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La politique de Conté de 1984 à 2006 : une politique de chocs encadrée par les I.B.W.

2. La Guinée : un pays de contradictions

2.2. Le poids de l’Histoire

2.2.2. La politique de Conté de 1984 à 2006 : une politique de chocs encadrée par les I.B.W.

La mort subite de Touré lors d’un déplacement aux Etats-Unis le 26 mars 1984 surpris toute la population guinéenne, sauf un groupe d’officiers constitués en Comité Militaire de Redressement National (CMRN), qui le 3 Avril, prit le contrôle du pouvoir sans effusion de sang. A la tête du nouveau gouvernement de transition, Lansana Conté, général de l’armée guinéenne instaura la Deuxième République, en faisant le serment de respecter les droits de l’homme, de créer les bases d’une véritable démocratie du peuple et de redorer l’image politique, économique et sociale de la Guinée. En d’autres termes, il s’agissait d’un rejet du socialisme passé. Le règne de Conté sera marqué par une entrée délicate dans la démocratie et par la mise en œuvre de politique de libéralisation de l’économie. Le bilan de ces années est toutefois loin des espérances et des espoirs du peuple qui, assit sur une richesse écologique considérable, attend toujours une amélioration de son sort.

 1984-1993 : le Programme Intérimaire de Redressement National

Dès sa prise de pouvoir, le 3 Avril, le gouvernement de Lansana Conté décide de rompre avec la politique menée par son prédécesseur, et engage le pays sur la voie de la libéralisation économique. Pour cela, Conté s’allie aux Institutions de Bretton Woods en vue d’obtenir de la part de ces deux bailleurs de fonds l’envoi d’argent, permettant de mener à bien un ensemble de programmes dont le but est clairement le redémarrage économique du pays et le maintien d’une croissance forte, dont les retombées sociales doivent contribuer à l’amélioration de la situation économique et sociale de l’ensemble de la population guinéenne. Sur le plan de la politique intérieure, Conté compte également rompre avec le dirigisme de Touré. Il engage tout le peuple dans la voie démocratique. Après neuf ans d’un régime d’exception20 (suite au coup d’Etat militaire de 1984 et à la nécessité de maintenir un pouvoir fort de transition), la Guinée s’engage vers la démocratie. Mais, sous le brillant d’un régime démocratique à partis multiples, la Guinée reste, malgré tout, dirigée par le même homme depuis 1993 (date de la première élection démocratique, nous exceptons alors le régime particulier précédent), ré-élu à chaque consultation populaire. Selon Soumah [2006 : 23], ces réélections successives montrent que la démocratie en Guinée n’est pas respectée puisqu’il s’agit « d’un pays dont les institutions démocratiques sont en place, mais où existe l’absence totale de participation effective du peuple ou de ses représentants à la gestion de la chose publique. Dès lors, se produit un désenchantement profond de l’opinion publique nationale et internationale ».

La réalité démocratique, même si elle paraît bien fine aux yeux des experts internationaux, est une condition nécessaire imposée par les bailleurs de fonds en vue d’obtenir les financements et les crédits, dans le cadre des programmes d’ajustement structurel. Les premiers accords entre la République de Guinée, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale remontent à 1985 pour un programme d’ajustement structurel, d’un montant de 33 millions de D.T.S. (droits de tirage spéciaux du F.M.I.) sur 13 mois, qui débute en 1986. Le premier objectif de ce programme (Programme de réforme économique et financière) vise à induire des ajustements économiques et monétaires, à libéraliser l’économie en réduisant le poids de l’Etat dans la gestion des activités économiques. De plus, comme tous les plans d’ajustement, l’accent est mis sur la vitalité d’un

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secteur privé libéré du poids des contraintes pesant sur lui. Ce premier programme, qualifié de programme choc, permet la rationalisation de l’activité des services publics (plus de 12000 licenciements), la libéralisation de l’économie guinéenne avec la restructuration de l’ensemble des grandes entreprises publiques industrielles et commerciales et la privatisation des plus petites, la définition d’une nouvelle politique monétaire et bancaire basée sur une dévaluation de la monnaie, le remplacement des banques d’Etat par un ensemble d’établissements de crédit privés. La libéralisation du commerce a conduit à l’abandon des grands comptoirs de commerce, à celui du contrôle des prix, accompagnée d’une fiscalité réorganisée et d’un nouveau code des investissements. Bien que certains, à l’image de Devey [1997], pensent que cette première période s’est déroulée sans dérives ni tensions sociales majeures, l’impact sur la vie économique locale a été réel. Premièrement, l’absence de contrôle des prix a entraîné une augmentation de l’inflation sur le marché formel, la rationalisation de l’emploi public a entraîné une vague de licenciements sans précédent, jetant un grand nombre de ménages dépendants de ces emplois de fonctionnaires dans la misère et la pauvreté. L’inflation a connu ses taux les plus élevés en 1986 avec une augmentation annuelle des prix de plus de 65%21 pendant que la monnaie nationale venait d’être dévaluée de près de 92% (Blavy [2004]).

