• Aucun résultat trouvé

1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.1. Particularités de la modalité orale

1.1.3. Compréhension orale / Expression orale

Les similitudes entre l’apprentissage d’une langue étrangère par un adolescent et celui d’une langue maternelle par un enfant sont intéressantes dans le cadre de cette recherche en ce qu’elles peuvent constituer des pistes de réflexion ; des stratégies d’adaptation sont mises en place de chaque côté (enseignant/parent, et apprenant/enfant) afin de se faire comprendre et être compris : modification/simplification du message d’une part, utilisation de gestes, bruits d’autre part, pour ne citer qu’un exemple.

Dans l’acquisition du langage, la langue maternelle d’un enfant, quelle qu’elle soit, est d’abord orale ; il la reçoit avant de l’émettre : mélodie entendue dès la période prénatale, reconnaissance des voix, des intonations, décodage de l’expressivité de celles-ci, liens avec les regards, les sourires échangés car l’oral est aussi communication. Puis intervient le babillage, reconstruction de sa langue maternelle par l’enfant ; le linguiste spécialiste de l’anglais Adamczewski (1995) dit d’ailleurs que l’enfant est un « grammairien en herbe », un « perceur de code ». Mais l’oral est bien plus qu’une compétence grammaticale, en ce qu’il est lié à la construction de soi, à l’élaboration de la relation, et à la capacité de l’enfant à grandir, à accepter la perte (et là, les mots remplacent la mère absente) ; l’oral est donc central dans la construction de l’identité de l’enfant, et aussi de son aptitude à penser, à résoudre des problèmes dans l’interaction avec un ou des adultes. L’écrit est vécu ensuite généralement comme une contrainte, et cette contrainte est liée à la scolarisation, sauf si l’environnement a préparé l’enfant, c'est-à-dire si la famille lit, écrit, fait lire, raconte, et donc fait apparaître l’écrit comme quelque chose de désirable, à conquérir.

Par ailleurs, cela nécessitera de nombreuses années avant qu’un enfant sache écrire aussi bien qu’il parle ; et il faudra de nombreux mois à un enfant pour pouvoir prononcer un mot à l’oral dans sa langue maternelle, alors même qu’il entend celle-ci au quotidien dans son environnement immédiat.

Dans le développement du langage de l’enfant, on distingue généralement deux phases (Jisa, 2003) :

 Lors de la phase pré-linguistique, avant 12 mois, le tout petit enfant commence par des cris (qui sont la première production vocale du nouveau-né) puis des vocalisations (lallations, jasis, babils) et des syllabes (à partir de ses 6 mois).

 Lors de la phase linguistique, à partir de 12 mois, les premiers mots apparaissent ; ils ont d’abord monosyllabiques ou dissyllabiques. Les premières phrases apparaissent entre 20 et 26 mois, mais ne sont à ce stade que l’association de deux mots. C’est au cours de la troisième année que l’enfant améliore son articulation, acquiert davantage de vocabulaire et la syntaxe. Les phrases sont d’abord des mots-valises, ou mots-phrases associés

(« Donne doudou! ») puis s’élaborent progressivement. Vers 6 ans, l’enfant apprend généralement à écrire.

On voit bien la complexité de l’apprentissage de l’oral pour un tout-petit, et le nombre d’années qu’il lui faut, alors même que « tous les enfants ont accès à un flux continu de paroles comme facteur d’apprentissage d’une langue. » (Jisa, 2003 : en ligne, résumé) Jisa (2003) souligne le caractère systématique des interactions entre l’enfant et l’adulte, ce qui favorise le développement du langage :

Les études éthologiques des interactions ont montré comment l’enracinement du langage dans son cadre pragmatique était lié aux actions et aux interactions : c’est, en effet, l’action qui permet la segmentation des actes, la différenciation des actants, la socialisation de l’attention portée à l’objet et à ses caractères différentiels, l’interprétation affective des mimiques, des gestes et de l’intonation et, au travers du caractère gratifiant des échanges, la valorisation de la communication pour elle-même. Or les interactions mère-enfant ne se déroulent pas de façon aléatoire, au coup par coup ; elles manifestent, comme y a insisté Jérôme Bruner (1985), une certaine « systématicité » permettant à l’enfant de faire l’apprentissage des structures d’action, lesquelles constituent une véritable syntaxe interactionnelle d’où émergent le lexique et la grammaire.

Contrairement au point de vue développé par Noam Chomsky (1965), la langue utilisée par les adultes, interagissant avec des enfants d’un âge compris entre 18 et 36 mois, n’est aucunement une langue « dégénérée » contenant des phrases réamorcées ou inachevées. Les recherches menées durant les trente dernières années ont montré que la langue parlée aux enfants par les adultes est seulement différente de celle utilisée dans la communication entre adultes, et cela à tous les niveaux de l’analyse linguistique : phonologie, syntaxe, sémantique et pragmatique (Snow, 1995). (Jisa, 2003 : en ligne, para. 5-6)

Jisa s’oppose ainsi à la vision de Chomsky (1965) pour qui la langue de l’adulte en direction de l’enfant est forcément une sous-langue tronquée. Si elles constituent une langue à part, les modifications que la mère opère par rapport à la langue standard, pour Jisa, sont justes et valorisantes pour l’enfant. De cette façon, les changements peuvent être les suivants :

 Débit ralenti ;

 Hauteur de ton élevée ;

 Intonation exagérée ;

 Phrases courtes, aisément intelligibles et pleinement grammaticales ;

 Peu d’hésitations, faux départs ou phrases interrompues ;

On peut aisément rapprocher ces modifications dans la langue de la mère du discours de l’enseignant qui, cherchant à être compris, mettra les mêmes stratégies à l’œuvre.

Comme le souligne Pendanx (1998), « on comprend toujours plus qu’on ne peut exprimer » (Pendanx, 1998 : 105), ce qui peut représenter une certaine frustration pour les jeunes (enfants, puis élèves en langue étrangère). Entre ce que l’on comprend et ce que l’on est capable d’exprimer existe un lien, mais aussi une limite lorsque l’on est en phase d’apprentissage d’une langue étrangère. Il s’agit aussi d’un cycle, qui va de l’intention de dire au fait de dire en soi, et d’être compris18

. Cependant, ce cercle ne forme pas toujours une boucle aboutie : lorsque les difficultés à s’exprimer sont trop grandes, que l’interlangue est défaillante, et parce que notre langue nous constitue comme sujet, la part de l’intime qui entre en jeu peut constituer des freins à l’expression.