• Aucun résultat trouvé

L’analyse en termes de capabilités : une appréhension complète de la pauvreté

théories, concepts et espaces d’évaluation

II LA PAUVRETE COMME PRIVATION DE CAPABILITES

2. L’appréhension de la pauvreté humaine en termes de capabilités et de fonctionnements

2.2. Pauvreté de capabilités ou pauvreté de fonctionnements ?

2.2.1. L’analyse en termes de capabilités : une appréhension complète de la pauvreté

La position de Sen sur ce sujet n’est pas définitive. Théoriquement, il considère que la pauvreté doit être évaluée sur la base de l’ensemble des fonctionnements potentiellement réalisables par les individus. L’approche par les capabilités ne considère pas la qualité de vie comme une réalisation de certains fonctionnements, mais comme la liberté effective que

142

possède un individu de réaliser les choix qui lui paraissent bons. En effet, selon lui, la liberté de pouvoir puiser certains fonctionnements parmi un ensemble varié d’alternatives est intrinsèquement importante : la capabilité « est un reflet de « l’épaisseur concrète » de la liberté »143. De plus, la capabilité est une combinaison des différents vecteurs de fonctionnements que l’individu peut accomplir. En se concentrant sur la capabilité, on prend en compte cette combinaison et les relations qu’entretiennent les fonctionnements entre eux. Brandolini et d’Alessio [1998] insistent sur le fait que dans l’ensemble des fonctionnements potentiels, certains ont une influence directe sur d’autres. Par exemple, le fonctionnement « savoir lire » conditionne la réalisation d’une multitude de fonctionnements, comme les fonctionnements « prendre part à la vie de la communauté » ou « obtenir un emploi », etc. Considérer les fonctionnements indépendamment les uns des autres ne permet pas de montrer qu’il existe des relations de renforcement mutuel entre ceux-ci. A l’inverse, si l’on considère l’ensemble capabilité, les interactions entre ces fonctionnements deviennent évidentes. Pour Robeyns [2000, 2003], il existe de bonnes raisons d’opter pour la capabilité plutôt que pour les fonctionnements accomplis. S’intéresser aux fonctionnements accomplis reviendrait à s’intéresser aux conditions de vie des individus (Robeyns [2000]). Or, rien n’indique dans ces réalisations si leur choix s’est fait librement ou s’il a été imposé par les conditions sociales, politiques ou communautaires à l’individu.

D’autres éléments entrent en jeu dans le choix des individus : deux personnes qui ont le même espace capabilité peuvent ne pas accomplir les mêmes fonctionnements pour une diversité de raisons : leur psychologie, leur histoire personnelle, leur conception personnelle de la vie bonne. Il apparaît donc nécessaire de prendre en compte l’ensemble des fonctionnements potentiels (les capabilités) plutôt que les accomplissements pour évaluer la qualité de vie. Robeyns et Kuklys [2004] insistent également sur l’importance du rôle joué par le choix. Si l’on compare trois ensembles capabilités, A={a}, B={a,b} et C={a,b,c}, il ne faut pas simplement s’intéresser aux réalisations a, b et c. Si, par exemple, l’individu réalise le fonctionnement a, il nous est impossible de différencier les situations puisqu’elles conduisent toutes au même niveau de bien-être. Par contre, si l’on considère l’étendue du choix qui s’offre à notre individu, il est clair que les situations ne sont pas équivalentes. Les fonctionnements potentiels sont plus nombreux dans le cas C que dans le cas B ou A. Selon Sen [1985], la perte de liberté de choix lorsque l’on passe de l’état C à l’état B, puis à l’état A,

143

doit être prise en compte dans l’évaluation du bien-être de la personne. Pour Robeyns et Kuklys [2004: 14, notre traduction] : « la valeur intrinsèque du choix consiste en deux éléments : l’acte de choix en lui-même (absent dans l’état A, présent dans les deux autres états) et l’étendue des options réalisables (la plus large dans l’état C) ». C’est cette valeur que l’espace capabilités permet de saisir contrairement à l’espace des fonctionnements accomplis. Elles rejoignent, en ce sens, Sen [1992: 68] pour qui le choix est « en soi une composante précieuse de l’existence, et une vie faite de choix authentiques entre des options sérieuses peut-être considérée – précisément pour cette raison – comme plus riche ».

Toutefois, il n’hésite pas à avancer plusieurs arguments au choix de l’espace des fonctionnements accomplis comme base d’évaluation de la pauvreté. Pour preuve, citons-le (Sen [1992: 79]) : « il est particulièrement important de bien noter qu’il n’y a, en ce qui concerne l’espace, aucune différence entre focalisation sur les fonctionnements et focalisation sur les capabilités. Une combinaison de fonctionnements est un point de cet espace, et la capabilité un ensemble de ces mêmes points. » La capabilité est définie à partir des mêmes variables focales que les fonctionnements, elle consiste juste en une combinaison de ces derniers. L’information est donc la même et certains fonctionnements permettent de considérer les options potentielles : par exemple (Sen [1992: 81], le fonctionnement « jeûner » n’est pas simplement être affamé. Il représente plutôt la capabilité « choisir d’être affamé lorsque d’autres options s’offrent à soi ». A contrario, le fonctionnement « être affamé » ne permet pas de distinguer la capabilité « pouvoir jeûner » de celle « ne pas pouvoir se nourrir ».

Sen, n’étant pas clair sur ce point (Sugden [1993]), se veut pragmatique. Selon lui (Sen [1992]) et d’autres auteurs (Brandolini, d’Alessio [1998], Chiappero-Martinetti [2000]), la collecte des données et les études statistiques permettent de clore ce débat. La collecte des données concernant les capabilités pose d’évidentes difficultés pratiques : la capabilité n’étant pas directement observable, « [elle] doit être construit[e] sur la base de présomptions. Donc, en pratique, on pourrait avoir assez souvent à se contenter de relier le bien-être aux fonctionnements accomplis – et observés – au lieu d’essayer d’introduire l’ensemble capabilité. […] Nous devons passer les compromis pratiques en ne perdant de vue ni (1) l’éventail de nos intérêts ultimes, ni (2) les circonstances contingentes de la disponibilité de

l’information »144. Il paraît évident que Sen, ici, se défausse en n’apportant pas de réponse concrète au problème essentiel de mesure des capabilités. Le vocabulaire utilisé – présomptions, contenter, essayer ou compromis – montre que Sen n’est pas serein quant à la mise en œuvre opérationnelle de son cadre d’analyse.

2.2.2. Les fonctionnements accomplis : une réponse pragmatique à l’évaluation de la

Outline

Documents relatifs