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convergences théoriques

II L’APPORT DES CAPABILITES DANS L’APPREHENSION DE LA PAUVRETE MULTIDIMENSIONNELLE

A- être capable de vivre avec les autres et pour les autres, d’exprimer de la compassion pour autrui, de développer des interactions sociales, avoir à la fois un

2. Fonctionnements, biens premiers et besoins de base : une seule et même base informationnelle ?

2.1. Le fétichisme des biens premiers et ses limites économiques

2.1.2. La riposte de Rawls

Suite aux critiques formulées par de nombreux penseurs, John Rawls n’a cessé depuis la publication de Théorie de la Justice d’apporter corrections, annotations ou encore précisions concernant l’énoncé de sa théorie qui paraissait, pour certains, pour le moins obscure Rawls a ainsi multiplié durant les décennies quatre-vingts et quatre-vingt dix, les conférences et interventions pour préciser sa pensée. Nous nous appuierons dans cette section sur trois ouvrages de Rawls, les deux premiers consistant en des recueils d’interventions tandis que le troisième n’est autre que le dernier ouvrage du philosophe Justice comme Equité : une reformulation de la Théorie de la Justice paru en France en 2003, soit un an après sa mort.

La première correction concerne le caractère « politique » de sa théorie. En effet, dans Théorie de la Justice, Rawls n’avait pas assez insisté sur le fait que la justice comme équité était avant tout une conception politique de la justice et non pas, comme l’avaient souligné les communautariens (Walzer [1983], Taylor [1985], Sandel [1998]), une théorie métaphysique

voire ontologique. Sa conception est politique dans le sens où elle refuse de privilégier une vision normative du bien pour respecter les libertés fondamentales individuelles d’exprimer une conception du bien. Cette vision du bien, nous dit Rawls [1993: 219], consiste « en un système plus ou moins déterminé de fins ultimes, c’est-à-dire que nous souhaitons réaliser pour elles-mêmes » prenant place dans un modèle de démocratie constitutionnelle. Ainsi, Rawls précise qu’il ne prétend pas proposer un modèle universel mais une théorie du contrat moral qui conduirait, dans la situation de position originelle, à l’adoption de principes de justice impartiaux et équitables énoncés dans Théorie de la Justice. L’acceptation d’une conception politique de la justice ne peut s’effectuer que par ce que Rawls appelle consensus par recoupement (overlapping consensus), c’est-à-dire le processus d’adoption de principes par chacune des doctrines philosophiques, religieuses ou morales qui règnent dans la société. Cette conception politique s’oppose alors à toute doctrine qui engloberait de manière systématique les divers aspects de l’existence humaine, comme le suggéraient les critiques qui voyaient dans sa théorie une conception compréhensive qui ne permettait pas de considérer la diversité et le pluralisme des sociétés. Citons Rawls [2001 : 33] pour qui : « La justice comme équité est une conception politique de la justice élaborée pour l’objet spécifique qui constitue la structure de base d’une société démocratique moderne. Dans cette mesure, sa portée est moins étendue que celle des doctrines morales englobantes telles que l’utilitarisme, le perfectionnisme ou l’intuitionnisme. Elle se concentre sur le politique (sous la forme d’une strucutre de base), qui n’est qu’une partie du domaine moral. »

Rawls introduit dans son exposé la notion de « fait du pluralisme » suite aux critiques communautariennes portant sur l’individualisme libéral de Rawls (une théorie individualiste qui ne prend en compte ni la nature de la communauté ni le rôle protecteur de l’Etat). Le libéralisme politique reconnaît l’existence d’un pluralisme des doctrines morales dans une société démocratique – doctrines incommensurables entre elles et inconciliables mais pourtant raisonnables – dans lesquelles les citoyens (libres et égaux) puisent leur conception du bien. Il reconnaît qu’il est impossible sauf en présence d’un Etat répressif d’éliminer cette diversité et tient ce pluralisme (Rawls [2001: 122] ) « pour un trait permanent d’une société démocratique, et nous considérons qu’il caractérise ce que nous pouvons appeler les circonstances subjectives de la justice ». Ainsi Rawls, en tenant compte des critiques communautariennes, a enrichi sa théorie par l’introduction de la notion de diversité.

A partir de 1981, Rawls redéfinit son premier principe de justice, en transformant l’expression « système total le plus étendu » en « système pleinement adéquat ». Si l’on prend en compte le premier énoncé, il vient à l’idée que la liste des libertés de base doit être la plus étendue possible, c’est-à-dire qu’on ne fait cas que de l’aspect quantitatif du système sans considérer que certaines libertés peuvent être plus importantes que d’autres et que le meilleur système est celui le plus étendu210. Or, ces libertés doivent conduire le citoyen a pouvoir exprimer ses deux caractéristiques fondamentales (un sens de la justice et une conception du bien), donc garantir à tous les citoyens les conditions sociales nécessaires au développement adéquat de ces facultés (Rawls [1993]). La définition des libertés se fait de deux manières : l’une historique, reposant sur l’élaboration d’une liste de libertés et droits fondamentaux issus de différents régimes et expériences démocratiques, la seconde analytique, considérant les libertés qui sont susceptibles, a priori, de fournir les conditions politiques et sociales pour l’exercice des deux facultés morales du citoyen. Rawls privilégie la seconde puisqu’elle permet de relier libertés de base à la définition de la personne dans la théorie de la justice comme équité, c’est-à-dire l’individu en tant que citoyen qui prend conscience de sa personne mais aussi de celle des autres membres de la communauté. En réaffirmant ce premier principe de justice et en adoptant une position plus claire quant à la priorité de certaines libertés, Rawls ne fait que répondre en partie aux critiques concernant son individualisme abstrait. En effet, s’il accepte le fait du pluralisme, Rawls considère toujours que l’individu, derrière son voile d’ignorance, agit pour lui-même et seulement pour lui-même.