En 1988, un second programme d’ajustement structurel voit le jour. Un accord de facilité d’ajustement structurel (F.A.S.) est alors engagé, puis, en 1991, un programme de facilité d’ajustement structurel renforcé (F.A.S.R.), accompagné par l’octroi supplémentaire de fonds multilatéraux ou bilatéraux. Ces deux volets ont pour but de renforcer les programmes élaborés lors du plan précédent tout en tenant compte des conséquences sociales sur la population. Pour cela, un filet de protection sociale a été instauré. Un pan du programme était spécifiquement dévolu à l’éducation, le but étant de faire accéder le plus grand nombre à l’éducation de base tout en rationalisant les dépenses de ce secteur public.

Les résultats économiques de cette période pré-démocratique n’ont pas atteint les espérances. Sur le plan social, la situation n’est guère meilleure qu’au début du mandat de Conté. La hausse du coût de la vie a appauvri l’ensemble de la population. A cet égard, le secteur informel a contribué de manière positive à la croissance du Produit intérieur brut (Devey [1997]) en stimulant un commerce sauvage sans règle ni contrainte, contribuant ainsi

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à la balkanisation de la société guinéenne, avec d’un côté les élites qui ont tiré profit des plans d’ajustement structurel et, de l’autre, la masse populaire qui connaît des difficultés pour se nourrir, se loger, se soigner ou s’éduquer. Le déficit du budget de l’Etat se creusant un peu plus chaque année, le gouvernement a dû recourir à des compressions dans les dépenses publiques avec pour conséquence un ralentissement du fonctionnement des administrations. Avec un taux de croissance supérieur à 4% par an entre 1984 et 1993, la République de Guinée n’a pas réussi son passage d’un socialisme sclérosant à un libéralisme prétendument salvateur. Lansana Conté a tout de même réussi à s’imposer comme l’homme fort de la Guinée.

 1993-2004 : l’affaiblissement de la Guinée

La volonté démocratique du peuple guinéen et de ses dirigeants s’est traduite, dans les faits, par l’évolution vers un Etat de droit et une démocratie. Le 19 décembre 1993, Lansana Conté est élu président de la République de Guinée, dès le premier tour, avec 50,9% des suffrages. Les élections législatives de 1995 confirmeront les résultats des présidentielles en offrant 62% des sièges de l’Assemblée nationale au camp du président. Fort de cette représentation nationale, le Président Conté annonce le 29 janvier 1994, la mise en place de la Troisième République articulée autour de trois thèmes : la démocratie, la croissance pour tous, et une image internationale redorée. Pour cela, le gouvernement signe en 1994 un accord avec les bailleurs de fonds, le F.M.I., au titre de la F.A.S.R., et la Banque mondiale, grâce à un crédit d’ajustement sectoriel dont l’objectif est de renforcer l’environnement monétaire, réglementaire et judiciaire. Cependant, la dégradation du climat politique et économique guinéen conduit le F.M.I. à suspendre, en 1995, le programme d’appui à la Guinée, tant que des efforts ne seront pas fournis par le gouvernement. Ces menaces ont permis d’adopter des mesures drastiques de redressement, notamment autour du fonctionnement de l’Etat (réduction des dépenses en eau et électricité et économie sur les salaires)22. Malgré l’ensemble de ces aides, la situation économique et sociale de la Guinée à l’aube du troisième millénaire est toujours catastrophique : les déficits publics, issus selon le F.M.I. d’une gestion laxiste de la part des ministères concernés, seraient passés de 164 milliards de Gnf en 1990 à 259

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Les années 1997 et 1998 seront même marquées par le retour des bailleurs de fonds avec la signature d’accords triennaux avec le F.M.I. (à hauteur de 101 millions de dollars), un rééchelonnement et une réduction de la dette guinéenne auprès du Club de Paris puis avec plusieurs aides multilatérales via la Banque mondiale (pour une somme globale de 1972 millions de dollars sur trois ans).

milliards de Gnf en 1999 (en Gnf constants) 23. Il est tout de même important de noter que l’inflation s’est stabilisée autour d’une moyenne de 3% par an environ sur la période 1990- 1999 (Blavy [2004]). Socialement, une dégradation des conditions de vie de l’ensemble des ménages a été constatée sur la période. L’indicateur de développement humain mis en œuvre par le P.N.U.D., au début des années 1990, est passé de 0,306 (la Guinée est alors classée au 160ème rang sur 174 pays) en 1993 à 0,398 (161ème pays sur 174 pays) en 1997, et à 0,397 (150ème pays sur 162 pays) en 1999. On note ainsi une légère amélioration entre le début de la décennie et le milieu de celle-ci, puis une baisse de l’indice accompagnée d’un recul dans le classement à la fin de la décennie. Dans le même temps, 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté nationale (Pnud [2001]).

