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5.2 « GRANDIR À L'ECOLE »

Dans le document Les enfants accusés de sorcellerie au Katanga (Page 170-181)

5.2 « GRANDIR À L'ECOLE »

L‟importance de la scolarité à Lubumbashi est liée aux représentations de l‟enfance qui se sont imposées depuis l‟époque coloniale. L‟idéologie de la socialisation et de la scolarisation des enfants répondait en premier lieu aux objectifs économiques et de formation de la main-d‟œuvre de l‟administration coloniale et des entreprises privées, comme l‟écrit l‟historien lushois Donatien Dibwe : « produire le futur travailleur docile, discipliné, bon marché et répondant au goût de l‟employeur. Cet encadrement devait se faire dans des écoles » (2001 : 32). Depuis l‟époque coloniale, envoyer les enfants à l‟école est à la fois une obligation morale et un devoir religieux. La scolarisation des enfants faisait partie de l‟ensemble d‟éléments qui définissait les parents « responsables », ceux qui parvenaient à remplir leur devoir de géniteur.

Au cours de mes enquêtes, j‟ai remarqué dans les discours des parents, tout comme dans celui des enfants, une forte désillusion vis-à-vis du système scolaire actuel. Il s‟agit ici de rapporter une attitude générale qui émerge dans les discours des gens vis-à-vis de l‟importance de l‟instruction scolaire et de l‟enseignement supérieur. Le fait qu‟il y ait une vision désenchantée du système éducatif congolais ne signifie pas que les parents aient cessé d‟envoyer leurs enfants à l‟école et à l‟université. Au contraire, le nombre d‟écoles, surtout privées, augmente constamment en ville, et depuis les années 1990 le nombre d‟inscriptions à l‟université n‟a cessé de croître (Rubbers 2004). Il s‟agit plutôt d‟un changement dans la perception de l‟école et de l‟université comme institutions pourvoyeuses d‟ascension sociale et d‟accès au monde du travail. Cette désillusion vis-à-vis de l‟école et de l‟éducation scolaire, surtout parmi certaines couches de la population, n‟est pas un phénomène récent. Filip De Boeck, par exemple, remarquait que, dans les

années 1990, les jeunes Congolais qui allaient en Angola à la recherche de diamants, les

bana Lunda, s‟éloignaient de l‟école et de l‟éducation basée sur des modèles occidentaux

pour s‟adonner au trafic de diamants beaucoup plus rentable (De Boeck 1998). À l‟instar des sheges de Lubumbashi, les bana Lunda exprimaient leur dédain avec des phrases de ce type : « L‟école ne donne pas l‟argent, seulement le français », « On ne mange pas le français » (ibid. : 803).

La désillusion vis-à-vis du système scolaire a creusé une distance entre les attentes mises dans l‟investissement dans l‟instruction d‟un enfant et les réelles possibilités de ce dernier de trouver un bon emploi. Cela semble avoir des répercussions sur le maintien du pacte générationnel et, plus précisément, sur les relations entre parents et enfants. Le problème est double. Du côté des parents et des aînés, l‟impossibilité de garantir une éducation scolaire régulière à leurs enfants ou cadets est une cause de l‟érosion de leur autorité en famille. Du côté des enfants, le désenchantement de l‟équation école = travail = bien-être entraîne une désillusion quant à la valeur formative des études, perçues comme de moins en moins importantes pour l‟épanouissement. Il faut remarquer que, dans ce changement de perspective, un rôle fondamental est joué par les modèles de réussite sociale qui ont émergé récemment. La plupart des personnages de succès de Lubumbashi, et du Congo, ne doivent pas leur fortune aux études. Au contraire, l‟image de l‟homme pragmatique, l‟homme « du faire », l‟entrepreneur pas nécessairement instruit mais expert en matière de business, a bonne presse, surtout auprès des plus jeunes. C‟est une figure qui a été popularisée par des personnages comme l‟actuel gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, le joueur de football Trésor Mputu ou encore les grands pasteurs de la ville61.Dans ce sens, il y a un renversement des positions : les métiers d‟héritage colonial qui jadis étaient synonymes de réussite sociale, comme le fonctionnaire de l‟État ou l‟ouvrier spécialisé (Banégas et

