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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.2. L’oral dans l’Institution

1.2.5. Quel enseignement de l’anglais oral ?

1.2.5.1. Particularité de l’enseignement de l’anglais

1.2.5.1.1. La discipline « langue »

La particularité de l’enseignement de l’anglais, qu’il soit écrit ou oral, tient à la nature même de la discipline « langue » enseignée.

En effet, si comme chaque enseignant (de mathématiques, d’histoire, etc.), le professeur d’anglais doit être tout à la fois un spécialiste de la discipline qu’il enseigne

(c’est-façon dont les élèves peuvent apprendre cette matière scolaire (donc un spécialiste de la didactique de cette discipline), l’enseignant de langue bute sur une troisième difficulté, car la langue d’enseignement est aussi langue d’apprentissage pour les étudiants. C’est cette spécificité de l’enseignement des langues qui rend son apprentissage compliqué : car en effet, il peut être difficile pour un élève d’apprendre l’anglais s’il ne comprend pas du tout cette langue.

C’est ce qu’explique Bigot dans « Les comportements langagiers tutélaires des enseignants : réflexion sur la mise en discours des activités cognitives des apprenants » (Bigot, 2002 : 67). Elle parle de « double compétence de l’enseignant ». Celui-ci doit être un « expert linguistique » car il existe une inégalité, un déséquilibre entre enseignant et apprenants quant à la maîtrise inégale du code langagier, ce qui suppose l’existence d’un contrat moral entre les deux parties. L’enseignant doit aussi posséder une « compétence didactique » en étant « celui qui sait comment faire pour apprendre », ce qui suppose qu’il soit à même d’expliciter des exercices, activités, mais aussi d’orienter les apprenants vers des stratégies d’apprentissage et de les accompagner dans cette voie.

En sus de cette particularité de la double compétence de l’enseignant, l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère est soumis à trois contraintes fortes, comme le souligne Pendanx (1998) :

 La langue est « objet d’étude » (il va être question d’étudier cette langue pour la comprendre et l’apprendre) ;

 La langue est utilisée comme « moyen de cette étude » (il s’agit de l’idée que l’on apprend à écrire en écrivant, à parler en parlant, etc.) ;

 La langue est enfin le « véhicule de communication entre partenaires de la situation d’enseignement/apprentissage » (la langue est donc ainsi un moyen au service d’une fin). Notons que ce dernier point n’est valable que si l’on interdit la LM dans le cours de langue.

Ces trois contraintes peuvent être concomitantes. Imaginons que les apprenants aient besoin d’utiliser le prétérit pour parler d’un fait passé (commande, appel téléphonique rapporté à un supérieur hiérarchique, etc.) ; il faudra alors :

 enseigner les formes morpho-syntaxiques de ce temps, ses utilisations, éventuellement les raisons de l’emploi de ce temps, son évolution au fil de l’histoire pour expliquer certaines modifications de formes, etc. (la langue sera alors « objet d’étude ») ;

 utiliser ce temps en contexte, le manipuler (la langue sera alors « moyen de cette étude ») ;

 se servir de la langue tout au long du procédé pour communiquer dans le contexte de la classe.

Le problème se pose lorsque ces trois contraintes ne sont pas seulement simultanées, mais aussi antinomiques. En effet, que se passe-t-il dans l’enseignement d’une langue étrangère (et dans son apprentissage) si la langue utilisée pour communiquer ne permet pas aux apprenants de comprendre l’étude de celle-ci ? L’enseignement peut être bloqué, ou même échouer complètement. Une solution proposée par les méthodes récentes d’enseignement/apprentissage de l’anglais réside dans l’utilisation de la LM pour l’étude de la langue : expliquer les faits de langue anglaise en français permettrait de lever les ambiguïtés tout en rassurant les apprenants. Ce sont d’ailleurs les préconisations des référentiels de BTSA.

