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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.1. Particularités de la modalité orale

1.1.4. La langue comme part de l’intime

1.1.4.2. Engagement dans l’apprentissage

Cette part intime qui entre en jeu dans l’apprentissage d’une langue étrangère – et plus particulièrement dans la pratique de l’anglais oral – est à l’origine de l’implication ou de la non implication des élèves dans leur propre apprentissage et met à jour des profils de « bons » ou de « mauvais » apprenants de langue étrangère. Je ne considère pas ici seulement l’oral mais l’apprentissage de la langue dans son entier. Des mots-clefs semblent caractériser le « bon apprenant » de langue dans la littérature (Holec, 1979, Bandura, 2003, Schmelter, 2006, Raby, 2008, Prince, 2009, Macré, 2014a, 2014b) : motivation, sentiment d’efficacité personnelle (SEP), et autonomie, favorisés par la mise en place de stratégies d’apprentissage.

Je ne m’attarderai pas sur la motivation car elle est encore assez mal définie et échappe nécessairement à l’observation du chercheur en ce qu’elle est intrinsèque, interne à celui qui apprend, comme le rappelle Macré (2014b) :

[…] elle implique de passer à l’action et de maintenir l’effort ; elle est le produit de facteurs cognitifs, affectifs et sociaux en interaction ; c’est un état instable qui fluctue en fonction de l’expérience du sujet ; c’est un construit du chercheur, elle ne s’observe pas directement. (Macré, 2014b : par.10)

Raby (2008) offre elle aussi une définition de la motivation comme étant un phénomène intime, un « mécanisme psychologique » créant des comportements qui

eux-mêmes permettent à l’apprenant de rester concentré sur ses objectifs et de poursuivre ses efforts, indépendamment de leurs résultats positifs immédiats :

La motivation pour apprendre une langue étrangère en situation académique peut être définie comme un mécanisme psychologique qui génère le désir d’apprendre la langue seconde, qui déclenche des comportements d’apprentissage […] qui permet à l’élève de maintenir son engagement à réaliser les tâches proposées, quel que soit le degré de réussite immédiate dans son interaction avec les autres élèves ou le professeur. (Raby, 2008 : 2)

La motivation est alors un facteur très intime qui « […] dépendra donc du passé, de la situation présente et des projets d’avenir » (Macré, 2014a : 135) et agira sur l’engagement personnel de l’apprenant dans son apprentissage de la langue, c’est-à-dire le fait pour lui de maintenir une attention à la fois affective et intellectuelle.

Elle dépend aussi de la façon dont l’apprenant perçoit la tâche qui lui est assignée : s’il la perçoit comme utile (pour soi, pour la vie dans la classe, pour la vie à l’extérieur de l’école), réalisable, intéressante. Son autonomie est alors dépendante du « sentiment général de pouvoir accomplir par soi-même ce que l’on entreprend sans être déstabilisé par une situation nouvelle. » (Prince, 2009 : 72) On voit bien que la motivation dépend largement de l’appréciation (personnelle, cognitive, souvent affective) qu’a l’apprenant de la discipline langue, et en cela, elle est difficilement évaluable (et modifiable) à moins d’essayer d’influer sur les facteurs de cette appréciation.

Le sentiment d’efficacité personnelle, comme son nom l’indique, ne correspond pas à l’efficience en langue d’un apprenant, mais bien à l’idée qu’il se fait de sa propre efficacité19

dans ce domaine ; il s’agit donc d’une idée, d’une appréciation personnelle, comme le souligne Bandura (2003) : le sentiment d’efficacité personnelle est « la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités. » (Bandura, 2003 : 12) C’est en quelque sorte une attitude envers son propre apprentissage, en lien avec la confiance qu’un apprenant a en ses propres capacités. Ainsi, on peut imaginer la différence d’intention entre l’apprenant doté d’un sentiment d’efficacité personnelle affirmé (« Je peux le faire, je vais résoudre cette énigme que je ne comprends pas pour l’instant ») et l’apprenant possédant un sentiment d’efficacité personnelle faible (« Je ne peux pas le faire, je suis nul, je ne comprends rien »).

Selon cette théorie, des apprenants possédant un sentiment d’efficacité personnelle de niveau faible n’abordent pas les tâches difficiles comme des défis à relever, mais plutôt comme des menaces à éviter. Ils doutent de leurs capacités et ont des attentes de résultats faibles. Ils sont tournés vers la performance et ne montrent que peu d’intérêt intrinsèque, ayant tendance à attribuer les résultats décevants à une « aptitude déficiente » (Lecomte, 2004 : 61) et innée. Ils ont donc des difficultés à se motiver et s’impliquent faiblement vis-à-vis des objectifs qu’ils décident de poursuivre. Ils réduisent même leurs efforts devant les obstacles, les pensées négatives ayant tendance à dominer la situation et à empêcher une réflexion logique sur la meilleure manière d’atteindre les objectifs.

