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2. Modèles scientifiques de la production orale

2.2. Complexité, correction et fluidité

2.2.3. Correction

Dans le trio « complexity, accuracy, fluency », les linguistes s’accordent à dire que le concept de « accuracy » (littéralement « précision ») est certainement le plus évident à définir : « Accuracy is arguably the most straightforward and internally consistent construct of the CAF triad. » (Housen, Kuiken & Vedder, 2009 : 4). Le terme « correctness » (« correction ») est parfois substitué au terme « accuracy » (« précision ») dans la littérature, et tous deux font référence à l’écart de la langue d’un locuteur avec la langue cible (souvent celle d’un locuteur natif), ces écarts étant identifiés comme des erreurs. La question se pose de savoir quelle langue exactement l’on considère comme « norme » : est-ce une langue idéale, parfaite d’un point de vue linguistique, ou les usages de la langue de certaines communautés sont-ils considérés comme valables ? C’est en s’interrogeant sur la valeur de la norme que Housen, Kuiken et Vedder proposent d’utiliser aussi les termes « appropriateness » (justesse, bien-fondé, à-propos, pertinence) et « acceptability » (acceptabilité, caractère de ce que l’on peut admettre) : « In the light of these considerations, we argue that the ‘A’ in CAF be interpreted not only as accuracy in the narrowest sense of the term but also as appropriateness and acceptability. » (Ibid.) Dans cette recherche, j’utiliserai le terme « correction » qui me semble insister sur la justesse de la langue, alors que le terme « précision » revêt une autre dimension, celle d’une langue non seulement correcte mais aussi exactement adaptée à une situation ; or, à mon sens, on peut être correct dans la production orale sans être tout à fait précis dans l’expression de ses idées.

L’opposition entre fluidité et correction est avant tout pédagogique : elle fait référence à la méthode d’enseignement, en particulier en décrivant des activités de classe (Koponen et Riggenbach, 2000 : 17). Brumfit (1984, 2000) est l’un des premier à distinguer les activités dont le but est d’améliorer la fluidité de celles qui visent à améliorer la correction : les premières encouragent une utilisation spontanée de la langue dans des situations de communication authentiques (c'est-à-dire qui peuvent se reproduire en dehors de la classe et dans la vraie vie), les secondes se centrent sur la forme et visent la production d’une langue sans erreurs.

L’une des tâches de l’enseignant en production orale consiste donc à améliorer non seulement la fluidité (« fluency»), chez les apprenants, mais aussi la correction (« accuracy »), deux termes qui sont souvent mis en opposition. Lennon (1990) souligne que si la fluidité de

caractéristique davantage associée à l’écrit : « The primacy placed on fluency in oral performance is, of course, in interesting contrast to the situation in written performance, in which primacy is still placed on “correctness” with “content” coming a very poor second. » (Lennon, 1990 : 391) Pourtant, fluidité et correction sont intimement liées dans la production orale aussi, car la connaissance de règles qui ont été intériorisées permettra une meilleure fluidité. C’est la distinction que fait Krashen (1982) entre « learning » (qui est la maîtrise de règles explicitées) et « acquisition » (l’élaboration de règles intériorisées implicites) : quand le « learning » devient « acquisition », il évolue vers une forme plus automatique de pensée qui demande moins de réflexion, ou de contrôle, ce qui, donc, favorise la fluidité. C’est la théorie du « monitor » développée par Krashen, même s’il faut souligner que Krashen est un des tenants de l’approche naturelle, c’est-à-dire qu’il s’intéresse aux situations hors de la classe. Cela limite la portée de ses propos, mais ne l’invalide pas : peut-être la classe devrait-elle être systématiquement liée à des bains linguistiques chaque année.

D’autre part, pour pouvoir communiquer, il faut être capable d’utiliser la langue étrangère a minima. S’exprimer lorsque l’on n’a qu’une connaissance de base en L2 est très difficile : la pensée sera compliquée à mettre en mots, il faudra en simplifier l’expression qui sera réduite, et il sera certainement impossible de dire ce que l’on veut effectivement dire.

Daniel Gaonac’h (1991) résume ainsi les liens entre compétences de communication et compétences linguistiques :

L’acquisition de compétences de communication suppose une maîtrise minimale du code

linguistique. Mais celle-ci ne peut être considérée comme suffisante : à compétence linguistique égale,

la compétence communicative peut présenter des variations importantes. (Gaonac’h, 1991 : 187)

Il est donc visible que les trois compétences (fluidité, correction, compétences de communication) qui m’intéresseront dans l’analyse des données recueillies sont étroitement liées.

Ainsi, la définition de la correction semblant plus évidente que celle de la fluidité, on pourra l’évaluer de manière claire ; une production orale « correcte » serait la capacité à formuler un énoncé qui ne contienne aucune ou peu d’erreurs. Ainsi, on pourrait estimer la correction d’un énoncé par le nombre d’erreurs rapporté au nombre de mots prononcés, qui représenterait un taux d’erreurs.

Pour la correction, j’ai donc utilisé trois critères : a. le nombre d’erreurs syntaxiques, lexicales, morphologiques ou référentielles/discursives (sans distinction du type d’erreur) ainsi que l’utilisation du français47

; b. le nombre d’erreurs de prononciation ; et c. le taux d’erreurs, c'est-à-dire le pourcentage d’erreurs (des deux types d’erreurs : syntaxe, vocabulaire, etc. et prononciation mentionnés aux points a. et b.) rapportées au nombre total de mots. Notons que dans mon corpus, toutes les erreurs ne font pas l’objet d’une autocorrection ou d’une reprise quelconque48

.

Pour éprouver mes hypothèses de recherche, j’ai donc analysé ces différentes caractéristiques de l’anglais oral observées au cours d’une tâche de production orale en anglais chez des apprenants volontaires. Rappelons que j’ai d’abord considéré les critères de fluidité : le nombre de mots prononcés au total (en incluant les interjections et « fillers »), le nombre de mots prononcés sans relance de l’interlocuteur (le premier tour de parole), le nombre de pauses courtes de moins d’une seconde, le nombre de pauses longues de plus d’une seconde (en incluant les interjections et « fillers », ce qui correspond au nombre de « filled pauses »), la fréquence des pauses courtes et longues et le nombre de mots pronocés entre les pauses (ou « mean length of run »). Dans un deuxième temps, j’ai étudié les stratégies de communication que j’ai réparties en trois catégories : la sollicitation, la reprise et l’autocorrection. Dans un troisième temps, j’ai pris en compte trois critères de correction de la langue : les erreurs de syntaxe, lexique, etc. et le recours au français, les erreurs de prononciation, et le taux de ces deux types d’erreurs (c'est-à-dire le pourcentage d’erreurs rapporté au nombre de mots). L’ensemble de ces critères, que j’expliquerai plus en détail dans la deuxième partie de la thèse, a été étudié en lien avec les représentations de la langue chez les apprenants ; le chapitre suivant est consacré à ce thème.