1.2.5.1.2. La position de Bange

Cependant, pour Bange (2006), la difficulté liée à l’enseignement/apprentissage des langues étrangères ne tient pas à la nature même de la discipline « langue ». Pour lui, ce qui importe est le fait que le cœur de l’apprentissage soit déplacé, décentré lorsque cet apprentissage se fait en milieu scolaire, de l’interaction elle-même vers le moyen de celle-ci (la langue) :

Ce qui caractérise l’école, ce n’est donc pas une structure de communication particulière. Ce n’est pas non plus le fait qu’un des partenaires maîtrise l’outil alors que l’autre doit encore apprendre à le faire : les positions d’expert et de novice se trouvent déjà dans la situation d’immersion sociale. Ce qui caractérise l’école, c’est que le novice est un élève et le tuteur un agent spécialisé d’une institution vouée exclusivement aux apprentissages ; c’est que le but des interactions n’est pas un but externe, mais l’apprentissage lui-même qui devient une fin en soi. Il y a de ce fait un déplacement du centre de gravité de l’interaction, du foyer de l’attention des partenaires vers les activités cognitives de l’élève. Ce qui,

chaque interactant, son activité cognitive individuelle, devient, dans le cas de l’élève, l’enjeu commun et prend la place du but communicatif externe auquel chacun contribue en tant que partenaire social. L’interaction en classe subit une sorte d’involution: les moyens de l’interaction en deviennent le but. (Bange, 2006 : 63-64)

Il oppose ainsi le milieu naturel au milieu institutionnel scolaire. Dans le milieu social, la langue étrangère « est le véhicule habituel de la communication ordinaire […], et […] l’apprentissage est subordonné aux contraintes de la vie quotidienne. Dans une telle situation d’immersion sociale des locuteurs non natifs, l’apprentissage est un apprentissage spontané de la communication dans la communication. » (Ibid. : 62-63) Il n’y a pas de question quant au but de l’utilisation de la langue étrangère : ce que l’on cherche, c’est à communiquer, à échanger, à comprendre et à se faire comprendre, ou en d’autres termes, comme le souligne Bange, « on ne se préoccupe que d’intercompréhension, quels que soient les moyens par lesquels on y arrive, qu’ils soient ou non conventionnels ». Pour Bange, cette situation est à rapprocher de ce qui se passe lorsque l’on apprend sa langue maternelle, et encore plus durant sa phase d’acquisition.

Au contraire, la situation scolaire a pour objectif premier l’apprentissage, et non l’interaction, ce qui est renforcé par un rapport déséquilibré entre le maître et l’élève, le premier occupant une « position dominante » qui aliène la part d’autonomie et de spontanéité du second : le maître impose sa conception du but qu’est devenu l’apprentissage (c’est-à-dire une part – importante, voire essentielle – de l’activité cognitive de l’élève) et il détermine seul les moyens qui doivent permettre de le réaliser. L’activité cognitive de l’élève est censée ne plus se dérouler spontanément selon ses propres lois comme dans l’apprentissage en immersion, elle est proposée, guidée et évaluée par l’enseignant, c’est-à-dire imposée à l’apprenant par son partenaire de l’interaction au nom d’un savoir sur les buts et les moyens de l’enseignement assimilé indûment au savoir-faire de l’apprentissage. L’activité cognitive de l’élève est censée se réduire à la seule dimension d’apprentissage que lui dicte l’enseignant. L’élève n’est pas regardé comme un interlocuteur autonome dans l’interaction, mais seulement comme un objet du faire didactique que le maître manipule au gré de ses options. On n’a donc plus affaire qu’à un simulacre d’interlocution. (Ibid. : 64)

Le terme de « simulacre » montre combien Bange estime que la raison même de l’échange en langue étrangère n’a plus de sens dans un contexte scolaire où tout est sous le contrôle de l’enseignant. C’est aussi le message du sociologue Bourdieu (1982) qui le résumait en une idée simple : le cours de langue est un lieu où l’on parle pour ne rien dire29.

Cette idée d’un contexte institutionnel (avec ses règles) qui dépossède l’apprenant de sa propre voix est intéressante pour cette recherche, car l’on peut se demander dans quelle mesure l’école, de par sa nature même, inhibe la parole de l’élève. Par ailleurs, il faut s’interroger sur les écarts entre l’apprentissage d’une langue en immersion et en situation scolaire.

