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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.2. L’oral dans l’Institution

1.2.2. Place de l’expression orale dans l’enseignement français

La définition de l’oral dans l’enseignement français (langue française, mais aussi langues étrangères) est source de confusion en ce que le terme « oral » désigne à la fois une modalité pédagogique d’échange et de régulation, un outil d’apprentissage et d’enseignement, et un objet d’apprentissage. Il est « modalité pédagogique » lorsqu’il est utilisé comme un moyen de gérer la classe, comme lors d’une prise de parole d’un apprenant pour résoudre un exercice de mathématiques, par exemple. L’oral est alors limité. Il devient outil lorsqu’il est le medium par lequel des contenus sont négociés entre interactants pour permettre d’affiner sa pensée, par exemple lors d’une discussion pour sélectionner des informations dans la préparation d’un compte-rendu. On voit que l’oral est alors un moyen de développer sa réflexion, à condition bien sûr que cela soit rendu possible par un état d’esprit ouvert et un bagage linguistique suffisant. Enfin, il est aussi un objet d’apprentissage au même titre que d’autres disciplines, par exemple lorsqu’il donne lieu à des conseils de la part de ses camarades ou de l’enseignant sur la façon de s’exprimer, de mener un exposé ou un débat. Ajoutons que l’oral est un outil transversal en matière d’apprentissage car il est utile dans des nombreuses situations, et pas seulement dans la classe de langue ou de français. Dans la classe de langue étrangère, tout l’enjeu et toute la difficulté est de faire de la langue à la fois l’objet de l’apprentissage, l’outil et la modalité pédagogique.

En plus de ce statut polymorphe, il existe dans l’enseignement français un rapport ambigu à la relation entre l’oral et l’écrit, comme il en a été discuté dans la première partie. L’oral peine à être considéré comme un objet d’enseignement au détriment de l’écrit dont on cherche à développer la culture. En effet, l’idée que le jeune enfant développe de manière spontanée des capacités orales au contact de sa famille en grandissant, associée à une tradition

inférieur par rapport à l’écrit, ou tout du moins dans un rapport de soumission du premier au second. Outre cela, les conditions concrètes d’une classe (espace, nombre d’élèves, durées…) rendent aussi l’exercice de l’oral délicat. Si on ajoute à cela que la formation initiale et continue des enseignants reste en deçà des besoins, le panorama semblera difficile. Ce fut une raison de plus pour mener à bien cette recherche.

Il est intéressant de remarquer que les programmes de l’école maternelle, parus au B.O. spécial n°2 du 26 mars 2015, réaffirment l’importance du langage oral. Des cinq domaines d’apprentissage, le premier à être cité dans le B.O. – car il est au cœur du système – est « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions » :

« Le domaine « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions » réaffirme la place primordiale du langage à l'école maternelle comme condition essentielle de la réussite de toutes et de tous. La stimulation et la structuration du langage oral d'une part, l'entrée progressive dans la culture de l'écrit d'autre part, constituent des priorités de l'école maternelle et concernent l'ensemble des domaines. » (B.O. spécial n°2 du 26 mars, 2015 : 6).

Les pages 5 à 7 réservées à l’oral donnent des indications précises sur le rôle de l’enseignant (accompagner, reprendre, utiliser un débit ralenti, s’adapter aux capacités personnelles des enfants, complexifier le langage progressivement, etc.) ainsi que sur les objectifs visés :

 oser entrer en communication ;

 comprendre et apprendre ;

 échanger et réfléchir avec les autres ;

 commencer à réfléchir sur la langue et acquérir une conscience phonologique. C’est dans cette dernière partie que l’ « éveil à la diversité linguistique » est d’ailleurs évoqué : à partir de la moyenne section, les enfants peuvent découvrir des langues différentes par le jeu, et l’oral y est largement valorisé : chansons, comptines, petites conversations. Ce B.O. est complété par deux notes de service du 28 mai 2019 : « L’école maternelle, école du langage »24 où le rôle de la langue orale est réaffirmé, et « Les langues vivantes étrangères à

l’école maternelle »25

qui encourage à nouveau l’ouverture à la diversité linguistique et culturelle.

À l’école élémentaire, l’apprentissage de l’oral au cycle 2 (CP, CE1, CE2) reste dans la lignée des programmes de l’école maternelle, en cherchant à développer les compétences orales :

Une première maitrise du langage oral permet aux élèves d'être actifs dans les échanges verbaux, de s'exprimer, d'écouter en cherchant à comprendre les apports des pairs, les messages ou les textes entendus, de réagir en formulant un point de vue ou une proposition, en acquiesçant ou en contestant. L'attention du professeur portée à la qualité et à l'efficacité du langage oral des élèves et aux interactions verbales reste soutenue en toute occasion durant le cycle. Son rôle comme garant de l'efficacité des échanges en les régulant reste important tout au long du cycle, les élèves ayant besoin d'un guidage pour apprendre à débattre.

