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3. Représentations de la langue anglaise

3.3. Les représentations dans le champ éducatif

3.3.2. Les représentations de l’anglais en France

Nous avons vu que les représentations peuvent évoluer au fil des expériences positives ou négatives des apprenants. Le voyage scolaire constitue l’une de ces expériences et il peut sembler « paré de pouvoirs miraculeux » (Berger, 1997 : 644). Par exemple, Berger (1998) souligne que les représentations de lycéens français peuvent évoluer à la suite d’un voyage en Grande-Bretagne :

Berger (1998) signale que l’attitude de lycéens français envers la Grande-Bretagne est assez mitigée, et que les représentations se déplacent dès lors que ceux-ci ont effectué un voyage qui les met réellement en contact avec des locuteurs natifs de la langue-cible. (Castellotti et Moore, 2002 : 11)

Pourtant, d’autres études (Byram et Zarat, 1996, Cain et de Pietro, 1997) ont montré que ni le voyage en soi, ni une plus grande proximité avec la langue ne garantissent à coup sûr des représentations plus positives de celle-ci, même si ces facteurs semblent jouer un rôle important. Je tenterai donc dans cette recherche d’éclaircir cette ambiguïté sur les liens entre exposition à la langue et représentations pour les étudiants de BTS de l’ENILBio.

Dans la même ligne de pensée, un discours ambigu de la part des enseignants et des institutions scolaires consiste à affirmer aux apprenants qu’ils ne pourront apprendre l’anglais qu’en passant un temps suffisamment long dans un pays anglophone, dévalorisant ainsi les apports de l’école, ce que remarque Berger (1997) : « les élèves font plus confiance aux activités extra-scolaires qu’aux moyens strictement scolaires pour assurer le succès de leur apprentissage » (Berger, 1997 : 329). On peut se demander pourquoi l’institution scolaire légitime ce type de discours, mais quoi qu’il en soit, les étudiants français conservent cette représentation de l’inefficacité de l’enseignement de langue.

Par ailleurs, Le Lièvre (2008) souligne la pauvreté des réponses données par les étudiants spécialistes et non-spécialistes d’anglais de l’université lorsque la question de leurs motivations à choisir l’anglais comme langue d’étude leur est posée :

Spécialistes Non-spécialistes

« Heu/ je ne sais pas. Peut-être parce que c’est une langue que j’apprécie plus/ qui a été enseignée plus tôt/ mais que/ je pense qui me parle plus du fait qu’elles sont un peu internationales. Mais l’anglais me plaît plus. »

« Et puis/ moi je ne voulais pas seulement me borner à l’anglais/ parce que je trouvais que c’était trop restrictif et que c’est vrai que maintenant/ c’est la langue la plus parlée. Donc/bon/ je voulais quand même avoir un autre panel de langues pour ne pas me borner qu’à l’anglais et puis pouvoir avoir d’autres connaissances/ maîtriser d’autre langues. Je pense que c’était plus bénéfique de pouvoir parler d’autres langues et pas uniquement l’anglais. »

« Utile pour pouvoir communiquer dans le monde. »

« Pour mon avenir, pour ma carrière. » « L’anglais est une langue indispensable. » « La langue la plus étendue dans le monde. » « Pour mon avenir professionnel. »

« J’aime entendre parler anglais, les sonorités. »

« Langue très importante dans le monde et agréable à parler. »

« Utile au niveau international. » « C’est une langue indispensable. » « C’est une langue très importante. » « La première langue mondiale. » « C’est la plus utile et la plus utilisée. » « L’anglais, c’est utilisé partout dans le monde. »

Tableau 6 : Motivations à choisir l’anglais (Le Lièvre, 2008 : 244)

Il est notable que deux raisons principales du choix de l’anglais sont l’internationalité et l’utilité de la langue, comme le soulignait déjà Berger (1997) : « [...] c’est l’anglais qui obtient les pourcentages les plus élevés, toutes langues confondues, pour ces deux motifs : la langue très répandue et l’utilité pour un emploi futur. » (Berger, 1997 : 298) Ces résultats sont corroborés par le dernier sondage d’opinion Eurobaromètre de 2012 du Parlement européen où 67% des répondants citent l’anglais comme la « langue la plus utile pour [leur] développement personnel. » et 79% comme la langue la plus importante pour l’avenir de leurs enfants49. Je remarque par ailleurs dans les réponses au questionnaire de Le Lièvre (2008) que, si tous les apprenants insistent sur le caractère international et utile de la langue, les

étudiants spécialistes donnent davantage de détails sur la langue (« sonorités », « agréable à parler »), insistent sur des buts personnels qu’ils se sont fixés, alors que les non-spécialistes ont des conceptions plus généralistes et stéréotypées, réponses qui sont très semblables aux commentaires faits par mes propres étudiants dans les entretiens.

