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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.2. L’oral dans l’Institution

1.2.3. Contraintes institutionnelles

Il est vrai que dans la classe l’oral est source de difficultés pédagogiques: faire parler les élèves est très gourmand en temps et il faut déployer beaucoup d’ingéniosité didactique pour évaluer des prestations orales, sauf à se contenter de faire pratiquer par les élèves des exercices de diction ou de récitation, lesquels ne sont pas inutiles mais sont bien loin de couvrir tout le champ de l’oral.

Par ailleurs, si l’objectif affiché de l’Institution reste de développer les compétences orales, tant en langue maternelle qu’en langue étrangère, les réalités de mise en œuvre sur le terrain sont souvent bien éloignées, en particulier pour les seuils de dédoublement. Un nombre élevé d’apprenants dans une classe est un facteur limitant la prise de parole, requérant une grande discipline dans l’attribution (par l’enseignant) et le respect (par les élèves) des tours de paroles.

Ce type de contrainte institutionnelle n’est qu’une parmi d’autres : elle a trait aux programmes en France mais aussi aux volontés européennes ainsi qu’aux questions portant sur l’évaluation.

1.2.3. Contraintes institutionnelles

Considérant la perspective historique, il apparaît évident que l’enseignement de l’oral dans un objectif communicatif ne s’est constitué que relativement tard comme objet d’étude et de recherche, comme le souligne Boublil (2012) pour le FLE :

On a ainsi remplacé des tâches centrées principalement sur la médiation d'une langue à l'autre (les canoniques thèmes et versions) par l'utilisation de tâches de communication à trois composantes, qui obligent le locuteur non seulement à connaître le code linguistique (composante linguistique) mais à le mobiliser à bon escient à l'oral en le rapportant à une action (composante pragmatique) dans un contexte socioculturel et linguistique donné (compétence sociolinguistique). Cette démarche, structurée par les travaux de recherche publiés dans la revue AILE, trouve son point d'orgue dans le document du Conseil de l'Europe adaptant le CECRL pour le français, qui propose six niveaux de maîtrise (A1 & 2, B1 & 2, C1 & 2) de cinq compétences dont trois sont directement liées à l'expression orale : « Écouter », « Prendre part à une conversation » et « S'exprimer oralement en continu ». L'oral est ainsi défini comme une activité de réception et de production monologique et dialogique. (Boublil, 2012 : en ligne)

On voit bien la complexité des compétences à mettre en œuvre pour qu’un étudiant réussisse à s’exprimer : il lui faut comprendre et connaître le code linguistique, mais celui-ci ne peut pas agir seul ; il faut encore que l’apprenant mobilise cette langue pour mener une action à bien (« composante pragmatique ») tout en comprenant et prenant en compte un environnement donné (« compétence sociolinguistique »). L’oral requiert donc une attention soutenue de la part de l’apprenant : l’élève doit être capable de gérer toutes ces données simultanément pour produire de l’oral. Et ceci est sans compter avec l’ensemble des compétences attendues de lui, à différents niveaux : comprendre (compétences « écouter » et « lire »), parler (compétences « prendre part à une conversation » et « s’exprimer oralement en continu ») et écrire (compétence du même intitulé). Et la mobilisation de ces compétences ne vaut rien si l’étudiant ne joue pas le jeu de la situation artificielle de la classe de langue.

Boublil remarque aussi une contradiction sur laquelle il est important d’insister : « la pratique orale y est conçue comme un travail de production – et, curieusement, assez peu de réception alors que l'élève passe (du moins, devrait passer !) la majeure partie de son temps scolaire à écouter et non à parler […] »(Ibid.) Ce fait constitue aussi un frein institutionnel au progrès des apprenants en expression orale. En effet, si l’on divise le temps passé en classe par le nombre d’élèves, et que l’on soustrait le temps utilisé par l’enseignant pour expliquer, aider, diriger (temps où il parle lui aussi), il ne reste que des miettes aux étudiants, que quelques minutes par personne tout au plus. En 2009, Vanderplank a ainsi montré que, lors d’une classe de langue traditionnelle de 45 minutes, un élève prendrait la parole environ 21 secondes. Son temps d’activité à l’oral est caricatural, mais il représente la réalité. D’autre part, si les activités en laboratoire de langue permettent une prise de parole de 11 minutes, on sait bien que l’oral dans ce contexte se limite souvent à des répétitions de phrases ; on peut se demander quelle est la validité de ce genre d’activité de mimétisme pour la fluidité et la pratique de la conversation et de l’interaction.

Tableau 2 : Durée de la production orale individuelle selon Vanderplank (2009)

À l’heure actuelle, les activités orales proposées aux étudiants ont certes changé, avec des innovations mises en place dans les Centres d’Apprentissage de Langues (CAL) des universités qui cherchent à développer l’autonomie et à maintenir la motivation des apprenants sur le long terme (Prince et Olive, 2003), mais ces dispositifs innovants ont leur personnel dédié, ce qui n’est pas le cas pour les établissements du Ministère de l’Agriculture. Prince et Olive (2003) soulignent par ailleurs que l’investissement personnel de l’apprenant dans les activités du Centre dépend largement de ses représentations :

En simplifiant quelque peu les mécanismes de la motivation, on peut dégager trois représentations qui seront déterminantes : le plaisir que procure une activité, sa facilité et sa pertinence. L’interaction entre ces représentations est complexe : si nous sommes naturellement attirés par des activités que nous ressentons comme agréables, celles-ci ne sont pas toujours les plus motivantes, car elles peuvent être perçues comme non pertinentes par rapport à l’objectif fixé. Par ailleurs la réussite n’aura un effet motivant que si la tâche accomplie comporte un certain niveau de difficulté, permettant à l’apprenant de lui accorder davantage de valeur. Ces représentations de la tâche sont activées par anticipation, avant de s’y engager, et réexaminées après, lors de la phase d’évaluation. La motivation durable nécessaire pour poursuivre un processus aussi long et laborieux que l’apprentissage d’une langue ne s’installera que si l’apprenant a la conviction que les activités entreprises, aussi agréables soient-elles, sont non seulement réussies mais sont aussi autant de jalons attestant d’un progrès réel vers un but qu’il considère comme important. (Prince et Olive, 2003, en ligne : para. 8)

Cette contrainte majeure – celle du temps passé à parler la langue étrangère – qui influe sur le développement des capacités orales chez les apprenants est donc à la fois personnelle (elle dépend de la volonté et de la motivation de l’élève), institutionnelle et

systématiquement dédoublées où le nombre d’élèves permettrait à chacun de s’exprimer davantage. On se situe ici du côté des apprenants (comment apprennent-ils les langues étrangères, quels choix font-ils, quelles stratégies mettent-ils en place ?, etc.), mais les questions émergent aussi du côté des enseignants : comment sont-ils formés, comment animent-ils leur classe ?, etc. Les contraintes institutionnelles, elles, pèsent des deux côtés.