En 2000, la Banque mondiale approuve le dernier Document de stratégie par pays (D.S.P.) qui sera mis à jour en août 2002 (FMI [2002]). Le climat politique est tendu depuis 1998, date de la réélection contestée de Conté à la tête du pays, de l’arrestation du principal chef d’opposition et du boycott des élections communales de 2002 par les partis d’opposition (FAD [2005]). De plus, la modification de la loi fondamentale, permettant au président de la République de se représenter au suffrage, lui a permis d’être réélu en décembre 2003 dans un contexte houleux. La situation économique devient de plus en plus difficile. La mauvaise gouvernance entraîne le pays vers un déclin sans précédent (FMI [2006]), puisque le taux de croissance annuel moyen du P.I.B. est passé de 1,6% en 1999 (Banque mondiale [2002]) à 1,1% en 2002, pour devenir négatif en 2003 et 2004, respectivement de –1,7% et –0,4%. Cette décroissance est notamment due au ralentissement de la croissance dans le secteur agricole (passant de 6% en 2002 à 3,5% en 2004).

La population guinéenne subit de plein fouet l’ensemble des déséquilibres macroéconomiques du pays. L’explosion de la dette et de son remboursement24 (le pays sera intégré en 2002 à l’initiative des pays pauvres très endettés (P.P.T.E.)) impliquent des difficultés à gérer les arriérés. Dans le même temps, l’inflation galopante réduit fortement le pouvoir d’achat des ménages, obligés de se tourner vers le secteur informel pour se procurer les biens de base, à des prix toutefois trop élevés. Le taux moyen d’inflation passe de 3% en

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En 1990, le taux de change euros/francs guinéens étaient de 496,4 gnf pour 1 euro. En 1999, ce taux s’élevait à 1528 gnf pour 1 euro. En 2004, à 3806 gnf pour 1 euro. Au 13 décembre 2006, 1 euro correspond à 3770 gnf.

24 le service de la dette passe de 16,8% en 2002 à 19,4% en 2004 et devrait dépasser les 20% en 2005 (Banque

2002 à 17,5% en 2004, favorisé par le financement monétaire (création monétaire par la Banque centrale) du déficit budgétaire. Les taux d’investissement privés et publics ne cessent de chuter, passant, respectivement, de 8,8% et 3,5% en 2002 à 5,6% et 2,9% en 2004.

La politique sectorielle n’a pas conduit aux résultats attendus : même si l’agriculture contribue le plus à la croissance du pays (de l’ordre de 4,5% en moyenne par an sur 2001- 2004 pour le secteur agricole contre 3% par an sur la même période pour l’ensemble de l’économie), cela n’est pas le fait d’une amélioration de la productivité des terres, mais d’une extension de ces dernières. Le secteur industriel obtient de mauvais résultats, en grande partie dus aux problèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, et en matériaux de construction. Le secteur minier grand pourvoyeur de devises a enregistré un ralentissement de son taux de croissance, passant de 2,9% en 2002 à 2,2% en 2004 (FAD [2005]). Ce pays semble être victime de ce que l’on qualifie de malédiction des ressources naturelles25 (F.M.I. [2006 : 208]), à savoir l’évident paradoxe « selon lequel les pays disposant de ressources naturelles abondantes enregistrent souvent une croissance [et un niveau de développement] plus faible que les pays n’ayant pas de ressources comparables ». Pour preuve, le F.M.I., en 2004, montre que la Guinée est effectivement victime de ce paradoxe (FMI [2004]). Avec une contribution de 2,6% au P.I.B. sur la période 2000-2003, les recettes minières sont effectivement très faibles, alors qu’elles représentent tout de même 18,3% des recettes budgétaires totales. Le résultat est encore plus flagrant en ce qui concerne les exportations. En effet, sur cette même période, alors que les exportations minières représentaient plus de 94% des exportations totales de la Guinée, elles ne représentaient que 19,6% du P.I.B. La lecture de ces chiffres laissent apparaître l’abandon du secteur minier, qui se répercute, non seulement, sur la croissance du P.I.B., mais également, sur les grands équilibres macroéconomiques, et au final, sur l’ensemble de la population qui doit assumer quotidiennement les erreurs de gouvernance du pouvoir en place26.

