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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.2. L’oral dans l’Institution

1.2.5. Quel enseignement de l’anglais oral ?

1.2.5.2. Une situation de classe nécessairement artificielle ?

Pour Bailly (1998), la prise de parole ne saurait être réellement authentique du fait de la situation unique qu’est la situation de classe. Pour elle, la prise de parole est donc forcément « plus « contractuelle » [...] que réellement communicative. » Cette idée est corroborée par bon nombre de chercheurs, comme Pendanx (1998), qui considère la situation scolaire comme une situation de fausse communication. Elle cite Bautier-Castaing et Hébrard (1980) qui parlent d’ « une didactique sans interaction dont le but est moins l’autonomie linguistique et langagière de l’élève que son aptitude à produire des énoncés non fautifs. » (Bautier-Castaing et Hébrard, 1980 : 59). Cette citation illustre bien la méfiance de certains chercheurs à l’égard de la situation de classe, qui d’une part, ne favoriserait ni la mise en situation communicative ni l’autonomisation de l’apprenant, et d’autre part, chercherait simplement à « corriger » l’élève dans ses erreurs de langue afin que la correction de ses énoncés soit parfaite. Cette méfiance est apparente dans la recherche scientifique, mais le simple ressenti des élèves aussi le prouve : ils ont bien conscience d’être en classe, et non dans une situation de communication ancrée dans le réel social ; l’enseignant aura peut-être intérêt à accepter cet état de fait et à en jouer (par la mise en place de jeux de rôles, simulations globales, etc.)

Alceste (1891) conçoit l’artificialité de la situation de classe comme étant liée à un écart entre le besoin de communiquer en langue étrangère et la réalité de la classe :

Je suis persuadé que la solution de la question de méthode est des plus complexes, et qu’elle dépend en grande partie des conditions matérielles dans lesquelles se donne notre enseignement. [...] Le moyen le plus sûr et le plus rapide d’étudier une langue étrangère a toujours été d’aller dans le pays où on la parle. [...] Que se passe-t-il au contraire dans une classe ? Pendant tout le cours des études, rien n’y répond à un besoin irrésistible du moment, et le peu de réalités qu’on peut y introduire pour exprimer les maigres rapports entre élèves et professeur cesse de se représenter dans la vie de l’homme fait. Le besoin même de s’exprimer dans la langue enseignée n’existe que dans la mesure très limitée des exigences possibles du maître, la mémoire des enfants n’y est presque jamais sollicitée que sous la forme peu stimulante de leçons à réciter tour à tour, les questions directes et personnelles deviennent d’autant plus rares que les élèves réunis sont plus nombreux. Bref, le milieu est factice, le système est artificiel et le résultat final des études s’en ressent. (Alceste, 1991 : 99 ; 101)

a aucun « besoin irrésistible » pour l’apprenant de communiquer. Il oppose nettement cette situation créée pour des besoins purement pédagogiques à un voyage dans le pays où la langue est parlée. En effet, dans la première situation, si la communication échoue, il n’y aura pas (ou peu) d’effets négatifs sur le locuteur, alors que dans la seconde, ne pas pouvoir s’exprimer pour se faire comprendre pourrait avoir de lourdes conséquences. Imaginons à ce titre une même situation : la nuit tombe et j’ai besoin d’un lieu où passer la nuit. En classe, d’abord, la nécessité de trouver un abri est artificielle, et ensuite, quand bien même elle ne le serait pas, l’enseignant adapterait fortement sa compétence linguistique pour comprendre l’étudiant et être compris de lui, voire lui parlerait dans sa langue maternelle. Dans le pays, si je ne réussis pas à me faire comprendre, il est fort probable que je me retrouve sans abri pour la nuit. Les conséquences sur mon bien-être sont en effet très différentes.

Il faut alors se demander pourquoi la crainte de parler en classe persiste : qu’engage l’élève en parlant, et qui est plus fort que le bien-être matériel ? Le bien-être psychologique prime-t-il pour un apprenant de langue étrangère ? L’école échoue-t-elle à mettre ses élèves dans un confort psychologique qui leur permette de s’exprimer sans crainte ? C’est en tout cas le point de vue de plusieurs chercheurs cités plus haut.

Cependant, l’idée selon laquelle aucune situation de classe ne saurait être authentique mérite débat, car, quand bien même la situation de communication ne peut être qu’artificielle, comparée à une réelle interaction de la vie sociale courante en langue anglaise, la communication est-elle pour autant absente ou feinte ? En effet, alors que les tâches sont planifiées par le pédagogue dans l’objectif précis d’apprentissage de la langue (l’artifice pédagogique est donc ici bien à l’œuvre), la situation communicative est bien réelle. Les apprenants communiquent entre eux et avec l’enseignant dans un but commun : comprendre la langue et l’apprendre, en parlant de tel thème, telle situation.

