• Aucun résultat trouvé

théories, concepts et espaces d’évaluation

I UNE PRESENTATION DES APPROCHES DE LA PAUVRETE EN TERMES DE RESSOURCES

1. L’approche monétaire de la pauvreté

1.2. L’économie du bien-être et la pauvreté

1.2.2. Vers une définition de la pauvreté monétaire

Comme nous l’avons mentionné à plusieurs reprises, la problématique de la pauvreté n’est pas centrale chez les théoriciens du bien-être et du choix social. Pourtant, l’intérêt pour la mesure de la pauvreté est réel depuis plusieurs décennies, et il prend largement appui sur ces théories (Atkinson [1970], Deaton [1997, 2000], Laderchi, Saith, Stewart [2003]). En effet, le rejet des comparaisons interpersonnelles d’utilités consiste en un rejet des comparaisons d’états mentaux (au sens de Bentham et Mill). Or, comment ressentir la pauvreté et la souffrance dont sont victimes certaines catégories de personnes sans comparer leur état mental avec un état référentiel ? La réponse à cette question est à saisir dans l’objectivité de la valorisation monétaire du bien-être. En effet, comme l’avait soulevé Pigou, il est possible de convertir un état mental représenté par une fonction d’utilité en une valeur monétaire. Ainsi, cette valeur monétaire, c’est-à-dire ce que l’individu est prêt à payer pour obtenir un bien, représente de manière objective la satisfaction mentale que l’individu retirerait de cette consommation, son bien-être économique. Il paraît alors évident que le bien- être monétaire peut constituer une approximation du bien-être total de l’individu. La pauvreté que nous pouvons qualifier de welfariste serait donc un état dans lequel l’individu considéré ne possèderait pas suffisamment de ressources monétaires pour rendre maximal son bien-être économique ce qui correspond à la définition offerte par Ravallion [1998: 3, notre traduction] : « nous pouvons dire qu’une situation de pauvreté existe dans une société lorsque une ou plusieurs personnes n’atteignent pas un niveau de bien-être économique censé constituer un minimum raisonnable correspondant aux standards de cette société ».

C’est sur la base des premières études scientifiques de la pauvreté proposées par Booth et Rowntree qu’une approche plus moderne des études de situation de pauvreté a trouvé sa place en économie du bien-être. En effet, les études empiriques de la pauvreté se sont focalisées à partir des années 1970 sur des fonctions de bien-être socials pareto-optimales (Atkinson [1970]) qui avaient comme arguments, les niveaux de bien-être économiques des ménages. La pauvreté est alors définie comme une situation de manque de ressources monétaires permettant aux ménages de se procurer les éléments nécessaires à la survie des membres les composant. La question de l’identification des populations concernées est alors primordiale. Pour un ciblage efficace des politiques économiques de lutte contre la pauvreté, il est indispensable de connaître et d’identifier les groupes vulnérables. En ce sens, l’approche monétaire de la pauvreté permet d’établir une distinction entre groupes pauvres et groupes

non-pauvres. Cette approche duale de la pauvreté repose sur l’élaboration d’un seuil minimal de revenu ou de consommation sous lequel les ménages sont réputés pauvres. Ce seuil est communément appelé ligne de pauvreté puisqu’il sépare de manière objective les deux catégories d’individus. Il s’agit, alors, de déterminer la valeur du seuil considéré. Si l’on s’intéresse à une ligne de pauvreté en termes de revenu, il s’agit, en fait, de déterminer un niveau minimal de conditions de vie socialement acceptables (Lok-Dessalien [1998])71. La Banque mondiale fixe deux seuils de pauvreté absolue : un premier seuil fixé à 2$72 par tête et par jour et un seuil d’extrême pauvreté fixé à 1$ par tête et par jour. Selon la deuxième ligne de pauvreté, il y aurait, en 2001, plus d’un milliard73 d’individus pauvres, soit 21,1% de la population mondiale (Banque mondiale [2005b]). Toutefois, cette ligne de pauvreté absolue, en étant « décontextualisée »74, ne prend pas en compte les spécificités locales, sociales et économiques. Et le risque serait de « prescrire » plutôt que de « décrire » les normes existantes, « le risque de basculer de la description à la prescription est d’autant plus important que les goûts sont hétérogènes »75.

Une solution a alors été proposée. La ligne de pauvreté doit prendre en compte la spécificité de la situation socio-économique et du contexte local pour représenter fidèlement l’état des privations dont sont victimes les populations. Cette ligne de pauvreté monétaire relative est alors construite comme étant un pourcentage du revenu moyen ou médian (Fuchs [1967], Lansley [1980]). Ce revenu moyen correspond aux normes sociales de consommation d’un ménage représentatif. Ces normes évoluent donc au flux des évolutions du dit ménage. En ce sens, la ligne de pauvreté est flottante, elle évolue dans le temps. La différence principale entre une ligne absolue et une ligne relative repose sur le fait que la ligne absolue dépend du niveau de vie des plus défavorisés contrairement à la ligne relative, centrée sur le bas de la distribution (Hourriez, Legris [1998]).

