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L’INSTALLATION DES SALÉSIENS AU KATANGA

DYNAMIQUES FAMILIALES ET POLITIQUES DE L'ENFANCE

3. LES SALÉSIENS DE DON BOSCO

3.1 L’INSTALLATION DES SALÉSIENS AU KATANGA

3.1 L’INSTALLATION DES SALÉSIENS AU KATANGA

Les six premiers missionnaires salésiens arrivèrent à Elisabethville27 en 1911 pour répondre à l‟appel du gouvernement belge par l‟intermédiaire du cardinal Mercier, archevêque de Malines, qui demandait l‟installation d‟une mission salésienne parmi les Noirs congolais.

La première expédition fut conduite par le père belge Joseph Sak. Les premiers objectifs des missionnaires au Katanga étaient « l‟enseignement primaire et secondaire pour enfants blancs et l‟enseignement professionnel pour la jeunesse noire28

». La lutte contre l‟analphabétisme et l‟encadrement de la jeunesse délaissée devint bientôt le fondement qui inspirerait le travail de la congrégation, comme l‟exprima d‟ailleurs le père Joseph Sak :

26 À titre d‟exemple, la fondation Bralima, une brasserie congolaise très connue, transmet régulièrement à la télévision locale des publicités où l‟on montre tantôt l‟inauguration d‟un petit poste de santé, tantôt la remise de quelques lits à un hôpital, l‟installation d‟un puits dans une maternité d‟un village. Le caractère populiste de ce système est bien mis en évidence par le slogan qui accompagne les campagnes publicitaires de la Bralima : « S‟investir pour le bien-être du Congolais ».

27 Aujourd‟hui Lubumbashi.

28 C‟est ce qu‟on peut lire dans une monographie de 1961 intitulée Cinquantenaire des œuvres de Don

Bosco en Afrique centrale 1911-1961, rédigée par le diocèse de Sakania à Elisabethville. Il s‟agissait

d‟ailleurs du système classique d‟implantation des missions salésiennes. La congrégation s‟occupait en premier lieu, partout là où elle implantait ses écoles, des immigrants européens et de leurs enfants. En deuxième lieu venait la formation des jeunesses indigènes. Ceci n‟est pas anodin car cela met en lumière de quelle manière l‟évangélisation, dans ses premières phases de déploiement, suivait la route de l‟impérialisme des nations européennes.

88 « Ce serait manquer à l‟un des plus grands devoirs qui nous incombent comme colonisateurs que de penser que, pour les pauvres délaissés, nous n‟avons qu‟à les laisser vivre au soleil et que nous pouvons les abandonner à eux-mêmes. L‟enseignement professionnel est un grand moyen de rapprocher le jeune indigène de la vraie colonisation ; car cet enseignement possède en soi ces mille occasions de favoriser en même temps que l‟instruction l‟éducation morale du jeune Noir » (Ntambwe 1979 : 148).

En mars 1914, les Salésiens furent envoyés en milieu rural, à Bunkeya, capitale du royaume de M‟siri, dans la partie sud de la province, aujourd‟hui correspondant au diocèse Kipushi-Sakania, et ils reçurent le droit à l‟évangélisation directement du préfet apostolique du Katanga29 de l‟époque, Mgr Jean-Félix de Hemptinne30. Toutefois, les phases initiales de l‟œuvre salésienne furent, en dépit de cette vocation, orientées par des ordres supérieurs vers l‟enseignement pour les Blancs de la ville et vers la direction d‟une école professionnelle pour élèves noirs31.

Les premières années de l‟œuvre salésienne donnèrent somme toute de maigres résultats. À partir des documents rédigés par les premiers missionnaires arrivés au Katanga, on peut apprendre que les efforts pour scolariser la population indigène rencontrèrent des obstacles de différentes natures (Ntambwe 1979). Selon les Salésiens débarqués au Congo, la population indigène, encore largement rurale, peinait à comprendre l‟utilité de l‟enseignement européen. Les missionnaires déploraient

29 Du point de vue de la division ecclésiastique, le Katanga appartenait à la préfecture apostolique sous la tutelle des pères bénédictins. En 1914, cette dernière confia aux Salésiens la partie méridionale de la région. En 1925, le Saint-Siège éleva la mission de Sakania au rang de préfecture apostolique du Haut Luapula. En 1959, enfin, fut instituée la Province salésienne d‟Afrique centrale (AFC) regroupant trois pays : Congo, Rwanda et Burundi. Elle se détacha de la Province de Belgique, devenant le seul cas parmi les missions salésiennes à être indépendante de la tutelle d‟un siège en Europe.

