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L’ESSOR DE LA « PARENTÉ RESPONSABLE » ET LE DÉBAT SUR LES « NAISSANCES DÉSIRABLES »

DYNAMIQUES FAMILIALES ET POLITIQUES DE L'ENFANCE

2. DYNAMIQUES FAMILIALES

2.5 L’ESSOR DE LA « PARENTÉ RESPONSABLE » ET LE DÉBAT SUR LES « NAISSANCES DÉSIRABLES »

Pendant l‟âge d‟or de l‟UMHK, l‟employeur ne regardait pas aux problèmes qu‟une progéniture nombreuse, soutenue par un paternalisme envahissant, provoquait vis-à-vis de l‟autonomie des familles. C‟est autour des années 1970, après l‟indépendance, que quelques sonnettes d‟alarme furent tirées. L‟expression « parenté responsable » fit son apparition. Le débat sur ce thème, accompagné de celui sur l‟autre grand thème de l‟époque, la limitation des naissances, prit de l‟importance car le taux de croissance démographique dépassait largement le taux de croissance économique. L‟écart entre l‟indice démographique et l‟indice économique conduisit à des réflexions sur la mentalité à adopter après plus de dix ans d‟indépendance. À l‟instar d‟autres pays « en voie de développement », le passage à une politique de limitation des naissances était vu au Congo comme obligé, avec une évolution des mœurs sociales et sexuelles de la population congolaise. Une étape évolutive nécessaire pour le développement du pays vers une société moderne et technologique. L‟approche supposait une évolution par étapes des sociétés humaines.

L‟époque postcoloniale se caractérisa donc par un questionnement sur le modèle de développement à suivre. Tout comme à l‟époque coloniale, le dispositif de contrôle des naissances était au centre du débat. Contrairement à l‟époque de l‟Union Minière toutefois, le modèle à suivre insistait sur une rationalité économique de type « malthusien17», dont la base était le rapport entre la croissance démographique et la croissance économique.

Le Dr Ngoy-Kizula remettait en question « l‟esprit » tourné vers l‟« État-clan » des Congolais, selon qui ces instances devaient continuer à subvenir aux besoins de

17 Il est intéressant de constater que la théorie de Malthus avait été, à cette époque, prise comme base de référence théorique par de nombreux observateurs. Dans nombre d‟articles parus dans les bulletins CEPSI, la théorie malthusienne est citée à l‟aide de longs extraits. Le Dr Ngoy-Kizula, par exemple, concluait son article de 1973 par une citation de Malthus. Une citation qui insistait particulièrement sur la nécessité de limiter et de contrôler les naissances à travers la séparation de la « sexualité de la fécondité », en valorisant la « raison humaine, prévoyante et préventive » (Ngoy-Kizula 1973 : 67). Dans un article du CEPSI ayant trait au « bien-fondé d‟une politique des naissances désirables au Zaïre », l‟auteur va dans le même sens. Les extraits proposés par l‟auteur soulignent l‟importance du contrôle de l‟homme sur les ressources disponibles par rapport à sa capacité à élever une progéniture dans le bonheur (Maneng-ma-Kong 1976 : 65).

66 chaque famille en matière d‟instruction, de santé et d‟habitat (ibid. : 64). Le problème fondamental posé par l‟auteur tournait autour de la « mentalité » des Congolais qui devait s‟orienter vers une gestion « responsable » de la famille et des naissances par rapport à une gestion déresponsabilisée, plus tard définie comme « irresponsable », héritage du paternalisme clanique et, par la suite, colonial. Pour citer encore l‟article du Dr Ngoy-Kizula :

« Je ne voudrais pas ici […] vous décrire ce que pourrait être notre société de demain si la croissance démographique se poursuivait au rythme actuel. Il faut espérer de la part de chacun de nous et de la part de la collectivité une prise de conscience individuelle et collective […] Aujourd‟hui et demain encore davantage, il nous faudra supporter les études de nos enfants, leurs soins médicaux, etc. D‟où la nécessité de contrôler les naissances et d‟avoir autant d‟enfants auxquels nous pouvons assurer une vie meilleure » (ibid. : 65).