71 Nous verrons, un peu plus loin, une autre méthode de détermination d’une ligne de pauvreté, basée soit sur les

normes nutritionnelles, soit sur le coût d’un panier de besoins de base.

72 Les lignes de pauvreté de 1$ et 2$ sont exprimées en Parité de Pouvoir d’Achat au prix constant de 1985. Une

nouvelle estimation peut être utilisée en fixant une ligne de pauvreté à 1,08$ par jour et par tête au prix constant de 1993 (Deaton [2001]). Toutefois, Chen et Ravallion [2000] montre qu’il est plus pratique de se référer à la ligne de pauvreté de 1$ par jour et par tête.

73 Pour éviter une surestimation de la pauvreté, les institutions internationales ont pour habitude de calculer ses

indicateurs avec et sans la Chine. Le chiffre fourni ici représente le nombre de pauvres à l’exclusion de la Chine. Pour une prise en compte de la Chine se reporter à Banque mondiale [2005].

74 Ponty [1998]. 75

Un dernier point sur lequel il est important de s’arrêter concerne le niveau d’agrégation retenu. Par définition, la pauvreté serait un phénomène individuel, qui dépend en partie de données anthropométriques. Toutefois, la collecte des données ne s’effectuant, en général, qu’au niveau du ménage, il est nécessaire de trouver une méthode pour exprimer de la manière la plus fine le bien-être des individus. En désagrégeant les données au niveau individuel, il est possible de mettre en lumière les discriminations intra-ménages, notamment en défaveur des femmes et des enfants. Il serait possible de diviser le montant total de revenu ou de dépenses de consommation par le nombre de personnes constituant le ménage, mais des problèmes surviennent alors. Cela implique, par exemple, l’hypothèse d’équi-répartition du revenu au sein du ménage, chaque individu ayant les mêmes caractéristiques et les mêmes besoins (Deaton [1997]).

De plus, cette moyenne par individu ne prend pas en compte du phénomène d’économies d’échelle. Le fait d’habiter au sein d’un ménage de plusieurs individus peut permettre à chacun de bénéficier de la présence des autres et de profiter de la consommation par le ménage de biens publics sans occasionner de frais supplémentaires. Tous ses éléments militent en faveur d’un abandon d’une évaluation de la pauvreté par tête. Une autre méthode doit être engagée. Selon Deaton, il s’agirait de proposer un système de pondération dans lequel chaque membre du ménage aurait un poids différent. Chaque individu ne compterait plus pour un76, mais sa participation serait transformée en un équivalent adulte, c’est-à-dire que sa contribution au ménage serait exprimée en référence au premier adulte. Par exemple, le poids d’une épouse ne serait pas le même que celui du chef du ménage77, tout comme les enfants. Les méthodes de détermination des pondérations sont multiples et nous y reviendrons dans la partie méthodologique. Toutefois, une remarque d’importance peut être faite ici. Le choix de l’échelle d’équivalence et du coefficient d’économie d’échelle revêt une importance primoridale. En effet, de nombreux auteurs ont montré que les choix méthodologiques avaient un impact sur l’évaluation de la pauvreté. Szekely et alii. [2000] ont montré qu’une disparité des taux de pauvreté au Mexique était due aux estimations différentes des échelles d’équivalence et des coefficients d’économie d’échelle. La sensibilité des mesures de pauvreté aux choix méthodologiques est indéniable et la définition de la pauvreté monétaire reste, aujourd’hui encore, matière à constantes améliorations.

76 On s’éloigne de l’idéal utilitariste ici puisque chaque membre du ménage n’a pas le même poids,

contrairement aux recommandations du principe d’utilité. cf. supra.

77

Pour conclure, nous pouvons définir la pauvreté comme un état matériel (manque de ressources monétaires) de certaines catégories de la population et qui représente de manière approchée (proxy) la souffrance mentale (niveau d’utilité inférieur à une certaine norme sociale) dont sont victimes ces populations. Le caractère matériel de cette base informationnelle, la focalisation sur un indicateur unique de bien-être (le bien-être économique représenté par l’utilité et par la consommation) et la spécificité sacrificielle de l’utilitarisme (le bien-être d’un individu peut être sacrifié sur l’autel de l’efficacité parétienne) posent de nombreux problèmes tant théoriques que pratiques. Trois types de réponses à ces limites sont maintenant présentées : le premier type est philosophique, le second pragmatique et le troisième se concentre sur le caractère non opératoire de l’utilitarisme. Ce sont ces trois théories que nous allons présenter maintenant. Les deux premières offrent une réponse en termes de ressources, la troisième que nous verrons plus loin, apporte une réponse en termes de libertés.

2. Les approches en termes de biens et de besoins : la notion de manque au

Outline

Documents relatifs