61 À côté de ces personnages locaux, d‟autres figures internationales sont citées comme exemples de réussite sociale et économique. C‟est une réussite basée plus sur l‟habileté entrepreneuriale et la capacité à profiter, par n‟importe quel moyen, des situations et des circonstances, que sur les mérites et les qualités personnelles. Parmi les nombreux personnages cités, on retrouve Bill Gates ou G. W. Bush. À ma grande surprise, quand je disais être italien, le nom de l‟ancien Premier ministre italien, Silvio Berlusconi, ressortait régulièrement. La figure de Berlusconi était, dans plusieurs de mes entretiens avec des jeunes diplômés, appréciée en raison de la capacité de ce dernier, malgré les ombres qui l‟entourait, à accumuler du pouvoir et à gouverner l‟Italie.

166 Warnier 2001 ; Rubbers 2004), perdent de leur prestige au profit des « trafiquants », des « businesseurs » (businessmen) et de personnages tels que ceux cités plus haut.

En dépit du déclin de l‟école et de l‟influence de figures de réussite sociale comme les footballeurs ou les chanteurs kinois, l‟école et le niveau de scolarisation restent des critères importants dans la définition de l‟enfance. En ce qui nous concerne, les sheges sont généralement et de manière indifférenciée considérés comme des enfants non scolarisés. Toutefois, à bien y regarder, les enfants de la rue sont, plutôt que non scolarisés, des enfants déscolarisés ou bien des enfants qui ont interrompu leurs études. Parmi les enfants de Bakanja Ville, par exemple, plusieurs allaient à l‟école avant de se retrouver à la rue ; d‟autres la fréquentaient sporadiquement tout en vivant dans la rue, à travers les centres d‟accueil ; d‟autres encore reprenaient leur parcours d‟études après un temps, dans un centre d‟hébergement ou après une réinsertion dans la famille. La situation d‟un enfant de la rue n‟apparaît pas si différente de tout autre enfant vivant à la cité et dans une famille nombreuse. Ce dernier a la possibilité d‟aller à l‟école selon les disponibilités économiques de la famille, selon qu‟il est fille ou garçon et selon le bon vouloir des parents. Pour les enfants de la rue comme pour ceux vivant en famille, le parcours scolaire peut se dérouler de manière discontinue.

Voici deux cas qui démontrent à quel point la scolarisation est encore un critère important pour la définition de l‟enfance surtout dans les centres d‟accueil des Salésiens. Dans le centre salésien Bakanja Ville, j‟ai rencontré Neno, dont l‟histoire sera l‟objet du chapitre 9, et Bonheur. Tous deux fréquentaient la quatrième du secondaire, étaient âgés de 14 ans et orphelins de père, et émigrés d‟une autre ville du pays pour rejoindre une partie de leur famille à Lubumbashi, mais leur contexte familial était différent. Neno venait de Kalemie (nord-est du Katanga) et Bonheur de Mbuji Mayi (Kasaï Oriental). Dès son arrivée à Bakanja Ville, Neno fut jugé, par l‟aspirant salésien qui l‟accueillit, comme n‟étant pas un enfant de la rue. Arthur, l‟aspirant salésien62

, en était convaincu à partir du

62 Les aspirants salésiens, avant d‟être acceptés au séminaire, doivent passer une année dans les structures salésiennes s‟occupant des enfants de la rue. Étant réputés plutôt durs, les centres qui accueillent les enfants de la rue sont un banc d‟essai pour les Salésiens destiné à tester le jeune qui veut s‟engager dans la vie religieuse.

niveau de scolarisation affiché par Neno aux cours de récupération du soir. Il l‟expliquait en ces termes :

« Il s‟est retrouvé dans ma classe, alors on a fait quelques exercices. J‟ai constaté que, comparativement au niveau des autres, il était un peu au-dessus. Sa façon de résoudre les exercices était bonne, surtout les exercices de division. Il a eu tous les points. Je me suis dit : “Non, quand même, la première des choses, tu n‟es pas un enfant de la rue.” La plupart des enfants qui se retrouvent dans la rue n‟ont pas la chance d‟étudier. […] Donc notre souhait, c‟est de ne pas garder les enfants au centre, les mélanger, il y en a qui font quatre ou six ans dans la rue, mais d‟autres fuient la maison sans raison, pourtant ils sont intelligents et ils pourraient étudier » [Conv Ŕ RDC Ŕ 3].

