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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.2. L’oral dans l’Institution

1.2.1. L’oral dans les méthodologies : une perspective historique

1.2.1.1. Les débuts de l’enseignement des langues étrangères

Le baccalauréat a été créé le 17 mars 1808 et est constitué d’« épreuves orales portant sur des auteurs grecs et latins, sur la rhétorique, l'histoire, la géographie et la philosophie »22. Ce n’est qu’en 1853, soit 45 ans plus tard, que la première épreuve de langue vivante est introduite. C’est dire la défiance qui entourait déjà l’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère.

Cette méfiance s’illustre aussi très clairement lorsque l’on examine l’histoire des méthodologies d’enseignement/apprentissage des langues (Puren, 1986, Tardieu, 2014). Les méthodologies traditionnelles de l’enseignement des langues vivantes se sont construites autour du savoir-faire préalable de l’enseignement du latin et du grec ; elles se basaient donc sur la grammaire, la traduction (thème et version) et l’apprentissage par cœur du vocabulaire, et davantage sur un savoir théorique que pratique, écrit qu’oral. Le professeur n’insistait pas sur l’écoute et la production orale car la langue (le latin et le grec) était considérée comme un sujet académique plus que comme un moyen de communication. Tardieu (2014) souligne l’antagonisme de deux finalités, l’une pratique, et l’autre académique :

Ces deux objectifs antagonistes ne datent pas d’hier puisque, comme le rapporte Claude Germain (1993), dès l’époque de Sumer, voici plus de 5000 ans, le clivage entre langue vivante, populaire et langue sacrée, érudite, existe déjà : le sumérien est une sorte de L2 apprise par les futurs scribes, tandis que le peuple parle l’akkadien. On retrouve cette prééminence accordée à l’écriture et aux scribes dans

l’Égypte des Pharaons, le mot hiéroglyphe signifiant « écriture des dieux ». Là encore, savoir, c’est savoir écrire. Écrire une langue sacrée, éloignée de la langue courante. (Tardieu, 2014 : 151)

Les premières méthodes d’enseignement des langues remontent au XVème

siècle mais sont destinées à un public privilégié à travers l’étude de l’écrit. Pourtant, Tardieu (2014) insiste sur l’intrication apprentissage par l’oral/apprentissage par l’écrit au Moyen Âge :

Au Moyen Âge, l’oralité se développe […]. Mais se développe en parallèle, dès la Renaissance, comme le rappelle Christian Puren (1988), la méthode grammaire-traduction qui perdurera jusqu’au début du XXème siècle. Il s’agit d’appliquer aux langues « courante » les méthodes d’enseignement propres aux langues « érudites », à savoir le thème et la version. C’est sans doute la fonction sociale de la langue qui est au cœur de la problématique. Apprend-on une L2 pour se démarquer des autres et accéder à l’élite ? Ou bien pour communiquer au quotidien dans un contexte marchand ? (Tardieu, ibid. : 151-152)

Cependant, à partir du XVIème siècle, les méthodes traditionnelles indirectes prévalent ; les explications sur la langue étrangère sont données dans la langue des apprenants ou en latin, et sont basées exclusivement sur la maîtrise du code écrit23. Elles restent en vigueur jusqu’à la fin du XIXème

et au début du XXème siècle.

1.2.1.2. L’enseignement de l’oral aux XXème

et XXIème siècles

La fin du XIXème siècle voit l’avènement des méthodes directes, les méthodes précédentes ayant échoué à améliorer la communication orale : on rejette l’utilisation de la langue maternelle dans l’enseignement de la langue étrangère. Cette méthode tente de calquer l’apprentissage d’une langue étrangère sur celui de la langue maternelle, c’est pourquoi elle a aussi été appelée la « méthode naturelle ».

Ce sont les grands débuts de l’enseignement de l’oral en classe de langue étrangère, misant sur beaucoup d’interactions, une utilisation spontanée de la langue, tout en évitant toute traduction ainsi que, dans une large mesure, les règles de grammaire et de syntaxe. La centration sur l’oral est primordiale ; on estime que les étudiants doivent passer 80 % de leur temps de classe à parler, et on commence d’ailleurs par apprendre la prononciation, considérée comme capitale, avant toute autre chose.

Dans les années 1950, les méthodes directes actives commencent à insister sur l’importance de parler une langue étrangère. Pourtant, les limites de la méthode audio-orale sont claires : l’automatisation ne semble pas permettre à des apprenants de s’exprimer par la suite dans un contexte authentique où toutes les formes ne se ressemblent pas, et où les subtilités de la langue risqueraient d’être incomprises, c’est-à-dire dans des situations contextualisées et parfois imprévues.

