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Les lieux de la recherche et l’observation participante

1.3 QUELQUES NOTES SUR L’EFFICACITÉ SYMBOLIQUE ET LA « MODERNITÉ DE LA SORCELLERIE »

1.4.2 Les lieux de la recherche et l’observation participante

J‟ai choisi de vivre à Lubumbashi parce que, dans les villes du Congo, les accusations de sorcellerie dont les enfants font l‟objet sont plus répandues que dans les villages (Ballet et al. 2007 ; De Boeck 2000 ; Tonda 2008 ; Yengo 2008). À Lubumbashi, j‟ai vécu chez un jeune ami congolais, Kedrick, dans un quartier central de la commune de Lubumbashi. La maison de Kedrick a été ma base, durant les trois séjours et au cours des différents déplacements que j‟ai effectués. J‟ai mené deux missions à Likasi 4 et passé trois mois auprès de la famille d‟Innocent Yav Makon, qui réside dans un quartier semi-rural de la commune annexe, le quartier Kasungami.

L‟objectif que je poursuivais n‟était pas de mener une ethnographie ponctuelle d‟une communauté, un village ou un groupe spécifique. Il s‟agissait, dans mes intentions, de mener une enquête sur les itinéraires empruntés, d‟un côté, par les enfants qui vivaient sur la rue et dans les centres d‟accueil ; de l‟autre, sur les dynamiques familiales qui conduisaient à la délivrance au moment où l‟un des enfants du foyer était soupçonné ou accusé de sorcellerie. Mon travail quotidien était donc programmé au jour le jour en suivant la disponibilité et les déplacements des personnes que je voulais suivre ou rencontrer. De cette façon, le travail a été très prenant et fatigant. Au cours de mon premier séjour, je parcourus la ville de Lubumbashi dans toute son étendue. Je voulais en fait observer mes informateurs dans leur cadre de vie quotidien sans forcément établir ou fixer à chaque fois des rendez-vous contraignants et peu informels. Cette stratégie a donné de bons résultats mais s‟est révélée souvent épuisante. La mobilité urbaine des lushois est assez intense : compte tenu de l‟importance des petits métiers pour le budget ménager (Petit 2000 : 101), les lushois circulent dans la ville du matin au soir souvent sans s‟arrêter et, bien sûr, sans manger jusqu‟au soir ; ils peuvent changer leur

programme journalier, s‟ils en ont un, d‟un moment à l‟autre en fonction des besoins ; il est souvent difficile de les rencontrer surtout lorsqu‟ils s‟agit d‟activités de travail « informel », ou de petits métiers (ibid.), ou selon une expression courante à Lubumbashi, de « business ». En ce qui concerne les enfants de la rue, ces considérations sont d‟autant plus valables que les enfants de la rue sont de vrais « navetteurs » de la ville. Comme je l‟expliquerai dans le chapitre 5, il est extrêmement difficile de les saisir lorsqu‟ils sont dans l‟espace urbain, du moins pour de longs moments. Pour cette raison il a été beaucoup plus facile de les approcher et d‟approfondir leur connaissance dans les centres qui les accueillaient.

Le travail et les relations avec les enfants et les jeunes aux centres d‟accueil ont induit des questions complexes. En effet, les enfants de la rue en général et les enfants de Bakanja en particulier sont habitués à la présence d‟étrangers, souvent jeunes et occidentaux. Il suffit de considérer que, chaque année, transitent dans les structures salésiennes au moins quatre ou cinq volontaires venant de l‟Europe sans compter ceux plus nombreux qui arrivent pour la plaine des jeux au mois d‟août. Ce à quoi ils ne sont guère habitués, c‟est de revoir plusieurs fois, aux fils des années, un jeune qui revient régulièrement. Concernant ma présence à Bakanja, le fait de me revoir pendant trois ans au centre a occasionné une consolidation de la relation avec certains enfants. Toutefois cette relation a comporté, au début, une difficulté dans la définition de mon rôle compte tenu du fait que je n‟étais pas un religieux et ne menais pas exactement les mêmes activités qu‟un volontaire ou qu‟un stagiaire. L‟attitude des enfants de Bakanja à mon égard a facilité ma participation à leur vie quotidienne : la préparation et le partage des repas, les activités sportives, les discussions sur des questions qui leur semblaient importantes. Dans ce sens, la posture que j‟ai adoptée se rapproche à un least-adult role (Mandell 19915) selon lequel, tout en ayant un âge différent, le chercheur essaie de se comporter en syntonie avec les attentes des enfants et des jeunes, en se démarquant le plus possible des figures d‟autorité.