30 Jean-Félix Hemptinne était un père bénédictin. Il fut d‟abord préfet apostolique d‟Elisabethville, puis vicaire apostolique et, en 1932, devint évêque du diocèse Kipushi-Sakania (D‟Ydewalle 1960 : 87). C‟est un personnage controversé de l‟histoire de l‟évangélisation congolaise, accusé d‟avoir des idées assimilationnistes plutôt extrêmes. Il appartenait à une dynastie de grands industriels du textile gantois, raison pour laquelle il était vu comme étant proche des grandes congrégations capitalistes dont une place importante était occupée par l‟Union Minière du Haut-Katanga (ibid.). Il fut l‟auteur d‟un article paru dans la revue Congo (1926) sur le Katanga précolonial intitulé Les Mangeurs de cuivre.

31 Il s‟agissait du « complexe scolaire » Saint-François-de-Sales, aujourd‟hui appelé Imara. À l‟époque coexistaient au même endroit les deux écoles : le collège pour les enfants européens et l‟école professionnelle pour les jeunes congolais. Toutefois, cette coexistence fut, après la Première Guerre mondiale, considérée comme nuisible à l‟« épanouissement des deux écoles », ce qui déclencha le transfert en brousse, à Kafubu, de l‟école professionnelle.

également des obstacles d‟ordre structurel : la carence de moyens de transport et de routes carrossables empêchait la fréquentation des écoles de beaucoup d‟enfants provenant de lieux plus ou moins lointains. Et les maladies comme la malaria, qui à l‟époque ravageaient la région, rendaient plus difficile la fréquentation de l‟école. Les Églises protestantes et les missions méthodistes rivales installées en ville constituaient un autre obstacle. Les Méthodistes, dès leur implantation, s‟étaient préparés à la vie en ville, contrairement aux Salésiens qui étaient supposés, selon les programmes initiaux, s‟installer dans la campagne congolaise. La confrontation pour s‟emparer du pouvoir religieux en ville fut finalement remportée par les Salésiens grâce à l‟appui de la congrégation des Bénédictins dont ils étaient relativement proches depuis leur arrivée au Katanga à travers la figure du vicaire apostolique Jean-Félix de Hemptinne32.

La lutte pour le pouvoir religieux, qui cachait en réalité des enjeux fonciers et d‟influence politique, ne s‟arrêta par là car la résistance opposée par l‟Église méthodiste fut prolongée par la présence de sectes sécrètes, formellement interdites par le gouvernement colonial. La présence de sectes secrètes est mentionnée par une loi du Congo belge qui prescrivait les attitudes que les administrateurs coloniaux devaient avoir à leur égard (cf. Les Lois du Congo Belge : 193533).

Le mouvement Kitawala fut l‟une des sectes les plus actives de l‟époque. Il opérait dans les zones katangaises frontalières avec l‟actuelle Zambie. La présence de mouvements syncrétiques et antagonistes au christianisme fut un facteur important de la multiplication des écoles salésiennes dans la partie sud de la province. En effet, la première phase d‟expansion du réseau salésien (1914-1930) avait pour but d‟occuper le plus possible les territoires frontaliers avec la Rhodésie du Nord (actuelle Zambie). À travers l‟implantation à Kiniama et Sakania d‟écoles rurales de premier degré (écoles

32 Les rapports entre le vicaire apostolique Jean-Félix de Hemptinne et la congrégation des Salésiens furent toujours prolifiques et d‟étroite collaboration. Jusqu‟en 1954, de Hemptinne demandait l‟aide à la congrégation salésienne pour créer des écoles professionnelles dans les nouvelles agglomérations indigènes qui se développaient sans cesse. En particulier en 1959, les pères bénédictins cédèrent aux Salésiens la mission de Kasenga.

33 La loi du Congo belge en matière de sectes secrètes affirme que « les administrateurs territoriaux doivent examiner, dans la mesure du possible, toutes les sectes secrètes qui sont portées à leur attention. Ils se garderont de les encourager, car elles peuvent toujours devenir un danger. Les sectes qui n‟ont pas de but blâmable seront surveillées avec prudence. Celles qui sont dangereuses à la moralité des indigènes, ou qui commettent des crimes rituels ou d‟autres infractions de la loi, ou qui compromettent la paix du pays, seront fermement supprimées » (cf. Les lois du Congo belge 1935).