De manière assez caricaturale, d’ailleurs, les étudiants français (cf. ma propre recherche, ainsi que celle de Le Lièvre, 2008) ont des représentations de la langue anglaise comme étant à la fois indispensable dans le monde actuel de la globalisation (donc proche dans le sens de Koch et Oesterreicher, 2012) et étrange ou difficile (donc éloignée) : cette dernière perception s’exprime dans des paroles comme : « Les Anglais mangent leurs mots », « ils parlent du nez » (donc un sentiment d’étrangeté lié aux sonorités et à la façon de parler des anglophones), ou « je ne comprends rien aux temps » (ici, une impression de complexité de la langue lorsque les étudiants ne décèlent pas les différences d’utilisation des temps grammaticaux entre le français et l’anglais). Dans ce sens, les représentations des apprenants français se rapprochent parfois de stéréotypes qui servent la fonction de justification, comme le souligne Feussi (2006) :

Le rôle des stéréotypes est d’aider l’individu à organiser le réel. Il peut ainsi sélectionner, organiser, juger les comportements, bref, interpréter son environnement et donc l’autre groupe, étant donné que des différents jugements découlent toujours de la présence d’un exo-groupe. (Feussi, 2006 : 238)

Utiliser un accent ostensiblement français lorsqu’on parle anglais dans le cadre d’une classe de langue (alors qu’on est par ailleurs tout à fait capable de s’exprimer avec un accent plus anglais), fait observé dans de nombreux cours, ou se moquer d’un camarade qui s’applique à adopter une prononciation la plus proche possible de la langue cible, permet à l’apprenant de se situer dans son environnement, d’y affirmer sa place, de la légitimer, et de ne pas perdre la face (Goffman, 1974).

Ainsi, les représentations des apprenants jouent un rôle clef dans leur implication, leur intérêt pour la langue, et leurs performances en anglais oral. Elles occupent une fonction centrale dans l’explication d’attitudes d’apprentissage et de comportements langagiers. De plus, les liens entre représentations de l’anglais et réussite ou échec de la production orale restent encore à explorer; c’est pourquoi mes hypothèses de travail sont toutes en lien avec ce thème.

La deuxième partie de cette recherche s’ouvre donc sur une explication des hypothèses de travail, en accord avec le cadre théorique que j’ai développé dans un premier temps. En effet, les particularités de la modalité orale et les modèles scientifiques de la production orale en psycholinguistique viennent étayer les déclarations des apprenants. De la même façon, les travaux sur les représentations, au sens large et dans le contexte plus ciblé des représentations en didactique des langues, apportent un cadre intéressant pour la méthodologie mise en œuvre, que je vais expliquer par la suite.

Il conviendra en premier lieu d’évoquer le terrain de la recherche : l’école ENILBio, dans l’environnement plus vaste de l’enseignement supérieur agricole. Je montrerai comment celui-ci s’inscrit aussi dans un contexte européen, dans le respect des recommandations du CECRL qui ont largement défini les programmes du BTSA STA.

Dans un deuxième temps, j’expliquerai la méthodologie globale, la façon dont les étudiants ont été sélectionnés, et le calendrier de la recherche en deux fois trois étapes, avant de consacrer un chapitre à la méthodologie du recueil de données. J’y développerai la manière dont les questionnaires et les guides d’entretien ont été conçus, ainsi que la prise en compte du niveau réel des apprenants, au moyen de notes CCF et d’une tâche d’expression orale en anglais.

Enfin, je m’attacherai à montrer comment j’ai exploité les éléments recueillis, en expliquant en particulier comment les étudiants ont été répartis dans les différents groupes établis au départ, puis comment j’ai analysé les données obtenues (par questionnaire, entretien, notes CCF et tâche d’expression orale) pour en extraire les représentations des jeunes concernant la langue anglaise orale.

Deuxième partie

Dans ce cadre théorique où la recherche est vivace, et en observant depuis des années les étudiants de mes classes de langue en proie à des difficultés qui paraissent parfois insurmontables pour eux, je me suis interrogée sur les raisons qui peuvent expliquer un tel malaise, un tel ressenti d’incompétence, que celle-ci soit réelle ou fantasmée. Ce contexte théorique et institutionnel constitue le point de départ de la recherche, qui vient s’appuyer sur un terrain bien spécifique, dont je donnerai les détails au chapitre suivant.