Deux autres contextes ont été fondamentaux pour la recherche : le Bureau chargé d‟interventions sociales pour la protection de l‟enfance (BISPE) de la province du

5 Pour la construction d'un rapport de confiance et d'amitié dans les recherches avec les enfants voir Fine et Sandstrom (1988).

36 Katanga et l‟église néo-pentecôtiste du pasteur Kita Lebon. Dans le premier cas, la prise de contact avec le fonctionnaire du BISPE, Amos Thsimanga, fut facilitée par l‟intervention de mon collaborateur Julien. Ensuite, au fil du temps j‟ai pu renforcer la relation avec papa Amos, qui se trouvait être le voisin de la famille où j‟avais résidé quelques mois à Kasungami. C‟est pour cette heureuse coïncidence que je commençai bientôt aller à seul à son bureau et chez lui. Cela m‟a permis d‟approfondir plusieurs aspects de la politique de la Province vis-à-vis des enfants de la rue et des accusations de sorcellerie aux enfants.

L‟intégration au sein des églises néo-pentecôtistes a été beaucoup plus compliquée. Je tentai de suivre le travail de plusieurs églises en trouvant toujours des attitudes de méfiance, dues probablement aux mésententes que ma position de chercheur sur l‟enfance pouvait provoquer. Plusieurs pasteurs semblaient soupçonner que j‟étais un coopérant d‟une ONG étrangère chargé d‟enquêter sur la violation des droits des enfants. Ce n‟est qu‟après plusieurs mois que j‟abordai l‟Église évangélique des témoins de Christ « une église née en Afrique, qui ne vient pas d‟ailleurs », pour reprendre les mots de présentation du pasteur Kita Lebon. D‟une manière générale, l‟attitude du pasteur Lebon ne fut pas, au cours de nos premières rencontres, très différente de celle d‟autres pasteurs que j‟avais rencontrés les mois précédents. Néanmoins, il me donna une plus grande marge de manœuvre pour continuer à fréquenter les cultes des fins de semaine et ceux durant la semaine. J‟arrivai ainsi à tisser un bon rapport avec lui au cours du mois suivant, à tel point que, croyant avoir conquis sa confiance, j‟acceptai à me faire prophétiser. Ce geste fut interprété comme l‟entrée d‟un nouveau fidèle dans l‟église du fait que j‟avais reconnu publiquement l‟autorité religieuse de l‟Église et du Pasteur6

. Enfin, les inégalités que le chercheur relève sur terrain ouvrent la voie à des considérations sur la posture et la qualité des relations de ce dernier avec ses informateurs et amis, et avec toute personne avec lesquelles il entre en contact. Il va sans dire que le fait d‟être blanc et européen a des implications importantes sur la construction des relations sur terrain. Il me semble utile de rappeler que plusieurs auteurs ont insisté sur la

nature déséquilibrée de la relation entre l‟anthropologue, qui possède généralement ses propres ressources, et les populations auprès desquelles il vit qui, en revanche, en ont très peu. Ces auteurs insistent sur la différenciation entre ce qui peut être interprété comme singularité culturelle et ce qui, en revanche, est le résultat des inégalités sociales et des violences structurelles dans lesquelles nos interlocuteurs sont insérés (Farmer 1999 ; Scheper-Huges 1992 ; Taliani 2006).