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Problématique de recherche et organisation de la thèse

Comme nous l’avons vu, les recommandations en matière de politiques économiques sont façonnées par une référence à un cadre théorique particulier. La succession des phases dans le discours sur la pauvreté peut laisser penser que les théories référentielles s’opposent quant à la définition de la pauvreté. Or, il est difficile de valider une telle affirmation tant le concept même de pauvreté est difficile à saisir. Le terme de « pauvreté », s’il est compris par tout le monde, n’en reste pas moins polymorphe et en constante évolution. Le sociologue et l’anthropologue proposent chacun une définition de la pauvreté en référence au champ disciplinaire qui lui est propre (Abbott [2001]). Chez l’anthropologue, le consensus quant à une définition précise des termes est loin d’être évident puisque la pauvreté est difficilement objectivable (Destremau [1998]).

La présente recherche propose d’aborder deux points qui aujourd’hui font débat. La question de la définition de la pauvreté, tout d’abord, la question de sa mesure, ensuite. Il s’agit donc, comme le souligne Sen [1976, 1999], de s’interroger sur deux phases distinctes lors de l’étude de la pauvreté. Premièrement, la phase d’identification des individus pauvres pose la question de la définition de la pauvreté. Ainsi, selon la définition retenue, la population caractérisée ne sera pas la même. Le critère d’identification, en d’autres termes l’espace informationnel, est alors primordial. Deuxièmement, la phase d’agrégation des

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L’indice de développement humain est un indice synthétique composé de trois indices dimensionnels représentant la longévité et la santé, le savoir et le niveau de vie. Pour une vision globale de la méthodologie de calcul de cet indicateur, le lecteur pourra se reporter à la note technique 1 du rapport 2005 du Pnud [2005 : 352- 353].

résultats permet d’évaluer, de manière quantitative, l’état de dénuement d’un groupe donné, d’une société particulière. Cette deuxième phase, dite de mesure du phénomène, permet également de comprendre les mécanismes d’occurrence de la pauvreté, d’en déterminer les facteurs les plus pertinents permettant de conduire à une dernière phase, celle des politiques de lutte contre la pauvreté28. La structure de la thèse respecte le caractère dual de l’étude de la pauvreté énoncé par Sen. Toutefois, la problématique qui sous-tend cette recherche va au-delà du débat sur les mérites et défauts respectifs des espaces informationnels et des outils de mesure qui leur sont associés. Dans ce sens, nous nous proposons d’analyser, les recoupements entre ces espaces informationnels. En effet, définir la pauvreté à partir d’un seul espace informationnel permet-il de saisir l’ensemble des privations dont sont victimes les populations indigentes ? La pauvreté ne serait-elle pas caractérisée par la simultanéité d’un ensemble de privations tant monétaires que non-monétaires ? De plus, une politique de lutte contre la pauvreté centrée sur une seule dimension permet-elle de circonscrire efficacement l’ensemble des facettes de la pauvreté et de ses déterminants ? L’architecture générale de la thèse respecte cette volonté de contribuer au débat, à la fois, de manière théorique lors de la première partie, mais également de manière empirique dans une seconde partie.

Le chapitre premier propose de revenir sur les apports conceptuels des différentes approches retenues dans le cadre de cette recherche (voir le tableau I-3). La démarche qui est la nôtre consiste à regrouper l’approche monétaire de la pauvreté et l’approche des besoins essentiels en ce que Sen qualifie d’approches ressourcistes et auxquelles il s’oppose (Sumner [2006]). Pour comprendre comment ces approches appréhendent la pauvreté, nous reviendrons dans une première section sur les fondements théoriques de l’approche monétaire et, plus particulièrement, sur sa filiation directe avec l’utilitarisme classique, de Bentham à Sidgwick.

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Cette phase de mise en oeuvre des politiques économiques n’est plus du resort de l’économiste. En revanche, une phase intermédiaire existe, celle des recommandations en matière de politiques économiques, lors de laquelle l’éconopiste apporte sojn soutien scientifique aux décisions politiques. Cette phase apparaîtra dans cette recherche lors de la conclusion.

Tableau I-3 : Présentation des espaces informationnels retenus

Approche monétaire Approche par les besoins essentiels

Approche par les capabilités

Espace informationnel Revenu/consommation Besoins essentiels

Capabilités/fonctionnements accomplis

Evaluation de la pauvreté Ressources Ressources Accomplissements

Type d'approche Unidimensionnelle Multidimensionnelle Multidimensionnelle

Source : auteur.

Nous insisterons également sur le choix historique du critère monétaire (le revenu) comme base de définition des situations de pauvreté. Nous nous intéresserons ensuite à la théorie de la justice de Rawls qui, si elle n’est pas une théorie du bien-être, permet tout de même d’envisager la pauvreté comme un état de privations. L’espace d’information qui lui est associé – les biens primaires – constitue une première ébauche des éléments informationnels mobilisés par l’approche par les besoins essentiels. Nous conclurons cette première section en montrant, comment, au début des années 1980, l’idée même d’une définition de la pauvreté basée sur un manque de biens essentiels a été abandonnée au profit d’une résurgence de l’approche strictement monétaire. La seconde section de ce premier chapitre consiste en une présentation de l’approche par les capabilités, en articulant un exposé formel de l’approche et une réflexion sur l’espace informationnel – capabilités ou fonctionnements accomplis – à mobiliser dans la perspective d’offrir à la pauvreté une définition opérationnelle.

