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2. Modèles scientifiques de la production orale

2.2. Complexité, correction et fluidité

2.2.1. Fluidité

2.2.1.2. Marqueurs temporels de la fluidité

Ainsi, il existe certains critères de la fluidité qui peuvent être à la fois enseignés et évalués car ils sont ce que Lennon (1990 : 387) appelle « objective indicators of oral fluency ». De nombreuses recherches s’intéressent ainsi aux marqueurs temporels de la fluidité parce que ceux-ci sont observables et quantifiables, et qu’ils sont de bons indicateurs d’une compétence à l’oral.

2.2.1.2.1. Les pauses

Les pauses, en particulier, font l’objet de nombreuses études, et un courant de recherche (la pausologie) s’y consacre entièrement. Pawley et Hodgetts Syder (2000) les voient comme des marqueurs potentiels d’actes d’encodage : elles peuvent révéler des décisions sémantiques (que dire, en termes d’idées), syntaxiques, ou des décisions concernant le choix des mots (Goldman-Eisler, 1968 : 58). Ils soulignent qu’elles ont différentes fonctions (physiologiques, en lien avec l’interaction ou l’état cognitif du locuteur) :

Breaks in connected speech occur for different reasons, including organic or physiological reasons (breathing, coughing, laughing, etc.), interactional reasons (pausing for dramatic effect or to elicit audience reaction), and reasons involving the speaker’s cognitive state (as when experiencing a mental block, striving for self-control, or engaged in planning). (Pawley et Hodgetts Syder, 2000 : 172)

Plus que la fonction des pauses, qui peut être difficile à évaluer (une pause pouvant revêtir différentes fonctions à la fois), il semble que l’emplacement de celles-ci constitue un meilleur indicateur de fluidité pour l’analyse. Ainsi, les pauses se trouvant à l’intérieur (et non à la fin) d’une unité sémantique seront de bonnes indications de disfluence en langue étrangère (Hilton, 2009) et contribueront largement à la perception de fluidité, de trop nombreux silences étant souvent associés à un mauvais fonctionnement interne de l’interlangue. Chambers (1997) distingue les pauses « naturelles » des pauses « non naturelles », rapprochant les premières de ce qui se passe en L1 (à savoir, des pauses permettant au locuteur de respirer, et se situant aux limites d’une unité sémantique) alors que les secondes seront marquées à d’autres endroits de l’énoncé, sonnant ainsi comme des hésitations peu naturelles : ces hésitations peuvent être des élongations du son d’un mot (« drawls »), des pauses silencieuses, des pauses pleines (incluant des « fillers ») ou des « fillers » lexicaux (comme « you know »)38.

J’exploiterai ces lectures pour le protocole d’analyse de ma recherche, comme je l’expliquerai dans la deuxième partie de la thèse39

. Je retiendrai en particulier la définition de la fluidité de Fillmore (1979) comme étant la capacité à s’exprimer avec peu ou pas de pauses, et celle de Riggenbach (1991) pour qui la fréquence des pauses a plus d’importance que la vitesse d’élocution, et je prendrai donc en considération pour l’analyse de la fluidité le

38 Notons que l’utilisation de ces « fillers » lexicaux, si elle est un indicateur utile pour des calculs prenant en compte certaines ruptures de la fluidité dans le discours oral, peut tout aussi bien être un signe de compétence,

nombre de pauses courtes et longues ainsi que la fréquence de celles-ci rapportées au nombre de mots prononcés par l’étudiant. Mais je n’étudierai pas la nature des pauses dont les fonctions peuvent être multiples et difficiles à déterminer.

2.2.1.2.2. Les « fillers »

Souvent associé aux pauses dans le discours oral, un autre marqueur d’intérêt pour les chercheurs est donc l’utilisation par un locuteur de « fillers », comme les définissent Pawley et Hodgetts Syder (2000) :

The terms filler or filled pause are usually applied to the use of elements like “um”, “ah”, “mm”, which have no obvious syntactic or lexical function but serve to maintain the flow of speech and to hold the floor. To the class of fillers in English may be added utterance-initial discourse markers, such as “and” and “so” (when spoken with prolonged vowel or followed by pause); tags like “you see” and “you know”; and hedges like “kind of”, “sort of”, and “I suppose”. (Pawleyet Hodgetts Syder, 2000 : 173) Les « fillers » sont donc ces petits mots de remplissage qui font office de béquilles linguistiques, tels que « er », « um », ou des expressions du type « you see », ou encore des marqueurs de début d’énoncé comme « so », qui ne contiennent pas d’information sémantique à proprement parler et peuvent être utiles pour maintenir le cours de la parole (« to maintain the flow of speech ») en laissant une impression de fluidité à l’interlocuteur. L’utilisation de ces « fillers » peut être rapprochée de la fonction phatique chez Jakobson (1963), où le locuteur cherche à établir et à maintenir la communication. Cependant, certains chercheurs (Hilton, 2009) soulignent que la sur-utilisation de ceux-ci peut être un marqueur de disfluence car dans ce cas, ils servent à gagner du temps sans pour autant être sémantiquement porteurs de sens.

Dans ma recherche, j’ai comptabilisé les « fillers » intégrés à des pauses – ce que Lennon (1990), Pawley et Hodgetts Syder (2000) ou Hilton (2009) appellent les « pauses pleines » ou « filled pauses » – comme étant des pauses longues dont la durée est supérieure à une seconde. Par exemple, dans l’énoncé suivant : « She… is er… [PAUSE LONGUE 3’’3 incluant er…] 19 », j’inclus le « er » dans le comptage du temps de pause – soit les 3 secondes 3 –, comme indiqué entre crochets. J’expliquerai ces choix de classification plus en détail dans la deuxième partie de la thèse.

2.2.1.2.3. Durée des énoncés entre deux pauses / « Mean length of run »

Un autre marqueur intéressant et lié à la présence des pauses est la durée des énoncés entre deux pauses, ou « mean length of run » en anglais. Par exemple, dans la phrase tirée de l’un des tâches d’expression orale de mon corpus « […] I live er… next to Besancon *at… 15 minutes […] », l’énoncé entre les deux pauses compte quatre mots (« next to Besançon at »). Certains chercheurs définissent un nombre de mots déterminant la fluidité. Ainsi, pour Pawley et Hodgetts Syder (2000 : 195), la plupart des locuteurs disent six mots par unité fluente en moyenne. Pour nombre de chercheurs, la durée des énoncés est un bon indicateur de la fluidité car elle révèle la procéduralisation des connaissances, c’est-à-dire que plus les procédés à l’œuvre dans la production langagière orale seront automatisés, plus les énoncés entre deux pauses seront longs. C’est ce qu’ont montré Towell et al. (1996) qui ont analysé les productions de douze étudiants apprenant le français en interprétant leurs résultats d’après le modèle de Levelt.

Pour ma recherche, j’ai considéré non seulement le nombre de mots prononcés au total et sans relance de l’interlocuteur, mais aussi la durée des tours entre les pauses, comme le suggèrent Pawley et Hodgetts Syder (2000), Lennon (1990) et Hilton (2009).