfants aux foyers sociaux. Le but de ce rapprochement était d‟amener les femmes urbaines africaines à une conception de l‟enfance définie largement dans la dimension du jeu et dans la séparation du monde des enfants de celui des adultes. La construction de la femme « mère de famille » passait évidemment par la construction d‟une enfance de ce type et les jardins d‟enfants étaient un excellent laboratoire pour y parvenir.

Tout comme la conception de l‟enfance coloniale, dans les années 1950, la conception de l‟adolescence fut construite par les instances éducatives de l‟entreprise et de l‟administration coloniale. En ce qui concerne les filles, dans les contextes ruraux et précoloniaux, l‟ « adolescence » au sens où nous l‟entendons n‟était pas bien définie. La

15 Deux considérations à ce propos. En premier lieu, l‟attention du colonisateur vis-à-vis de l‟éducation des enfants dès leur plus jeune âge était justifiée, selon Cuvelier (2011 : 75), par la conviction que les enfants noirs n‟avaient pas la capacité de penser de manière abstraite. Ce qui a impliqué, à partir des années 1950, après la réforme scolaire, l‟introduction d‟exercices cognitifs (reconnaissance des formes, couleurs, etc.) auxquels je fais allusion dans le texte.

En deuxième lieu, durant la première phase d‟implantation du système scolaire, il est intéressant d‟observer les affinités du programme d‟enseignement de l‟UMHK, qui considérait les cours classiques (mathématique, littérature, français) de faible utilité, avec les programmes scolaires des écoles salésiennes. Le programme scolaire de ces dernières, surtout dans les écoles rurales, se concentrait davantage sur le travail manuel et l‟apprentissage « au travail continu » (cf. infra, chap. 3).

64 puberté était suivie immédiatement du mariage. L‟intervention de l‟éducation coloniale visa ainsi à séparer progressivement l‟âge pubère de l‟âge adulte, dont l‟entrée était représentée pour les filles par le mariage. Il y eut ainsi une période durant laquelle les jeunes filles urbaines étaient encouragées à retarder le mariage, à approfondir leur formation et à réfléchir sur leur idéal de vie. Les écoles de formation familiale étaient les lieux où on encourageait le désir de devenir femme ménagère, de construire une famille et un foyer sur le modèle inspiré de celui enseigné dans les foyers sociaux pour les femmes adultes. Selon la vision colonialiste véhiculée dans les écoles familiales et les foyers sociaux, la femme devait être perçue comme la base du progrès tant de la famille nucléaire que de la société. Cette logique est bien résumée par un aphorisme qu‟on entend encore aujourd‟hui à Lubumbashi : « Instruire une femme, c‟est instruire toute une nation16. » Il s‟agissait, en fait, de la création d‟une nouvelle responsabilité, celle du progrès de la famille, donnée entièrement aux femmes et aux jeunes filles, ainsi que l‟expliqua dans un article le Dr Verhaegen, directeur des services éducatifs et sociaux de l‟Union Minière en 1959 :

« Il serait bon de créer une certaine mystique de progrès et de propager un certain féminisme : mystique de l‟évolution du pays et du rôle de la femme dans cette évolution par l‟accomplissement de son rôle spécifiquement féminin d‟organisatrice du foyer et d‟éducatrice des enfants » (Verhaegen 1959 : 15).

16 La construction de cette nouvelle culture et source d‟autorité des femmes est tout à fait analogue à ce que fait remarquer Nancy Rose Hunt pour le cas des foyers sociaux d‟Usumbura (1990). L‟analogie entre cet aphorisme et celui de Hunt est par ailleurs frappante : « To instruct a boy is… to form a man; to instruct a girl is to form a family » (id., 451).

2.5 L’ESSOR DE LA « PARENTÉ RESPONSABLE » ET LE DÉBAT SUR LES