Le secteur des services faiblement développé n’a contribué qu’à la marge à la croissance du pays. Il semble donc que la situation économique du pays soit morose, et que les perspectives à moyen terme ne soient guère plus satisfaisantes (FMI [2006]). La mauvaise

25 Ce principe fait l’objet d’une littérature abondante sur le sujet. Auty [1997] étudie le phénomène sur un

ensemble de pays sur une période allant de 1960 à 1990. Le lecteur pourra également se référer à Sachs et Werner [2000] et Leyderman et Maloney [2003].

26 Un récent entretien de Lansana Conté paru dans Le Monde daté du 1 Décembre 2006 confirme le désintérêt du

gouvernance et les décisions discrétionnaires ne permettent pas de convertir le potentiel énergétique en croissance économique viable. Les retombées d’une meilleure gestion quotidienne des affaires courantes pourraient permettre à tous les secteurs de profiter des richesses du pays (PNUD [2004]).

Au niveau social, le taux de pauvreté nationale égal à 40% en 1999, ne cesse d’augmenter puisqu’on le chiffre à près de 50% en 2003. Les prévisions pour 2005 ne sont guère meilleures puisque le PNUD table sur une incidence de 53,6%. La très grande pauvreté qui touchait 13% de la population en 1994, touche en 2004 plus de 27% (soit un doublement de cette population). Les femmes et les enfants semblent être le plus touchés par ces mauvais résultats. Avec 45,6% de sa population de moins de 15 ans, la Guinée est un pays très jeune. Au niveau de l’éducation, près de 67% de la population guinéenne est analphabète, taux qui monte à 80% pour les femmes (FAD [2005]). Le gouvernement fait des efforts dans ce secteur, efforts se traduisant par la ratification des Objectifs du Millénaire pour le Développement et par la mise en œuvre d’un Programme d’éducation pour tous (P.E.P.T.) dont les résultats sont encourageants. Le taux de scolarisation passe de 61% en 2001 à 77% en 2004, avec une amélioration du taux d’achèvement passant de 34,7% en 2001 à 46,7% en 2004. Toutefois, ces améliorations ne doivent pas cacher les retards accumulés depuis l’époque Sékou Touré, ainsi que les contraintes pesant sur le système éducatif guinéen. L’accès à l’école reste faible en milieu rural, tandis que la qualité de l’enseignement laisse parfois à désirer. Au niveau de la santé, la mauvaise couverture géographique des soins (qui laisse de côté les zones rurales et enclavées) liée à des faibles ressources humaines ainsi qu’à une vétusté des infrastructures de soins ne permettent pas à la Guinée d’atteindre ses objectifs. Le paludisme, première cause de décès en Guinée, est en constante progression. En 2002, on dénombrait un taux de mortalité lié au paludisme de 115,3‰ contre 108,3‰ en 1998 (FAD [2005]). Le taux de mortalité infantile atteint en 2003, 99,9‰ (60,9‰ pour l’ensemble des pays en développement) contre 137‰ en 1991 (PNUD [1993]) tandis que l’espérance de vie à la naissance est passée, sur la même période, de 43,5 ans à 49,5 ans (62 ans pour le reste des pays en développement). Dans ce secteur, certains progrès ont été réalisés depuis le début des années 1990 mais les résultats restent en deçà de ceux du reste de l’Afrique et des pays en développement en général.

Si, à l’heure de la collecte des données nécessaire à cette recherche, la Guinée montre d’évidents signes d’améliorations sociales, économiques et politiques, il n’en reste pas moins

que ce pays, très en retard, est victime d’importantes contraintes et rigidités ralentissent le processus de développement (F.A.D. [2005]).. Le Rapport mondial sur le développement humain 2005, classe la Guinée à la 156ème place sur 177 pays avec un indice égal à 0,466. On note que l’indice s’améliore par rapport au passé, mais qu’il reste malgré tout en deçà du seuil de 0,50 au-dessus duquel le pays est considéré comme étant à développement humain moyen27. Avec un taux de croissance moyen par tête négatif et une baisse du revenu national brut par habitant, passant de 450 US$ en 2000 à 382US$ en 2004, il apparaît que la création de richesses n’est pas suffisante pour couvrir l’augmentation de la population et l’explosion des besoins qui en résultent.

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