Dans les années 1960, la méthode structuro-globale audio-visuelle (SGAV) est basée sur l’oral et sur l’image utilisés conjointement. L’intention de ces méthodes est de développer la communication. C’est en communiquant que l’on va apprendre. On demande aux apprenants de s’engager personnellement et même physiquement dans la communication (il faut parler, se déplacer) ; la méthode est directe et active, lors de simulations globales et de jeux de rôle.

Dans les années 1970 se développent des approches inédites qui serviront de passerelle vers les méthodes communicatives ; ce sont les approches dites non-conventionnelles, « humanistic approaches » en anglais. Elles ont en commun un attachement aux facteurs à la fois cognitifs et affectifs chez l’apprenant, c’est-à-dire que chacun est considéré comme une personne dans son entier. L’environnement est aménagé pour être sûr, fiable et plaisant de manière à faciliter l’apprentissage et à créer l’envie de parler et d’apprendre.

À partir de la fin des années 1970 et dans les années 1980, l’enseignement des langues étrangères se centre encore un peu plus sur les compétences orales à partir de documents authentiques. L’objectif est de communiquer dans la langue. Celle-ci devient un moyen au service d’une fin : la communication. Les situations de communication sont abordées à partir de grandes notions (faire connaissance, effectuer un achat, etc.) de la vie quotidienne ; c’est une langue réaliste avec laquelle l’apprenant peut aussi se dire en parlant de ses projets, émotions, etc.

Dans les années 1990, l’objectif de l’apprentissage d’une langue étrangère reste la communication avant tout, mais les méthodes communicatives deviennent parfois davantage ciblées : plutôt que d’établir une méthode bonne pour tout le monde, elle sera variable pour un public particulier ayant des objectifs donnés ; ce sont les grands débuts des LANSAD (LANgues pour Spécialistes d’Autres Disciplines) dans l’enseignement supérieur. On prend

conscience qu’il n’est pas possible d’enseigner la même langue de la même façon à tout le monde, car chaque public a un but spécifique à soi.

Dans le cadre de cette recherche, la mise en avant des compétences de communication dans des situations se rapprochant de la vie réelle est un élément-clef : en effet, si un apprenant comprend l’intérêt immédiat qu’il a à apprendre une langue (à savoir : pouvoir se débrouiller avec sa connaissance de celle-ci en présence de locuteurs anglophones, en voyage, etc.), on peut imaginer que sa motivation à apprendre la langue se développera et qu’il fera les efforts nécessaires pour pouvoir la parler.

1.2.1.3. Pour résumer

On voit que l’enseignement de l’oral en langues étrangères a beaucoup évolué au cours des âges, tant dans les pratiques que dans les objectifs. Les pédagogies se sont peu à peu focalisées sur l’apprenant et sur l’oral. Des méthodes traditionnelles de traduction basées exclusivement sur l’écrit aux méthodes actuelles qui se fixent pour objectif la communication en langue étrangère, l’écart est grand.

À partir des années 1970, tout un courant de pensée rejette les méthodes d’inspiration behavioriste pour se concentrer sur l’apprenant comme entité libre et responsable de son apprentissage. Ces approches humanistes, qui n’ont pas eu la diffusion massive des méthodes communicatives, ont fait place à des méthodes mêlant l’ensemble des points positifs des méthodes historiques. Dans tous les cas, la focalisation passe d’« enseigner » à « apprendre ». Ce changement de point de vue est central pour cette recherche, qui s’intéresse principalement aux ressentis d’un public de BTS de l’enseignement technique agricole et souhaite comprendre les liens entre représentations et compétences orales réelles.

À l’heure actuelle, sur le terrain, les attentes des élèves vont dans le sens de l’évolution des méthodes (ils cherchent selon moi à apprendre une langue qui fait sens pour eux, et cela signifie : une langue qu’ils vont utiliser – en particulier à l’oral – dans la vie courante) mais se heurtent aux attentes de leurs parents, issus d’une autre génération et qui ont eux-mêmes appris les langues de manière plus traditionnelle : il demeure encore chez les parents d’élèves l’idée qu’il faut former l’esprit aux langues d’une manière autoritaire et logique qui obéirait aux mêmes lois que l’enseignement/apprentissage d’autres disciplines

scolaires. Ainsi, une classe de langue qui n’inclurait pas ou peu de « leçons » écrites ou d’exercices de grammaire est souvent perçue comme peu sérieuse et peu utile.

L’évolution des techniques d’enseignement et d’apprentissage serait-elle un signe de la difficulté, d’une part à définir l’oral – la définition de celui-ci variant selon qu’il s’agit de l’apprenant, des parents d’élèves, ou de l’Institution – et évaluer l’oral, et d’autre part à trouver une méthode satisfaisante ?