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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.2. L’oral dans l’Institution

1.2.4. Évaluation et CECRL

D’autre part, depuis 2001, les objectifs d’enseignement et d’apprentissage des langues étrangères sont largement définis par les travaux du Conseil de l’Europe, qui les expose dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, ou CECRL. La nouveauté principale apportée par le CECRL est une échelle d’évaluation de compétences fondées sur des descripteurs, classées par niveaux et valables pour toutes les langues étrangères. Ainsi, le niveau A est celui d’un utilisateur élémentaire (c’est-à-dire débutant), le niveau B, d’un utilisateur indépendant (c’est-à-dire un locuteur se situant entre les niveaux intermédiaire et avancé), et le niveau C, celui d’un utilisateur expérimenté (c’est-à-dire un locuteur pour qui la langue ne représente pas d’obstacles majeurs). Chaque niveau de compétences est subdivisé en deux parties, A1 / A2, B1 / B2, et C1 / C2, comme le montre le tableau suivant27 :

Tableau 3 : Niveaux de compétence du CECRL (2001)

Ainsi, par exemple, pour un étudiant en BTS du Ministère de l’Agriculture, le niveau à atteindre en fin de cycle est B2, soit le même niveau que les élèves de LV1 doivent obtenir pour leur baccalauréat. En BTSA, on vise donc une consolidation des compétences acquises au lycée. Chaque niveau est assorti de « descripteurs » pour les cinq compétences suivantes : « écouter », « lire », « prendre part à une conversation », « s’exprimer oralement en continu », et « écrire » classés sous trois grandes compétences (« comprendre », « parler », et « écrire »).

Ces descripteurs commencent majoritairement par « Je peux… », ce qui dénote bien la volonté de décrire des capacités.

Or, Tardieu (2014) souligne la difficulté pour un apprenant de passer d’un niveau du CECRL à un autre, en particulier quand les finalités – pratique et académique – sont parfois antagonistes, et que les capacités à acquérir exigent d’avoir fait des études :

Les descripteurs de niveaux reflètent en particulier la difficulté pour l’apprenant de passer de B1 à B2. Or, il semble que les descripteurs de A1 à B1 concernent essentiellement la fonction sociale de communication « marchande » permettant des transactions de base avec autrui ; tandis que les descripteurs de B2 à C2 désignent des capacités beaucoup plus académiques et intellectuelles pour lesquelles il ne suffit pas d’être locuteur natif. Ces capacités impliquent en effet un certain niveau d’études clivant. Les travaux de Slabakova (2013) démontrent ainsi que ce qui est difficile pour des apprenants de L2 l’est également pour des locuteurs natifs n’ayant pas poursuivi d’études. (Tardieu, 2014 : 152)

Par ailleurs, l’instauration en 2001 du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues avec son échelle d’évaluation de compétences et son insertion dans les programmes scolaires amènent plusieurs problèmes quant à l’évaluation de l’oral. Le premier est celui posé par Berchoud (2013), qui s’interroge sur le contenu et le but de l’enseignement et de l’apprentissage lorsque ceux-ci sont dirigés exclusivement vers un résultat, l’obtention d’un diplôme :

Mais comment échapper à l’obligation de penser la formation en langues selon un rétro-planning à partir du niveau ou de la certification visée ? Ce qui configure d’emblée le contenu des apprentissages selon les épreuves à affronter, et mène en outre à des considérations d’efficacité, de rapport qualité-prix, vitesse-agrément, sans parler de la souplesse de plus en plus nécessaire dans des vies scolaires, universitaires ou professionnelles lourdes […] (Berchoud, 2013 : 22-23)

Berchoud (2013) reprend dans la même idée un texte de Paul Valéry (1935) expliquant que cela

[…] conduit à orienter les études sur un programme strictement défini et en considération d’épreuves qui, avant tout, représentent, pour les examinateurs, les professeurs et les patients, une perte totale, radicale et non compensée, de temps et de travail. Du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt s’organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens. Le but de l’enseignement n’étant plus la formation de l’esprit, mais l’acquisition du diplôme, c’est le minimum exigible qui

Cet objectif par le bas n’est pas souhaitable pour Valéry qui y voit quelque chose de réducteur : il y aurait là un déplacement d’un but noble et digne (« la formation de l’esprit ») vers un objectif dégradé et utilitaire (« l’acquisition du diplôme »). Cependant, il est douteux que l’on puisse échapper à cet objectif-là (mis à part pour les pédagogies alternatives d’enseignement des langues).