Rawls défend sa position en stipulant que les biens premiers intègrent déjà l’idée que les citoyens possèdent des facultés morales d’êtres libres et égaux, facultés qui leur permettent de prendre part à la vie de la société de manière coopérative. Rawls pousse sa réflexion en indiquant que (Rawls [2001: 231]) « cet indice (de biens premiers) est élaboré en se demandant quelles choses, compte tenu des capacités incluses dans la conception (normative) des citoyens comme libres et égaux, sont exigées par les citoyens pour préserver leur statut de membres libres et égaux et pour être des membres normaux et pleinement coopérants de la société ». Ainsi, les individus intègrent à leur conception de la justice le fait que cet indice représente le bien-être de chacun et Rawls d’ajouter qu’on ne saurait accepter des principes de

210 Pour l’auteur, c’est aux principes de justice de démontrer l’importance de certaines libertés de base sur les

autres, moins importantes. L’élargissement de cette liste à des libertés non primordiales pour une société bien ordonnée peut avoir pour conséquence d’affaiblir la protection de celles qui sont essentielles.

justice si l’indice ne garantissait pas ce que tous considèrent comme nécessaire aux intérêts de chacun.

Pour lui, l’approche qu’il défend ne fait pas abstraction des capabilités et, au contraire, semble (Rawls [2001: 231]) « les (prendre) en compte sous la forme des capabilités des citoyens considérés comme libres et égaux, en vertu de leurs deux facultés morales211. (…) Nous nous fondons sur une conception des capabilités et des besoins essentiels des citoyens, et les droits et libertés de base égaux sont spécifiés avec ces deux facultés morales à l’esprit ». Au total, il semblerait que Rawls considère que les capabilités sont bien présentes dans sa théorie de la justice sous la forme des deux principes moraux fondamentaux. Et, par- là même, les capabilités ne seraient qu’un élément, certes primordial, d’une théorie de la justice fondée sur les biens premiers.

L’indice des biens premiers, auquel Sen oppose un manque évident de flexibilité, repose sur trois caractéristiques essentielles. Premièrement, les biens ne sont pas « spécifiés dans le détail par des considérations disponibles dans la position originelle »212, seule une esquisse préliminaire est nécessaire, l’évolution de la société permettra de préciser les biens en détail. Deuxièment, les revenus et la richesse ne doivent pas être seulement considérés au niveau individuel puisque (Rawls [2001: 234]) « nous contrôlons, complétement ou partiellement, des revenus et des richesses non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant que membres d’associations et de groupes ». Enfin, l’indice de biens premiers est un indice de toutes nos attentes de ces biens au cours de nos vies. Ces attentes sont liées à la position de chacun des membres et les attentes des individus peuvent être les mêmes a priori, tandis que les biens qu’ils reçoivent effectivement sont différents a posteriori. Enfin, pour lui (Rawls [1995: 7]) : « le premier principe couvrant les droits égaux de base et les privilèges peut facilement être précédé par un principe lexicalement antérieur exigeant que les besoins de base des citoyens soient satisfaits, au moins dans la mesure où ils permettent aux citoyens d’être capables d'exercer leurs droits et privilèges. Un tel principe doit être assuré lors de l'application du premier principe. » Cette réponse permet à Rawls de justifier l’utilisation de son cadre théorique dans l’appréhension des situations de pauvreté, notamment sur la base de la satisfaction des besoins de base.

211 Deux facultés qui sont : (i) la capacité d’un sens de la justice, et (ii) la capacité d’une conception du bien. 212

Nous venons de voir que la théorie de la justice comme équité aussi critique soit-elle à l’égard de l’utilitarisme – qu’elle considère comme inadéquate pour analyser les inégalités et la justice sociale – ne permet pas de prendre en compte un aspect essentiel des toute société – qu’elle soit occidentale, démocratique, dictatoriale, en développement, etc. – à savoir les différences fondamentales entre tous les membres de la communauté. Même si Rawls a introduit « le fait du pluralisme » dans sa théorie pour répondre aux objections communautariennes, il n’a pas réussi parfaitement à intégrer cette diversité, notamment dans l’élaboration de sa liste de biens premiers. De plus, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprise, cette théorie aussi attirante soit-elle, ne peut se mettre en place que dans les sociétés démocratiques modernes occidentales. Son caractère prétendument universel nous contraint à l’abandonner pour nous concentrer sur une approche plus large dans son application, qui prend non seulement en compte les limites inhérentes à la théorie de la justice comme équité mais qui s’inscrit dans la logique aristotélicienne donnant une préséance à une conception de la vie bonne avant de juger dans quelles mesures une société régie par cette vision normative répond à des critères de justice. Enfin, un dernier argument qui émane de l’oeuvre de Rawls elle-même finit de nous convaincre. Pour lui (Rawls [1995: 7]) : « le premier principe concernant l’égalité des droits de base et des libertés peut facilement être précédé par un principe qui lui serait lexicalement prioritaire, nécessitant que les besoins essentiels des citoyens soient couverts, de manière à ce qu’ils permettent à ces citoyens de mettre en œuvre ces droits et ces libertés. Un tel principe doit être pris en compte lors de la mise en peuvre du premier principe de justice ». La priorité absolue des besoins de base dans la théorie de la justice de Rawls nous invite à nous intéresser à ces derniers et plus particulièrement à étudier les liens qui peuvent exister avec les fonctionnements accomplis.

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