Sur ces considérations, Arthur se rendit chez la famille paternelle pour une première tentative de réinsertion de l‟enfant. J‟étais à Bakanja Ville quand Arthur expliquait à Neno l‟importance de rentrer à la maison et il m‟invita à les accompagner pour la visite en famille. Le lendemain, nous nous rendîmes au quartier Congo, dans la commune de Ruashi, chez le chargé de la tutelle de Neno, l‟oncle Chrétien. Papa Chrétien et Arthur orientèrent leur première conversation sur l‟absentéisme de Neno à l‟école. Les problèmes qui affligeaient papa Chrétien étaient la perte d‟argent destiné aux frais scolaires, le temps passé par Neno hors de la famille et la perte de confiance que cela avait engendré. La fugue de Neno entrait dans le cadre d‟un discours, tenu tant par Arthur que par l‟oncle, qui soulignait comment l‟école (payer les frais scolaires, réussir aux examens, etc. ) participait à la construction des rapports familiaux. La transgression de ces rapports semblait d‟ailleurs amplifiée par le fait que Neno n‟était pas le fils de l‟oncle. Et le fait que l‟oncle ait pris en charge Neno à la mort de son frère aîné alimentait d‟autant plus son amertume vis-à-vis du comportement de l‟enfant. Ainsi l‟exprimait papa Chrétien :

« […] et ça me cause un peu de remords. Je l‟avais pris, il était en troisième du primaire et aujourd‟hui il est en quatrième en mécanique générale, vous comprenez ? Et je suis fonctionnaire de l‟État, je touche 36 000 FC par mois. J‟ai cinq orphelins ici chez moi et en plus mes deux garçons et mes deux filles, ce qui fait neuf. Je me casse en mille pour payer les études. Tels que

168 vous les voyez, j‟ai insisté pour encadrer les enfants. […] Donc c‟est parti pour Neno et maintenant que je me suis démené pour encadrer les enfants, je me retrouve avec la charge de payer une classe deux fois pour Nemo. » [Conv Ŕ RDC Ŕ 3].

Lors de cette première rencontre, j‟eus l‟impression que la première des préoccupations de Chrétien était d‟éloigner l‟image de « parent irresponsable » que la fugue de Neno pouvait lui donner. Papa Chrétien était inquiet de ce que les gens du quartier pouvaient penser en voyant arriver Neno, après trois mois d‟absence, accompagné d‟un Salésien63

et d‟un Européen64 (« Il y a beaucoup d‟histoires qu‟on peut commenter sur ça »). Toutefois, l‟oncle Chrétien nous expliquait qu‟il ne s‟agissait pas simplement des rumeurs qui pouvaient se répandre dans le quartier (« on pensera que je suis un mauvais parent »). L‟enjeu concernait aussi un investissement à long terme dans la formation de Neno : d‟un côté cela relevait d‟une obligation morale (« c‟est le fils de mon grand frère à moi […] je ne pouvais pas faire autrement ») et religieuse (« On peut pas voir les enfants dans un foyer qui… qui ne fréquentent pas l‟école, ça, c‟est vraiment diabolique ») ; de l‟autre la formation de Neno était une assurance pour l‟avenir de toute la famille (« Il aura peut-être un travail qui paye bien, avec un [bon] pouvoir d‟achat »). Les efforts considérables que papa Chrétien faisait pour garantir la scolarisation à tous ses enfants allaient dans cette direction : l‟espoir que l‟un des neuf pourrait trouver un jour un bon travail.