La seconde question posée par la prise en compte massive du CECRL est celle de l’uniformisation des pratiques, le Cadre pouvant être considéré non plus comme un ensemble de recommandations mais, bien qu’il s’en défende28, comme un document orientant les utilisateurs vers une pédagogie modèle du communicatif allié à l’activité; pour Berchoud, ces méthodes inspirées du Cadre – autour de l’activité des apprenants « dans le réel social de la classe, pas trop loin de celui du monde social extérieur » (Berchoud, 2013 : 175) – se sont imposées malgré une volonté affichée de ne faire seulement que des recommandations pédagogiques . Marie Berchoud dénonce ainsi le « rôle d’assèchement de la réflexion didactique et méthodologique sur l’apprendre et l’enseigner » (Ibid. : 173) établi par le CECRL, et questionne : « Alors, le CECR serait-il devenu le fossoyeur de la didactique et de la méthodologie, au motif que le document parfait est là, et qu’il n’y a plus rien à dire, observer, réfléchir ? » (Ibid. : 175)

Elle formule des arguments à l’encontre du Cadre qui, s’il souhaite paraître ouvert à la discussion, base de réflexion, n’en est pas moins un document partial dont les auteurs sont les acteurs, directs ou indirects. Les évaluations, certifications et examens restent centraux, comme l’explique Porcher (1995) : « L’évaluation est le nœud des actes d’enseignement. Qui tient l’évaluation tient tout le système. […] c’est elle qui régit les examens. […] [Elle est aussi] un mode de régulation de la classe, un outil que l’enseignant emploie pour rectifier son cours, le rééquilibrer, bref conduire son groupe. » (Porcher, 1995 : 46) Ainsi, l’évaluation est au cœur des réflexions en ce qu’elle oriente l’enseignement et doit convenir tout à la fois aux concepteurs, institutions, enseignants et apprenants.

On voit bien dans cette démonstration résumée de Marie Berchoud combien les objectifs et les intérêts (intellectuels, politiques, économiques…) sont intriqués, entremêlés,

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« […] le Cadre de référence n’a pas pour vocation de promouvoir une méthode d’enseignement particulière mais bien de présenter des choix. Un échange d’information sur ces options et l’expérience qu’on en a doit venir du terrain. À ce niveau on ne peut que signaler quelques-unes des options relevées dans les pratiques existantes et demander aux utilisateurs du Cadre de référence de les compléter à partir de leur propre connaissance et de leur expérience. » (CECRL, 2001 : 109)

ce qui fait du Cadre non plus un texte comme base de réflexion, mais un document plus normatif qu’il ne se l’avoue, avec une ligne directrice axée sur l’évaluation. D’ailleurs, le sous-titre du Cadre est bien : « apprendre, enseigner, évaluer ».

Il est aussi aisé de comprendre pourquoi notre système éducatif s’est finalement rallié au Cadre : cela semblait en effet difficile de ne pas le faire (même si la France ne l’a pas fait immédiatement ; il y a eu des réticences alors même que bien des pays l’avaient déjà fait), d’une part. Et d’autre part, il était possible de faire correspondre, de glisser les impératifs de l’École dans ceux du Cadre. Concrètement, pour le BTSA STA, la rénovation du diplôme de 2009 adopte complètement les recommandations du Cadre en calquant les évaluations sur le lexique même de celui-ci : les termes sont les mêmes et le niveau attendu en langue en fin de formation est exprimé avec l’échelle du CECRL (soit B2). L’accent est mis sur l’oral, en privilégiant un coefficient plus élevé que l’écrit (1,2 pour l’écrit et 1,8 pour l’oral sur un total de 3), et le référentiel de formation insiste fortement sur la nécessité d’une approche communicative en classe. Apprenants comme enseignants sont désormais incités à suivre le Cadre. Or, qui entend approche « communicative » entend aussi « oral », peut-être davantage qu’« écrit ». Et c’est également le cas dans une perspective actionnelle de co-action ou de communic’action, selon les différents formules proposées depuis les années 2000.

On l’a dit, l’oral est premier dans l’évolution d’un enfant, mais lorsque l’apprentissage de la lecture et de l’écriture se profile, l’oral, à l’école, reflue au profit de l’écrit. Cette évolution a lieu dans la L1 mais aussi dans la L2, et les spécificités de la discipline « langue étrangère » ne favorisent pas la production orale chez les apprenants.