À titre d’exemple, un épisode de communication spontanée a eu lieu dans ma classe à la suite de l’écoute d’un document audio sur le thème des études. Une jeune Australienne y expliquait qu’elle faisait des études d’éducation (« I study education ») ; un jeune de ma classe a demandé ce que cela signifiait, et il s’est ensuivi un échange entre plusieurs élèves et l’enseignante sur le recrutement des professeurs en Australie, qui diffère de celui de France où l’on passe généralement un concours. Un des jeunes de BTS a donné son avis en disant que la procédure était certainement plus logique en Australie où les professeurs ont l’occasion d’enseigner durant leur formation ; remarque qui en a suscité une autre sur le mode de

l’humour : peut-être que les enseignants français (et donc moi-même, leur professeur d’anglais) sont très mauvais enseignants au début de leur carrière car ils n’ont pas pu s’entraîner. L’ensemble de la classe a éclaté de rire à cette blague me visant.

D’après une définition de Skehan (1998), une tâche communicative devrait être constituée de plusieurs éléments tels que :

1. Il y aurait un problème de communication à résoudre ; 2. Le sens devrait primer sur la forme ;

3. Il devrait exister un rapport avec les activités du monde réel.

Si l’on considère l’épisode relaté ci-dessus, on voit bien tout d’abord que cet échange spontané part d’un problème de compréhension du sens de la phrase « Je fais des études d’éducation. » (« I study education. »), apparu dans le document audio. Les étudiants ne posent pas la question de savoir s’ils ont bien compris l’interlocutrice australienne, mais ils s’interrogent sur le sens de sa phrase. Il y a bien ici un problème de communication à résoudre. Les élèves ont ici recours à leurs propres connaissances et représentations, c’est-à-dire : en France, on n’étudie généralement pas l’éducation, on passe des concours pour enseigner32 ; quel est donc le fonctionnement du système dans un pays anglophone tel que l’Australie ?

Ensuite, pour Skehan, le sens doit primer sur la forme, et il est notable dans cet échange que les étudiants comprennent les interventions du professeur et se comprennent, et ce malgré les erreurs de langue qui surviennent. Il est intéressant d’observer la non-intervention du professeur pour la correction de la langue, et le fait que cela n’empêche ni la compréhension ni l’expression. Au contraire, on pourrait argumenter que la non-intervention du professeur permet aux élèves de s’exprimer avec plus de fluidité que s’ils avaient été bloqués par des demandes de correction récurrentes.

Enfin, le rapport avec le monde réel qu’évoque Skehan est ici bien présent car l’échange n’avait manifestement pas été planifié par l’enseignante qui se trouve de facto avec

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Les choses sont différentes depuis la création des masters MEEF en France. Du moins cette réforme a-t-elle pour but d’ajouter au concours un diplôme au cours duquel on étudie bien « l’éducation », pour le primaire comme pour le secondaire. Pour les études de LLCE, on distingue désormais deux masters différents, les masters

les apprenants dans une situation de communication authentique où chacun exprime à la fois ses opinions sur le système de formation des professeurs, et ses ressentis d’élèves face à de « bons » ou de « mauvais » professeurs. L’échange émane d’un désir de comprendre le système d’une part, et de parler de soi dans un contexte scolaire d’autre part. Ce dernier point est essentiel : les élèves ont parlé parce qu’ils ont eu envie et besoin de le faire. La question est donc : comment susciter ce type d’échange, et donc trouver ce qui a provoqué ce besoin, cette envie réelle de communiquer, de façon à essayer de reproduire ces conditions pour favoriser ce type d’échange ?

À cet égard, on peut remarquer le ton à la fois badin et sérieux des interventions des élèves. En effet, la mise à distance du contenu critique de ce que l’on dit suscite le rire dans la classe, car les élèves se permettent une critique peu voilée du corps professoral et de l’enseignant lui-même, ce qui est rendu possible par un climat de confiance dans la classe ; et dans le même temps, certains élèves s’autorisent la confidence de leur ressenti d’apprenant, ce qui n’est pas un sujet risible. À partir de cette situation de classe, on peut observer certaines marques de l’engagement des élèves dans la tâche : humour critique, écart par rapport à la situation-type de classe, expression de son ressenti ; toutes situations que l’enseignant pourra essayer de favoriser dans sa classe. Il s’agit là d’un épisode de communication spontanée où l’oral est véritable et authentique, par opposition au scriptural utilisant un medium phonique du modèle de Koch et Oesterreicher (2012), qui sont des types d’expression les plus souvent favorisés dans l’oral scolaire et universitaire.

Un autre point de vue de Bailly (1998) est que la spécificité de la classe de langue réside dans le fait que les apprenants « subissent une sorte de « dépossession » de la raison d’être des messages qu’ils échangent » dans « un monde quasiment dépourvu d’enjeux personnels et interpersonnels hic et nunc. » (Bailly, 1998 : 13)

On peut contredire cet argument par l’exemple de communication spontanée relaté ci-dessus et arguer que c’est bien là le rôle de l’enseignant que de chercher à susciter l’intérêt pour la langue chez les élèves par le biais de diverses activités, mais aussi par le choix des thèmes abordés au cours de la formation, de façon à motiver un projet personnel de l’étudiant. L’apprenant, de son côté, aura à jouer son rôle d’élève pour progresser dans son apprentissage.