D’après Bandura (2003), les jugements d’auto-efficacité personnelle se construisent à partir de quatre sources d’apprentissage : l’expérience vécue (les succès et les échecs du passé), l’expérience vicariante (l’observation de la réussite d’un apprenant de compétence égale), la persuasion verbale et l’état émotionnel ou physiologique (qui influencent notre perception). Pour cette recherche, je retiendrai de Bandura l’observation de l’expérience vécue, les trois autres sources d’apprentissage me paraissant difficiles à observer ; l’hypothèse d’un lien entre l’exposition à l’anglais et les représentations de cette langue semble intéressante, dans la mesure où la plupart des apprenants de BTSA de cette étude n’ont que peu de contact avec la langue en dehors de la classe, car ils n’ont qu’exceptionnellement voyagé (à part pour de rares séjours scolaires à l’étranger), font des recherches sur Internet en français (à 95,7% d’après les réponses au premier questionnaire) et choisissent majoritairement (à 53,6%) de regarder films, séries et manifestations sportives en français. Ainsi, j’explorerai les influences réciproques entre expérience vécue de la langue et représentations de celle-ci, en supposant que plus la proximité avec l’anglais est réelle dans le vécu individuel, plus les représentations de la langue seront positives.

A contrario d’un élève possédant un faible sentiment d’efficacité personnelle, un

apprenant avec un haut degré de sentiment d’efficacité personnelle verra les tâches impliquant de résoudre une énigme de langue (situations de « problem-solving ») comme des challenges à élucider, aura confiance en ses capacités à le faire, se sera fixé des objectifs propres qui importent pour lui-même et abordera généralement son apprentissage de la langue étrangère de manière positive sans se laisser décourager par les difficultés qu’il rencontrera.

Ce « bon apprenant »20 de langue est donc capable d’autonomie dans ses buts, dans ses choix et dans ses stratégies d’apprentissage. Cette capacité à gérer son apprentissage selon l’utilité que l’on va en avoir est la définition de l’autonomie donnée par Holec (1979). Cependant, celui-ci définissait l’autonomie pour les adultes dans un contexte autodirigé, et non pour de jeunes apprenants, public scolaire qui demeure difficile à « autonomiser », comme le précise Schmelter (2006) : « nous n'avons toujours pas pu répondre à la question de savoir comment soutenir de manière adaptée et efficace des apprenants dans leurs efforts individuels pour s'approprier une langue étrangère en dehors d'un cours de langue traditionnel. » (Schmelter, 2006 : 193) Dans l’acception de Holec, l’autonomie dans l’apprentissage doit donc être totale :

[Holec] cherche également à analyser les conditions et les besoins individuels pour ce genre d'action. Pour lui, l'apprentissage autodirigé peut être compris comme une action complexe, intentionnelle et consciente de l'apprenant visant à créer des conditions propices à l'appropriation d'un savoir intéressant. C'est l'apprenant lui-même qui contrôle et décide en dernière instance en fixant les objectifs, les contenus, la progression, le déroulement et aussi l'évaluation de son apprentissage. Autrement dit, le qualificatif "autodirigé" n'exclut pas différentes formes de coopération ou d'aides. Par contre, l'autodirection d'un apprentissage nécessite la prise en charge totale de l'apprentissage par l'apprenant. Lui seul devrait rester entièrement responsable de son processus d'apprentissage. (Schmelter, 2006 : 193-194)

On peut aisément imaginer le bien-fondé de cette réflexion pour des adultes mais est-elle pour autant applicable à de jeunes adultes à la frontière avec l’adolescence ? Car si un adulte est capable d’une analyse poussée sur ses besoins langagiers – ceci lui permettant de s’investir totalement dans son apprentissage, de le planifier dans une « prise en charge totale de l’apprentissage par l’apprenant » dont l’entière responsabilité lui incombe –, un adolescent n’est pas forcément disposé à en faire autant. Entre opposition et blocage, l’adolescence n’est pas connue pour être la meilleure période de la vie, a fortiori pour l’apprentissage.