Une série d‟autres articles en faveur du bien-fondé d‟une politique de contrôle de naissances parurent dans les bulletins CEPSI dans le courant des années 1970. Dans ces textes, rédigés par des docteurs et des professeurs de l‟Université du Zaïre, et par des professionnels de divers domaines scientifiques, le contrôle de naissances était présenté comme une politique nécessaire pour le développement du pays au sens occidental. Pour démontrer la solidité de ces arguments, les auteurs s‟investissaient dans une minutieuse analyse de domaines sensibles à la politique du contrôle des naissances : l‟alimentation, la santé (notamment celle des femmes et des enfants), l‟hygiène, l‟éducation scolaire. Les observateurs affirmaient que, pour améliorer ces aspects de la vie de tout Congolais, il était nécessaire de réguler les naissances en fonction des moyens financiers à disposition. De cette manière, chaque famille pouvait garantir une alimentation correcte, les soins de santé et la scolarisation de chaque enfant. Il s‟agissait, selon ces observateurs, d‟une question de « responsabilité », de « civilisation » et de mesures nécessaires pour s‟adapter à la société « moderne » et « technologique ».

À côté de ces aspects en faveur du contrôle des naissances, d‟autres d‟ordre moral étaient glissés plus subtilement afin d‟étayer les arguments en faveur du couple monogame, du foyer stable, de la fidélité conjugale. La sous-alimentation et la mauvaise

alimentation étaient, par exemple, imputées aux cas de divorces de plus en plus nombreux ; la précarité de la santé des enfants ou la non-scolarisation de ces derniers étaient souvent attribuées au manque d‟éducation des pères (Mvita, Talleyrand et al. 1979).

L‟état de santé des enfants restait, selon ces mêmes auteurs, tributaire du « statut financier » du père et « de son niveau d‟information » (ibid. : 119). Le père avait donc la responsabilité de la bonne compréhension de la nécessité d‟une alimentation saine et variée pour l‟enfant, de l‟importance du calme dans le foyer et de la scolarisation des enfants. Les recommandations d‟ordre médical ou éducatif glissaient souvent vers des recommandations d‟ordre moral, comme dans ce passage :

« C‟est lui [le père] qui doit comprendre […] la nocivité de certaines tentations dont ils sont les premiers sinon les seuls à en pâtir. Ainsi en est-il de l‟alcoolisme, du divorce et de l‟entretien de plusieurs ménages » (ibid. : 119).

La malnutrition des enfants était l‟une des préoccupations les plus prégnantes. La question de la nutrition de l‟enfance était, encore une fois, orientée vers une éducation de type moral, en faveur de la famille nucléaire et monogame comme le lieu le plus approprié pour le développement des enfants.

Dans un autre article de 1977, les auteurs énonçaient une série de « syndromes sociaux » (Mvita et Talleyarand 1977 : 106) à la base de la malnutrition de l‟enfant et dont les femmes étaient les premières victimes. Dans le texte, sont cités le « syndrome de la fille-mère », dont les symptômes sont la paternité inconnue et l‟abandon précoce des études par les femmes ; le « syndrome du deuxième bureau », c‟est-à-dire que la femme, deuxième ou troisième épouse, souffre de négligence de la part de son mari ; le « syndrome du divorce » ; celui d‟« une mère qui travaille » ; celui de la « marâtre » dont la « méchanceté [est] légendaire à l‟égard des enfants d‟un premier lit », ce qui explique « le peu de soins accordés [aux enfants] et donc la possibilité pour ceux-ci de développer une malnutrition » (ibid. : 107).

Nous pouvons constater qu‟un sujet strictement médical se transformait en une question d‟éducation morale. L‟éducation morale sur la parenté responsable reprenait des

68 idées qui, de toute évidence, étaient l‟héritage de la colonisation. Toutefois, les mêmes idées de droiture de l‟homme, du rôle du père dans la famille nucléaire, devaient être fonctionnelles selon une logique inverse : contrairement à la politique nataliste des années 1930 et 1940, dans les années 1970 on recherchait une diminution et un contrôle des naissances en insistant sur la responsabilité individuelle dont chaque homme et femme devait se charger au moment du mariage.

Le discours sur la « planification familiale » était donc fortement argumenté sur des bases scientifiques, médicales et, surtout, morales. Les connotations culturelles que le contrôle de naissances comportait étaient ignorées ou, au mieux, taxées, comme nous avons déjà vu, de superstitions ou tabous sexuels. Au nom de la modernité, du développement et du progrès, l‟étape de la planification familiale devait être franchie. Dans ce sens, on peut citer l‟article ci-dessous :

« L‟ère des familles nombreuses prises en charge par la collectivité est bien révolue. La responsabilité des enfants est devenue individuelle. Les exigences économiques de la vie actuelle imposent une nécessité de planifier les naissances afin d‟avoir autant d‟enfants que notre situation matérielle nous le permet. […] En définitive, ce qu‟il faudrait pour les parents de nos pays, c‟est une révolution sur le plan des mentalités, une véritable révision de toute une civilisation et son adaptation aux structures du moment » (ibid. : 123).

2.6 FAMILLE, TRAVAIL ET PROVIDENCE DANS LA PÉRIODE DE TRANSITION