90 élémentaires) caractérisées par un esprit « chrétien-patriote », les prêtres salésiens visaient à maintenir l‟influence sur ces zones exposées au risque d‟ingérence extérieure (Ntambwe 1979 : 150). En outre, en s‟occupant des populations rurales, ils pouvaient enfin réaliser leur vocation de d‟aider des jeunes défavorisés, vocation qui avait été déviée au commencement de leur mission évangélisatrice. Les Salésiens trouvèrent ainsi dans l‟éducation religieuse des masses rurales un moyen à la fois de remplir leur vocation pédagogique et de garantir l‟avenir de l‟évangélisation catholique au Congo.

Durant cette phase, l‟enseignement se distinguait difficilement de l‟évangélisation. Le contenu des programmes d‟enseignement primaire demeurait élémentaire et essentiellement religieux. L‟essence de l‟enseignement salésien se basait, en outre, en grande partie sur le travail manuel. Compte tenu de la vocation agricole des milieux dans lesquels les Salésiens opéraient, l‟enseignement manuel s‟attacha ainsi à développer un esprit voué au travail et à « l‟effort continu ». Dans les écoles rurales de premier degré, l‟enseignement dit classique (littéraire ou mathématiques avancées) était considéré comme de faible utilité. Les enfants fréquentant les écoles rurales passaient donc plusieurs heures à une éducation rurale et à l‟exploitation de petits lots cultivables. À côté de l‟enseignement du travail manuel quotidien, une grande importance était donnée à l‟hygiène personnelle et à la morale religieuse, et en particulier aux leçons sur l‟hygiène corporelle, le soin des plaies, une alimentation correcte et la propreté des vêtements. Chaque jour à l‟école, les enfants étaient examinés au niveau de la propreté.

L‟objectif de discipliner une enfance nullement habituée à l‟enseignement scolaire de type européen fut toutefois difficile à atteindre. Attirer les enfants à l‟école et les y maintenir n‟était pas facile. Les missionnaires recoururent ainsi aux moyens les plus divers tels que la fanfare, le scoutisme, les jeux, les pièces de théâtre jouées en kibemba34. L‟objectif était, en premier lieu, de familiariser les enfants avec la mission et par la suite d‟entamer l‟apprentissage de quelques rudiments de lecture, d‟écriture et de religion (ibid.). En deuxième lieu, les missionnaires formèrent des instituteurs congolais. Le rôle éducatif joué par ces derniers était considéré comme fondamental. Ils devaient

représenter un modèle pour les gens de la communauté de manière à « rayonner autour d‟eux la civilisation » (POE 1924 : 1).

L‟attention portée à l‟éducation des enfants était justifiée par le fait de vouloir atteindre, par l‟intermédiaire des plus jeunes, les familles. Les missionnaires considéraient l‟enfant noir comme un pion sur l‟échiquier du jeu d‟assujettissement des adultes. Ils regardaient les enfants comme des sujets facilement manipulables en vue de transmettre la foi chrétienne auprès des adultes. Ces derniers, contrairement aux enfants, étaient dans la plupart des cas considérés comme « incivilisables ». Selon Merlier, les missionnaires estimaient que : « Le nègre adulte est incivilisable, on peut lui donner un certain vernis de civilisation mais sa mentalité restera toujours la mentalité du Noir. Il faut donc prendre le Noir très jeune pour le civiliser. Le plus jeune possible » (Merlier 1962 : 219).

Le vif intérêt de la congrégation pour la prise en charge de l‟enfance et de la jeunesse s‟expliquait, à ce stade de l‟œuvre missionnaire, par la tentative d‟ingérence dans les communautés locales pour favoriser l‟émergence d‟une éthique chrétienne de l‟enfance. Les enfants, et les instituteurs indigènes préposés à leur formation, étaient considérés comme les seuls sujets en mesure d‟assurer une influence et une éducation des masses rurales. Il s‟agissait d‟une question de confiance : à travers eux, les missionnaires pouvaient réaliser un trait d‟union entre la mentalité européenne et la mentalité congolaise (POE 1924 : 1). En ce sens, les missionnaires salésiens avaient anticipé d‟une dizaine d‟années le système d‟ingénierie sociale qui allait être inauguré, à partir de 1928, par l‟Union Minière du Haut-Katanga. Les entreprises privées mirent sur pied, et cela grâce à l‟appui des missions, un système éducatif visant à créer dès le plus jeune âge des sujets obéissants et répondant à leurs nécessités de force de travail.