Pour répondre à cette question de la difficulté des élèves à s’exprimer oralement en anglais, j’ai donc cherché dans un premier temps à mieux comprendre quelles étaient les représentations des jeunes : représentations de la langue anglaise, de la langue anglaise orale, représentations de soi en tant qu’apprenant de cette langue, représentations de l’institution scolaire, de l’enseignement et de l’enseignant d’anglais. Dans un second temps, j’ai voulu explorer les liens entre les représentations des apprenants et d’autres facteurs, que je vais expliquer au fil des quatre hypothèses de cette recherche.

La première hypothèse éprouve le lien entre le caractère institutionnel des apprentissages et les représentations de la langue. En effet, si les jeunes ne s’expriment pas (ou peu, ou mal, soit qu’ils ne le peuvent, soit qu’ils n’osent) après tant d’années d’étude de la langue, est-ce parce que le caractère institutionnel des apprentissages influence négativement leurs représentations de l’anglais (on peut imaginer sans doute que les matières les plaçant directement au contact du domaine professionnel choisi ont leur faveur) ? On peut imaginer que, si les jeunes comprennent plus ou moins bien et ne parviennent pas à s’exprimer, c’est parce qu’ils ressentent une rupture entre les choses apprises en milieu scolaire et le passage au monde social réel. En d’autres termes, la dimension institutionnelle est-elle « déréalisante » pour les apprenants, comme le dit Bourdieu (1980) ? Est-il possible que le contexte scolaire/académique empêche les étudiants de s’impliquer dans leurs apprentissages ?

La deuxième hypothèse cherche un lien entre représentations de la langue et représentations de soi en tant qu’apprenant de langue. Un étudiant ayant des représentations positives de l’anglais a-t-il pour autant des représentations positives de lui-même en tant qu’apprenant de cette langue, et inversement, un étudiant ayant une image négative de soi comme apprenant de langue possède-t-il nécessairement une piètre image de la langue anglaise ? Et en quoi les difficultés d’un étudiant peuvent-elles affecter l’image de soi qu’il veille à maintenir positive ?

En lien avec l’hypothèse précédente, la troisième hypothèse explore les liens entre représentations de la langue et niveau de compétences réelles en expression orale. Un étudiant ayant des représentations positives de l’anglais obtient-il de meilleurs résultats à l’oral qu’un étudiant ayant des représentations négatives ? Les critères saillants d’une meilleure performance orale sont-ils davantage présents chez les apprenants ayant des représentations positives de l’anglais ?

Enfin, la quatrième hypothèse questionne la possibilité d’un cercle vertueux où une exposition régulière volontaire/recherchée à la langue permettrait de renforcer des représentations positives de la langue, qui, à leur tour, motiveraient une exposition plus fréquente, etc. En d’autres termes, un étudiant en contact régulier avec la langue a-t-il des représentations plus positives qu’un étudiant ayant peu de contact avec la langue ? Inversement, peut-on poser l’hypothèse qu’une exposition passive, contrainte, subie à contrecœur serait vecteur de représentations négatives de la langue et qu’il existerait une logique de renforcement entre exposition fréquente à la langue et représentations positives d’une part, et exposition rare et représentations négatives d’autre part50

?

50

NB : Concernant les hypothèses 3 et 4, et en lien avec le caractère institutionnel des apprentissages (hypothèse 1), il existe peut-être aussi un cercle vertueux ou vicieux qui s’installe entre les notes obtenues et la représentation de la langue : si j’obtiens de bonnes notes, des félicitations, le plaisir de la récompense me fait

Le tableau 7 ci-dessous résume les quatre hypothèses de la recherche.

Hypothèse 1 Lien entre représentations de la langue et caractère institutionnel des apprentissages

Hypothèse 2 Lien entre représentations de la langue et représentations de soi en tant qu’apprenant de langue

Hypothèse 3 Lien entre représentations de la langue et compétence en expression orale

Hypothèse 4 Lien entre représentations de la langue et exposition choisie à la langue

Tableau 7 : Résumé des hypothèses

Ces hypothèses ont été travaillées sur la base d’enquêtes en ligne et d’entretiens en français que j’ai ensuite analysés. J’ai en outre souhaité mettre ces données en relation avec l’étude du niveau réel en production orale des apprenants, en étudiant d’une part leurs notes aux examens CCF (Contrôle en Cours de Formation, qui est une évaluation certificative), et d’autre part, une tâche d’expression orale en continu et en interaction en anglais. C’est ce qui va être développé dans la deuxième partie de la thèse, où je présenterai les éléments méthodologiques de la mise en œuvre de la recherche.