1.2.5.1.3. Le bain linguistique vs la situation de classe

Sur le sujet de l’apprentissage d’une langue étrangère en contexte scolaire, Varshney (2006) étudie les représentations d’étudiants australiens apprenant le français et recueille le témoignage suivant : « [English is] just something concrete that I can rely on and I can build around that. They’re just like throwing everything at you at once with this immersion learning and expecting it to fall magically into place [and it cannot be done] not in four hours a week. » (Varshney, 2006 : 9)30

Deux caractéristiques sont à noter dans ce témoignage. Tout d’abord, il est intéressant de remarquer que certains étudiants comptent littéralement sur leur langue maternelle pour leur apporter un certain degré de confort, de réconfort même, et qu’ils utilisent cette langue comme repère, comme base sur laquelle construire (« build ») leur savoir en langue étrangère. Il faudra alors certainement apprendre aux étudiants à lâcher prise, à ne pas rester collés à leur LM et à se faire confiance dans l’apprentissage et l’utilisation de la LE. D’autre part, il est remarquable que certains étudiants reçoivent la langue étrangère comme une violence qui leur serait faite. L’utilisation du verbe « throwing » (« lancer ») dans cet extrait illustre la force avec laquelle l’apprenant se sent agressé, comme s’il recevait un coup au visage. Dans ma pratique d’enseignante au quotidien, bien des apprenants expriment la violence ressentie autour des sons (entendus – « je ne comprends rien aux Anglais ; ils n’articulent pas ! » – ou prononcés – témoignages d’une sensation de déformation du visage, de langue « en avant » dans la prononciation du « th »). Enfin, l’idée que l’apprentissage arriverait d’un coup de baguette magique en étant exposé à la langue cible semble impossible en si peu de temps

d’exposition ; ici, l’étudiant parle de quatre heures par semaine quand les BTSA du Ministère de l’Agriculture ne bénéficient que de deux heures par semaine d’enseignement de langue.

Girard (1884), parlant de l’apprentissage de l’allemand L2 il y a plus d’un siècle, va même plus loin dans la dénonciation du bain linguistique, qu’il considère comme dangereux :

Que de gens font fi de la grammaire ! Pour un grand nombre, il suffit tout bonnement de jeter les enfants en plein allemand, comme on jette, selon la recommandation du proverbe, les gens à l'eau pour leur apprendre à nager. Et d'abord ce proverbe nous paraît un de ceux qu'il serait peut-être dangereux de prendre au pied de la lettre ; mais de plus, la comparaison ne nous semble pas exacte. Où prendre ce plein d'allemand ? Pas en classe assurément. Un verre d'eau n'est pas un fleuve ; et si l'on dit que l'on peut se noyer dans un verre d'eau, nous n'avons pas encore entendu dire qu'on pût apprendre à y nager. L'allemand ne coule à pleins bords que de l'autre côté du Rhin. Veut-on que nous y conduisions tous nos élèves ? (Girard, 1884 : 145)

Ce passage, bien qu’il soit à replacer dans son contexte historique de rivalité franco-allemande, souligne aussi la difficulté à composer avec des conditions matérielles imposées en situation de classe. L’artificialité de l’enseignement et de l’apprentissage est donc aussi liée à des conditions matérielles sur lesquelles l’enseignant n’a que peu (voire pas du tout) de prise. C’est ce que Puren appelle la « situation » pédagogique, par opposition au « dispositif », la « situation » renvoyant aux données inchangeables de l’environnement de travail, le « dispositif » à l’« ensemble de mesures prises et de moyens mis en œuvre pour une intervention précise31 » :

J’ai proposé de différencier les deux concepts en réservant celui de « situation » à l’ensemble des paramètres « donnés », c’est-à-dire ceux sur lesquels l’enseignant ne peut généralement pas agir (le nombre d’apprenants dans son cours ou leur âge, par exemple), et celui de « dispositif » à l’ensemble des paramètres « construits », c’est-à-dire ceux sur lesquels l’enseignant peut généralement agir (le type de supports et d’activités, les aides et guidages, les durées, les formes de travail, etc.).[Puren, n.d., en ligne : 8]

En effet, chaque enseignant de langue sait qu’il est plus difficile d’enseigner à un groupe de 30 qu’à un groupe de 10, à un groupe d’adolescents obligés d’assister à des cours qu’à un groupe d’adultes volontaires ayant un projet précis d’utilisation de la langue (comme un voyage par exemple). Pourtant, les conditions matérielles ne sont pas les seules en jeu : on peut leur ajouter des contraintes d’ordre plus psychologique liées à la situation de classe.