Contrairement à Neno, Bonheur était vu à Bakanja Ville comme tout autre enfant de la rue. Pourtant, quand je fis sa connaissance, il était évident à mes yeux qu‟il n‟avait aucun des traits de l‟image stéréotypée du shege. Il était calme de comportement, il en savait très peu sur les moyens de vie dans la rue, il ne s‟intéressait pas à l‟argent et il parlait aisément le français. D‟ailleurs, la première fois que je parlais avec lui, en lui proposant de converser en swahili, il me répondit plutôt agacé : « Ah ! Ah ah ! J‟ai quand

63 Loin de passer inaperçu, frère Arthur (malgré son statut d‟aspirant, on l‟appelait déjà frère) était facilement identifiable à sa manière de s‟habiller. Les éléments distinctifs d‟un « abbé » (terme qui souvent à la cité désigne n‟importe quel religieux catholique) sont des petites lunettes rectangulaires, souvent fumées, des chemises à fleurs colorées et des pantalons en tissu noir.

64 Au début de notre conversation je ne m‟étais pas présenté comme étant un chercheur. J‟expliquai mon travail à papa Chrétien à la fin de la rencontre. Le même papa Chrétien me confia qu‟il pensait que j‟étais un coopérant d‟une ONG s‟occupant de droits de l‟enfance.

même étudié ! » Les jours suivants, au cours de nos conversations informelles, il insistait sur le fait d‟avoir terminé l‟école primaire et d‟être en quatrième du secondaire. Bonheur semblait attribuer au hasard son arrivée à Bakanja, un endroit, disait-il, « où on accueille les vagabonds ». Il regrettait d‟avoir été « mélangé », pour le dire avec les mots de frère Arthur, aux enfants de la rue alors qu‟il tentait de se débarrasser de cette étiquette. Pour lui, avoir étudié et parler un français correct étaient des signes qui le distinguaient des autres enfants du centre.

La situation de Bonheur était différente de celle de Neno. Ce dernier avait été réinséré en famille parce qu‟il avait été considéré comme un enfant scolarisé. Bonheur, au contraire, avait quitté la maison afin de continuer les études. Il avait effectué le voyage de Mbuji Mayi, chef-lieu du Kasaï oriental, pour rejoindre Lubumbashi où résidait une partie de sa famille maternelle. Après le décès de son père, il avait vécu plusieurs années avec sa mère et sa grand-mère. La motivation qui poussa Bonheur à quitter la maison fut le désir de poursuivre les études secondaires que sa mère n‟était plus en mesure de supporter. Ainsi Bonheur m‟expliqua les raisons de l‟abandon du toit familial :

« Je suis né au Kasaï mais j‟ai passé ma première enfance à Kin [Kinshasa]. Mon père est mort en 1994. J‟ai étudié de la première à la sixième du primaire ici, à Lubumbashi. Quand ma mère est rentrée de l‟Angola, on est partis à Mbuji Mayi. À Mbuji Mayi, je me disputais souvent avec ma grand-mère. Elle était devenue insupportable. Elle parlait trop parce qu‟elle était âgée, elle avait 92 ans. À tout moment, même pour des choses de peu d‟importance, elle commençait à m‟injurier. C‟est après une querelle que nous avons eue que ma mère et ma grande sœur m‟ont chassé de la maison. Mon petit frère, le fils de mon oncle, m‟avait convaincu de partir. D‟ailleurs moi j‟ai grandi ici, à Lubumbashi, chez la grande sœur de ma mère (mama mukubwa), donc c‟est pour ça que je suis venu, en espérant qu‟elle allait me payer l‟école pour terminer le secondaire » [Conv Ŕ RDC Ŕ 5].

Après un long voyage du Kasaï à Lubumbashi, les projets de Bonheur ne se réalisèrent pas comme il l‟avait espéré. La mama mukubwa ne l‟accepta pas car elle n‟arrivait pas à comprendre les raisons des querelles au Kasaï entre Bonheur et sa mère. À cela s‟ajoutait le fait que son retour n‟avait pas été organisé conjointement par les deux familles. S‟ensuivirent des accusations de sorcellerie qui contraignirent Bonheur à quitter

170 la maison de sa tante. Bonheur et son petit frère passèrent des jours dans la rue en essayant de « se débrouiller » avec « les gens du marché » (bantu ya marché), c‟est-à-dire les enfants de la rue qui trouvent refuge autour du marché principal de la ville, certains étant de leurs connaissances du Kasaï. Bonheur l‟explique dans ce passage :

« Ils m‟accusaient de sorcellerie quand je suis venu ici, chez la sœur de ma mère. Ils me maltraitaient sérieusement, ainsi que mon petit frère. Mais ça [accuser de sorcellerie] se passe seulement ici à Lubumbashi, à Mbuji Mayi ça ne peut pas arriver. À Mbuji Mayi, si tu qualifies quelqu‟un comme ça [d‟être sorcier], donc, c‟est toi qui a ça. Ma tante m‟accusait de sorcellerie, qu‟on faisait des blocages. C‟est pour cette raison que j‟ai quitté la maison de ma tante » [Conv Ŕ RDC Ŕ 5].