Cependant, le « bon apprenant » de langue étrangère adolescent existe, et c’est bien dans l’autonomie qu’il s’illustre le mieux. Le « bon élève » sera enclin à saisir toutes les occasions s’offrant à lui de pratiquer la langue : il regardera les séries et films anglais ou américains en version originale (sous-titrée ou non) plutôt qu’en version française, il trouvera

20 J’utilise les expressions « bon apprenant » et « bon élève » à défaut d’une expression mieux adaptée, non dans le sens où une personne se conforme et se plie aux attentes de l’enseignant, mais dans le sens où une personne cherche à progresser, à s’améliorer et à réussir dans son apprentissage de la langue.

dans le dictionnaire la signification de mots inconnus, fera ses recherches sur Internet en anglais si le thème s’y prête, traduira les paroles de ses chansons préférées, feuillètera ou même lira des magazines et des livres en anglais, recherchera la compagnie d’étrangers ou ne tentera pas de l’éviter à tout prix, sera attiré par les perspectives de voyages, etc. Pourtant, le fait d’être un « bon apprenant » de langue n’est pas un état statique ou figé ; c’est bien plutôt un phénomène dynamique : en effet, un apprenant peut se révéler à lui-même avec le temps et évoluer vers davantage d’autonomie dans l’apprentissage d’une même langue, ou alors être un « bon élève » dans l’une des langues qu’il apprend et pas dans une autre.

Concernant les stratégies d’apprentissage, Skehan (1989) a montré l’existence d’un lien étroit entre leur fréquence d’utilisation et la réussite de l’apprenant ; ainsi, un « bon apprenant » de langue utilise, d’une part, une plus grande variété de stratégies d’apprentissage à une plus grande fréquence, et d’autre part, il connaît ses propres stratégies de manière à les moduler. Cette partie du travail appartient dans une certaine mesure à l’élève, mais l’autre partie de la relation pédagogique est du ressort de l’enseignant, car encore faut-il que ce dernier ait montré, voire fait pratiquer (et donné envie de pratiquer) ces différentes stratégies à l’apprenant, et l’ait guidé dans l’exploration de celles-ci pour l’aider à trouver celle(s) qui lui correspond(ent) le mieux ; c’est l’apprendre à apprendre.

1.1.5. « Langue maternelle » et « langue étrangère »

On peut aussi s’interroger sur les liens entre l’apprentissage de sa langue maternelle et celui d’une langue étrangère seconde. En effet, il semble impossible de reproduire le système d’enseignement et d’apprentissage d’une langue étrangère tels qu’ils ont lieu en langue maternelle. Pour la langue maternelle, il s’agit certes aussi d’un apprentissage scolaire, mais il est d’abord et surtout une acquisition en milieu naturel, familial le plus souvent, comme le dit Girard (1884) :

Nous ne croyons pas à l'efficacité d'une méthode qui appliquerait à la première étude d'une langue étrangère, exactement, mais exclusivement les procédés de l'enseignement maternel.

Il y a en effet, entre la situation de la mère et du professeur à l'égard de l'enfant, entre l'enfant lui-même où sa mère l'initie aux premiers éléments de sa première langue et l'enfant au moment où nous essayons de lui faire placer, à côté de ces éléments, les éléments d'une nouvelle langue, il y a, disons-nous, des

différences qui nous paraissent appeler des différences dans la matière et le mode d'enseignement. (Girard, 1884-1 : 80-82)

Il est en effet impossible de reproduire les conditions d’enseignement et d’apprentissage de la langue maternelle pour une langue seconde, la différence principale résidant dans le fait que l’enfant est totalement immergé dans sa langue maternelle, qu’il entend au quotidien dans une variété de situations différentes. Dans un contexte scolaire, bien souvent, l’étudiant francophone n’entend de l’anglais que lors du cours, et même les temps de pauses (à l’intérieur du cours ou entre deux séances successives) sont l’occasion pour l’apprenant de passer à sa langue maternelle.

Cependant, les liens entre langue maternelle et langue étrangère sont réels, car c’est bien à partir de sa propre conception de sa langue première que l’on apprend une langue vivante étrangère. Certains chercheurs comme Roulet (1980) ont d’ailleurs préconisé une utilisation raisonnée de la langue maternelle comme support de réflexion pour l’apprentissage de la langue seconde, contrairement à ce qui était majoritairement recommandé dans les années 1970, qui prônaient le « tout anglais ». Roulet évoque une méthode britannique des années 1970, Language in Use (par Doughty, Pearce, Thornton, 1971), qui allait à l’encontre du courant du « tout anglais » en vigueur en France, s’adressant à des élèves de 11 à 18 ans et se concentrant sur l’aspect communicatif. Les deux buts de cette méthode étaient de :

 développer et expliciter les intuitions des élèves sur la nature et le fonctionnement de la langue, c’est-à-dire de « partir des connaissances et des intuitions que les élèves possèdent déjà, [de] les développer, [de] les clarifier et [de] les préciser » (Doughty et al., 1971 : 11), et de

 développer les compétences des élèves dans l’emploi de leur langue maternelle. Il s’agit ainsi de relier les deux langues entre elles et d’introduire un continuum communicatif, et donc d’autoriser implicitement l’élève à se situer comme locuteur réfléchissant, quel que soit son niveau.

Cela posé, voyons à présent comment l’oral s’est constitué dans les méthodologies d’enseignement et apprentissage des langues au fil du temps.