Cependant, l’oral semble prendre une place seconde au cycle 3 (CM1, CM2, classe de sixième). Il est en effet décrit comme une sorte de passerelle vers l’écrit, considéré comme une chose sérieuse (apprendre à lire et à écrire), une « culture de l’écrit » semblant être le but suprême vers lequel il faudrait tendre :

Le cycle 2 a permis l'acquisition de la lecture et de l'écriture. Le cycle 3 doit consolider ces acquisitions afin de les mettre au service des autres apprentissages dans une utilisation large et diversifiée de la lecture et de l'écriture. Le langage oral, qui conditionne également l'ensemble des apprentissages et constitue aussi un moyen d'entrer dans la culture de l'écrit, continue à faire l'objet d'une attention constante et d'un travail spécifique.

Concernant l’enseignement des langues étrangères au cycle 2, « la langue orale est la priorité ». On cherche à atteindre un niveau A1 du CECRL par des « tâches simples, en compréhension, en reproduction et progressivement en production » à la fin du CM2. Au cycle 3, on parle de « situations de communication » et des cinq activités langagières. De manière générale, de l’école au lycée, la communication et l’oral sont placés au centre des priorités pour le Ministère de l’Éducation Nationale :

Chaque élève doit être capable de communiquer dans au moins deux langues vivantes à la fin de l’enseignement secondaire. Pour atteindre cet objectif, l’enseignement des langues s’inscrit dans une perspective européenne commune forte. Les élèves sont sensibilisés à une langue étrangère dès le CP et la pratique de l'oral est prioritaire à tous les niveaux de l’école au lycée. L’amélioration des

compétences des élèves français en langues vivantes est une priorité. L’apprentissage des langues tient une place fondamentale dans la construction de la citoyenneté, dans l’enrichissement de la personnalité et dans l’ouverture au monde. Il favorise également l’employabilité des jeunes en France et à l’étranger. (Ministère de l’Éducation Nationale, (2007b) : en ligne)

Les épreuves orales de langue vivante sont intégrées aux baccalauréats général et technologique depuis 2013. Les niveaux de compétences européens cibles sont A1 à la fin de l’école élémentaire, A2 (socle commun) ou B1 (fin de scolarité obligatoire) à la fin du collège, et B2 pour l’épreuve du baccalauréat.

Mais face à ces vœux institutionnels, la réalité de terrain suit-elle ? Chaque élève est-il à même de s’exprimer dans deux langues à la fin du lycée ? L’intention est louable mais que les objectifs sont loin d’être atteints. En effet, je parle ici des langues vivantes, mais on pourrait tout aussi bien parler de l’oral en général. A cet égard, Gillet (1982) souligne qu’un enseignement de l’oral est souvent subordonné à l’écrit à l’école (comme je l’ai dit plus haut) – même s’il reconnaît que l’oral est davantage considéré comme un réel objet d’enseignement/apprentissage à l’école primaire qu’au collège puis au lycée – et qu’il faut être élève d’une Grande École (encore qu’elle soit orientée vers la gestion, la politique ou le commerce, et non vers les domaines scientifiques) pour recevoir un enseignement spécifique de l’oral :

Mais, si l'oral se pratique, s'enseigne, c'est de manière très inégale suivant les niveaux et les secteurs :

- il est clair qu'à l'école primaire on le considère plus en tant que tel que dans le second degré, où il apparaît essentiellement comme le support d'un travail sur un autre objet (l'écrit, la littérature, l'histoire...), et où les interventions des enseignés semblent connaître une courbe proportionnellement décroissante de la sixième à la terminale.

- privilégié à l'E.N.A. ou à H.E.C., dans des formations orientées vers la gestion, politique ou commerciale, il n'est que peu abordé dans les enseignements scientifiques (Polytechnique) ou les universités de Sciences humaines, là où la science, la technique et/ou l'enseignement sont concernés. (Gillet, 1982 : 2)

Les étudiants de l’enseignement supérieur n’étant pas formés de manière ciblée à l’oral et à ses techniques, ils se sentent souvent dépourvus des moyens et des compétences pour mener à bien une prise de parole, dans leur langue maternelle, et a fortiori dans la langue étrangère dont ils pensent mal maîtriser les codes.

Ajoutons à cette contrainte institutionnelle des difficultés de mise en œuvre de l’enseignement de l’oral, comme le souligne Plane (2015)26

:

Il est vrai que dans la classe l’oral est source de difficultés pédagogiques: faire parler les élèves est très gourmand en temps et il faut déployer beaucoup d’ingéniosité didactique pour évaluer des prestations orales, sauf à se contenter de faire pratiquer par les élèves des exercices de diction ou de récitation, lesquels ne sont pas inutiles mais sont bien loin de couvrir tout le champ de l’oral.

Par ailleurs, si l’objectif affiché de l’Institution reste de développer les compétences orales, tant en langue maternelle qu’en langue étrangère, les réalités de mise en œuvre sur le terrain sont souvent bien éloignées, en particulier pour les seuils de dédoublement. Un nombre élevé d’apprenants dans une classe est un facteur limitant la prise de parole, requérant une grande discipline dans l’attribution (par l’enseignant) et le respect (par les élèves) des tours de paroles.

Ce type de contrainte institutionnelle n’est qu’une parmi d’autres : elle a trait aux programmes en France mais aussi aux volontés européennes ainsi qu’aux questions portant sur l’évaluation.