L’objectif du deuxième chapitre renvoie au cœur de la problématique de la recherche. Après avoir proposé, lors du chapitre premier, une réflexion sur les différents espaces informationnels retenus pour définir la pauvreté, il est nécessaire de questionner leur pertinence relative dans l’optique d’une mise en œuvre empirique. Pour cela, nous portons un regard croisé sur les différentes approches, en interrogeant, tout d’abord, les relations, parfois ambiguës, qu’entretient Sen avec l’utilitarisme, puis en nous nous arrêtant plus en détail sur les liens qui unissent approche monétaire et approche par les capabilités. La seconde section de ce chapitre analyse la manière dont les deux types d’approches multidimensionnelles – approche par les capabilités et approche par les besoins essentiels – se recoupent. En effet, nous montrons que le choix d’un espace informationnel exprimé en termes de fonctionnements accomplis plutôt que capabilités entraîne, de facto, une convergence entre les deux approches : la pauvreté peut se définir à travers un ensemble de dimensions caractérisant ce que l’on peut nommer le cœur de pauvreté.

La seconde partie de la thèse a pour ambition de questionner la relation empirique entre les approches. Pour cela, le troisième chapitre présente les options méthodologiques retenues dans cette recherche. Dans une première section, nous présentons une revue de littérature méthodologique concernant l’analyse des interactions empiriques entre les différents espaces informationnels retenus. Nous introduisons également dans la présentation des outils méthodologique les apports empiriques d’une approche subjective de la pauvreté. En effet, il semble que cette approche, par sa nature, permette d’articuler les approches objectives de manière à enrichir l’information sur la pauvreté (Easterlin [1971], Frey, Stutzer [2002], Roubaud et alii [2006], Kingdon, Knight [2006]). Ces outils méthodologiques ne seraient d’aucune utilité si, par ailleurs, ils ne permettaient pas de rendre compte de l’état des privations des individus. C’est pourquoi, il est nécessaire d’appliquer empiriquement l’ensemble des outils à l’étude des conditions de vie des ménages. La participation au projet des Observatoires de la Guinée maritime29 nous permet de tester les hypothèses théoriques et de mettre en œuvre une batterie d’outils d’analyse des interactions. Le système d’information des observatoires, basé sur un échantillonnage raisonné et sur des enquêtes auprès des ménages, permet de rendre compte de l’état de dénuement des populations, et d’y intégrer directement la problématique de la mesure des fonctionnements accomplis. Pour cela, nous présenterons les méthodes retenues dans le cadre de la présente recherche pour construire un indicateur de fonctionnements accomplis.

Lors du quatrième et dernier chapitre, nous évaluons l’ampleur de la pauvreté dans notre échantillon. Pour cela, nous utilisons les outils statistiques et économétriques proposés lors du chapitre précédent. La pauvreté monétaire, mesurée de manière relative30, sera exprimée grâce aux indices usuellement utilisés (indices FGT et courbes TIP). La pauvreté multidimensionnelle, pour sa part, est étudiée en utilisant une extension des indices F.G.T. appliquée aux données multidimensionnelles, tandis qu’un indice synthétique de bien-être non monétaire est évalué en utilisant les outils de la théorie des ensembles flous. Enfin, nous proposerons une mesure de la pauvreté subjective, via la mise en œuvre d’indicateurs synthétiques et dimensionnels. Ces trois types d’analyses nous permettent de dessiner les contours d’une première caractérisation des situations de pauvreté monétaire, non monétaire

29 Le projet des Observatoires de la Guinée Maritime est un projet pluridisciplinaire conduit en partenariat par

l’Université Michel de Montaigne Bordeaux III et l’AFVP pour le compte du Ministère au Plan guinéen et financé par le FFEM et l’AFD. Il est dirigé par le professeur Georges Rossi de l’Université Montaigne Bordeaux III.

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et subjective, ainsi qu’une identification des ménages pauvres dans chacun des espaces retenus. La seconde section propose de croiser les résultats obtenus précédemment. En cela, elle nous permettra d’évaluer dans quelle mesure l’identification des individus pauvres selon un espace rejoint celle établie selon un autre espace. De plus, lors de cette section, nous étudierons les déterminants de la pauvreté et, plus particulièrement, les interactions entre les déterminants monétaires et non monétaires. Les résultats obtenus par la mobilisation d’outils statistiques et économétriques nous permettront de conclure empiriquement quant à la question de la complémentarité ou de la substitution entre les différents espaces retenus et de proposer ensuite des pistes de réflexion à mener au niveau des politiques de lutte contre la pauvreté.

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