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théories, concepts et espaces d’évaluation

I UNE PRESENTATION DES APPROCHES DE LA PAUVRETE EN TERMES DE RESSOURCES

1. L’approche monétaire de la pauvreté

1.1. Les origines philosophiques

1.1.2. La pauvreté : entre travail et mérite

Même si Bentham, Mill et Sidgwick sont avant tout des philosophes, il n’en reste pas moins que l’universalité prétendue de l’utilitarisme lui confère une importance considérable dans le domaine économique47. L’utilité, définie comme une notion psychologique, peut être économiquement appréhendée à travers la notion de richesse. Smith, Malthus puis Ricardo, tous contemporains de Bentham, ont influencé la pensée utilitariste notamment dans ce domaine48. Pour ces derniers, penseurs issus de la bourgeoisie britannique, la pauvreté serait une situation, qui est certes peu enviable, mais qui trouve ses racines dans la relation de l’homme au travail. Le mérite – l’effort que fournit l’individu lorsqu’il travaille – est récompensé par une accumulation de richesses qui lui permettra de subvenir aux besoins de sa famille. Est donc pauvre celui qui ne fournit pas suffisamment d’effort au travail, qui ne mérite pas son salaire.

Pour Bentham, l’Etat ne doit intervenir que pour assurer une certaine sécurité à ses citoyens. Ainsi, si des disparités existent au départ (les talents ne sont pas également répartis entre tous les individus), et si elles sont productrices de trop grandes inégalités, alors l’Etat doit faire en sorte que ceux qui ne possèdent pas les moyens physiques de subvenir à leurs besoins par le travail soient protégés. Les situations d’extrême pauvreté doivent être gérées par les gouvernements qui doivent assistance pour réduire les inégalités naturelles. Toutefois, ce principe de solidarité ne doit pas remettre en question le principe d’utilité et ne doit pas grever l’effort au travail des plus méritants. Prendre aux riches pour redistribuer aux plus pauvres ne doit pas désinciter les méritants à travailler plus, et ne doit pas inciter le pauvre à ne pas travailler, fondant l’espoir d’une vie meilleure sur les subsides de l’Etat. Chacun doit œuvrer dans le sens d’un plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Mill dépasse Bentham sur ce sujet. Pour lui, la seule manière de protéger les méritants des fainéants (en

47 Keynes [1926 : 279] dira à propos de Bentham qu’ « [il] n’était pas un économiste du tout ». A contrario, la

thèse de Sigot [2001] ne cessera de montrer que le mérite de Bentham aura été de concilier sa philosophie morale avec sa vision de l’économie.

48 Comme nous l’avons déjà stipulé, Bentham reprend à son compte la notion d’harmonie naturelle des intérêts

émise par Smith qui parle de main invisible. Cette notion est une métaphore de l’harmonie naturelle qui résulte des comportements individuels. Smith, sans faire explicvariableent référence à Bentham n’en applique pas moins les préceptes dans le domaine marchand. Son passage sur le boucher est à ce sujet assez éloquent : « Ce n’est pas

de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage » (Smith [1776: 105]).

Toutefois, Smith circoncit ce principe d’égoïsme aux échanges marchands et aux contrats. Bentham l’étend, lui, au comportement humain dans son ensemble.

d’autres termes les riches des pauvres) serait d’assurer la propriété privée puisqu’elle « garanti[rait] aux individus [le] fruit de leur travail et de leur abstinence »49. Les inégalités entre individus ne sont acceptables que si elles respectent l’adage à chacun selon son mérite.

Pour Mill, la pauvreté serait due à deux facteurs : un manque d’éducation populaire et surtout un phénomène de surpopulation des indigents, néfaste au progrès de la société50. Cette surpopulation serait, selon la loi immuable de l’offre et de la demande, la cause d’un niveau de salaire trop bas pour permettre de vivre décemment51. Selon Mill [1848, vol. 2 : 345] « il est impossible que la population augmente à son rythme maximum sans faire baisser les salaires. Et la baisse ne s’arrêtera qu’au point où, soit par l’effet physique, soit par l’effort moral, l’accroissement de la population sera stoppé. » Derrière l’effet physique se cachent des lois de limitation et de contrôle des naissances. Il n’accepte l’assistance aux plus démunis que si l’Etat peut en contrôler leur multiplication.

Il apparaît donc que chez les deux premiers auteurs, la situation de pauvreté correspond à un manque de ressources permettant de survivre. De plus, l’apparition de situations de pauvreté est due, sauf exception, à l’absence de motivation au travail, à l’absence d’effort fourni pour acquérir ces ressources vitales. L’individu pauvre est donc entièrement responsable de sa situation difficile, et l’Etat ne peut intervenir sous peine de mettre à mal le principe d’utilité. Pour sortir de cet état de pauvreté, l’individu n’aura qu’une seule solution : le travail.

La réflexion économique de Sidgwick est plus complexe. Il insiste sur un point important : il est nécessaire de distinguer le bonheur et les moyens d’atteindre ce bonheur. Pour maximiser le premier, il est nécessaire d’offrir à tous et de manière égalitaire les seconds. En cela, il propose le concept d’égalité des chances. Pour lui, ce qui importe ce n’est pas tant que les hommes aient un bonheur égal, mais bien qu’ils possèdent une même chance au départ d’atteindre le bonheur. Il rejoint Mill sur l’importance de l’éducation, notamment celle des enfants des familles pauvres, dans la réduction des disparités des chances au départ.

49 Mill [1848, vol.2: 208].

50 On retrouve ici l’argument de Matlhus qui prévoyait que l’extension de la population dépasserait un jour celle

de la production agricole conduisant à la perte de l’Homme. Malthus [1798].

51

Selon la loi de l’offre et de la demande, l’excès d’offre de travail émanant des travailleurs sur la demande de travail entraînerait une baisse du taux de salaire au niveau d’équilibre entre offre et demande. Ce niveau de salaire serait alors inférieur au niveau permettant aux individus de se procurer les biens nécessaires à leur survie et à leur reproduction.

Cette égalité des chances, confrontée au principe d’utilité, amène Sidgwick à réfléchir sur la place de l’Etat dans la lutte contre la pauvreté. Concernant cette dernière, il se rapproche de ses deux prédécesseurs dans la mesure où un individu est pauvre s’il ne fournit pas l’effort au travail nécessaire pour survivre.

Toutefois, selon lui, l’intervention de l’Etat dans la lutte contre la pauvreté entraînerait un biais discriminatoire envers les plus méritants. L’impôt sur le revenu, que Sidgwick juge être une égalisation contrainte, est contraire à l’utilité puisqu’il s’agit de ponctionner les plus méritants pour donner sans contrepartie à ceux qui ne fournissent aucun effort au travail, et donc conduire à une désutilité du travail et à un appauvrissement général de la société. L’auteur prône donc une autonomisation et une responsabilisation de l’individu, notamment du pauvre, qui, s’il veut sortir de l’état de pauvreté, doit fournir l’effort nécessaire pour mériter un sort plus enviable.

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