Bonheur passa peu de temps au marché car il se réfugia à Bakanja pour ne pas tomber dans les mains de la police lushoise qui, à cette période, effectuait des ramassages pour déplacer les sheges dans la prison de Kasapa.

La comparaison des cas de Neno et de Bonheur nous montre que la scolarisation reste un facteur fondamental dans la définition de l‟enfance. La « rue », au contraire, présente les stigmates d‟une enfance déviante. Toutefois, les itinéraires de Neno et Bonheur sont deux exemples d‟enfants qui ont emprunté une direction imprévisible en rendant la fréquentation de l‟école sporadique et celle de la rue également discontinue. Compte tenu des nombreux allers-retours que tout enfant en situation de précarité économique et familiale peut faire entre école, rue, centre d‟accueil et famille, il est difficile de définir qui est un « enfant de la rue » sur la base de la scolarisation. En dépit de ces difficultés, les opérateurs humanitaires et les missionnaires conçoivent l‟école comme un lieu et une activité où l‟enfant se constitue dans ses qualités les plus intrinsèques. Les parents qui font travailler leurs enfants ou les enfants qui, errant en ville, exercent des activités liées au travail sont des exemples qui contredisent cette vision de l‟enfance. Dans les centres comme Bakanja, les activités lucratives ne sont pas compatibles avec les activités d‟étude, de formation et de loisir, lesquelles occupent tout le temps des enfants. De leur côté les enfants ne sont pas toujours disposés à accepter

facilement les règles du centre. Abandonner le temps consacré à choquer (travail informel, petits boulots) pour se consacrer à l‟école signifie pour eux perdre une certaine indépendance vis-à-vis des adultes et de leurs parents. Cela signifie aussi remettre en question l‟image qu‟ils se construisent d‟eux-mêmes dans la rue et par rapport à leurs compagnons. Néanmoins, les enfants fugueurs apprennent à maîtriser les différents registres (au niveau langagier et comportemental) qui sont en vigueur dans les endroits où l‟on poursuit une idée d‟enfance normalisée (comme celle des centres d‟accueil ou des programmes humanitaires). La maîtrise à jouer le rôle de l‟enfant repenti dans le centre d‟accueil, prêt à reprendre les études et à arrêter de fumer des joints, et en même temps le rôle du voyou lorsqu‟il se trouve dans la rue ou dans la cité, ne répondent pas exclusivement à une mise en scène de la vie quotidienne de l‟enfant (Goffman 1956). Il s‟agit de l‟apprentissage d‟un certain nombre de règles de survie qui sont loin d‟être évidentes. D‟ailleurs, Bonheur me disait avoir vite trouvé refuge à Bakanja car il se sentait incapable de supporter les conditions de vie au marché du centre-ville. La capacité d‟un enfant à naviguer entre la pluralité des sphères de socialisation dépend en grande partie de sa capacité de résistance aux difficultés de la vie dans la rue, de l‟habileté à apprendre les mécanismes qui gouvernent les réseaux de sheges et, enfin, des liens que dans le temps il maintient avec la famille et son entourage.

Nous le verrons dans le paragraphe consacré au travail des enfants, l‟alternance travail-école joue un rôle important dans la vie de ces enfants. D‟ailleurs certains dictons devenus populaires à Lubumbashi expriment efficacement le concept que les études ne sont pas forcément ce qui « donne à manger ». En langue tshiluba, langue parlée dans les deux Kasaï, une expression dit : « Flancé kifalanga to », c‟est-à-dire « Le français ne donne pas l‟argent ». Les enfants que j‟ai rencontrés à Bakanja connaissaient ce dicton et ils le considéraient positivement.

Nous l‟avons déjà souligné, les lieux fréquentés par l‟enfant et les activités

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