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1. Qu’est-ce que la modalité orale ?

1.2. L’oral dans l’Institution

1.2.5. Quel enseignement de l’anglais oral ?

1.2.5.3. Du contrat didactique

Pour Puren (1987 : 135), cette idée d’adaptation aux intérêts de l’élève est l’un des trois grands principes de la pédagogie moderne. En effet, selon Puren, les conditions nécessaires pour que l’apprenant progresse sont :

1. « sa motivation »,

2. « l’adaptation des contenus et des méthodes aux intérêts, aux besoins et aux capacités de l’[apprenant] »,

3. « la progression du connu à l’inconnu, du facile au difficile, du simple au complexe, du concret à l’abstrait, du particulier au général. »

Il est clair que la motivation est probablement davantage du ressort de l’apprenant, même si l’on peut argumenter qu’il est aussi de celui de l’enseignant qui devrait s’efforcer de trouver les amorces (« triggers » en anglais) pour la susciter. Les points 2 et 3 s’adressent plus spécifiquement à l’enseignant qui aura en charge la planification des tâches pédagogiques pour permettre à l’élève de progresser. On voit bien donc que le contrat appartient à deux parties qui collaboreront dans un but commun : apprendre la langue étrangère.

Ainsi, on peut voir la production orale comme un contrat entre l’enseignant et l’apprenant pour que la relation pédagogique puisse fonctionner. À l’enseignant de prévoir une progression pédagogique susceptible d’amener l’apprenant vers plus d’autonomie ; à l’apprenant de faire son « métier d’élève » pour améliorer ses compétences. Si ce contrat didactique n’est spécifique ni à l’oral (ou à l’interaction orale), ni aux langues étrangères, il a tout de même la particularité d’être un contrat qui se joue dans l’immédiateté, au contraire de l’écrit, dont on a vu qu’il peut supporter des étapes et retours en arrière (corrections, améliorations, insertions de nouveaux mots à un endroit intermédiaire du texte, par exemple).

Cependant, ce contrat ne peut fonctionner que si les deux partis sont d’accord pour favoriser l’apprentissage. C’est ce que souligne Bourdieu (1977) dans son intervention au congrès de l’AFEF :

autorisé et un récepteur prêt à recevoir ce qui est dit, à croire que ce qui est dit mérite d'être dit. Il faut qu'un récepteur prêt à recevoir soit produit, et ce n'est pas la situation pédagogique qui le produit.

Pour récapituler de façon abstraite et rapide, la communication en situation d'autorité pédagogique suppose des émetteurs légitimes, des récepteurs légitimes, une situation légitime, un langage légitime. Il faut un émetteur légitime, c'est-à-dire quelqu'un qui reconnaît les lois implicites du système et qui est, à ce titre, reconnu et coopté. Il faut des destinataires reconnus par l'émetteur comme dignes de recevoir, ce qui suppose que l'émetteur ait pouvoir d'élimination, qu'il puisse exclure « ceux qui ne devraient pas être là »; mais ce n'est pas tout : il faut des élèves qui soient prêts à reconnaître le professeur comme professeur, et des parents qui donnent une espèce de crédit, de chèque en blanc, au professeur. Il faut aussi qu'idéalement les récepteurs soient relativement homogènes linguistiquement (c'est-à-dire socialement), homogènes en connaissance de la langue et en reconnaissance de la langue, et que la structure du groupe ne fonctionne pas comme un système de censure capable d'interdire le langage qui doit être utilisé. (Bourdieu, 1977 : en ligne, para. 12-13)

Bourdieu insiste donc sur la complexité de la relation pédagogique, composée d’un « émetteur légitime » dont l’autorité linguistique est reconnue et acceptée, d’un récepteur coopératif prêt à « recevoir » et à « croire » l’émetteur, et ce dans une « situation légitime » supportée par les parents et les apprenants, sans parler du « langage légitime » qui va être enseigné et appris, ni de la condition d’homogénéité linguistique qu’évoque Bourdieu. La situation pédagogique est donc compliquée, et le contrat difficile. Or, on ne peut que constater la difficulté qu’éprouve l’enseignant à faire jouer le jeu de la langue étrangère orale aux étudiants.

Mais comment expliquer cette réticence ? Elle tient tout d’abord à la nature même de la relation pédagogique, où, comme le dit Bourdieu, « le professeur est une sorte de juge pour enfants en matière linguistique : il a droit de correction et de sanction sur le langage de ses élèves. » (Bourdieu, 1977 : 9) Il est alors bien compréhensible qu’un apprenant puisse se sentir intimidé par cet évaluateur tout puissant autorisé à valider le bon ou sanctionner le mauvais usage de la langue. Bourdieu souligne aussi fortement le caractère économique, presque mercantile du système scolaire, qu’il appelle d’ailleurs « le marché scolaire » ou « marché linguistique » :

Nous n'apprenons jamais le langage sans apprendre, en même temps, les conditions d'acceptabilité de ce langage. C'est-à-dire qu'apprendre un langage, c'est apprendre en même temps que ce langage sera payant dans telle ou telle situation.

Nous apprenons inséparablement à parler et à évaluer par anticipation le prix que recevra notre langage; sur le marché scolaire — et en cela le marché scolaire offre une situation idéale à l'analyse — ce prix

c'est la note, la note qui implique très souvent un prix matériel (si vous n'avez pas une bonne note à votre résumé de concours de Polytechnique, vous serez administrateur à l'INSEE et vous gagnerez trois fois moins...). Donc, toute situation linguistique fonctionne comme un marché dans lequel quelque chose s'échange. Ces choses sont bien sûr des mots, mais ces mots ne sont pas seulement faits pour être compris; le rapport de communication n'est pas un simple rapport de communication, c'est aussi un rapport économique où se joue la valeur de celui qui parle : a-t-il bien ou mal parlé ? Est-il brillant ou non ? Peut-on l'épouser ou non ?...

Les élèves qui arrivent sur le marché scolaire ont une anticipation des chances de récompense ou des sanctions promises à tel ou tel type de langage. Autrement dit, la situation scolaire en tant que situation linguistique d'un type particulier exerce une formidable censure sur tous ceux qui anticipent en connaissance de cause les chances de profit et de perte qu'ils ont, étant donné la compétence linguistique dont ils disposent. Et le silence de certains n'est que de l'intérêt bien compris. (Ibid. : 9-10)

Dans son rapport à la langue, l’apprenant anticiperait donc la récompense qu’il tirerait de son apprentissage : « Cet apprentissage est-il « payant » ? », dans les termes de Bourdieu. On vise la note à courte échéance, mais aussi la valeur marchande de sa propre personne (le salaire, et même les relations amoureuses) sur le long terme. Soumis à « une formidable censure », on analyse le « profit » ou la « perte » subséquente ; et si on ne parle pas, c’est bien parce qu’on a plus à perdre qu’à gagner.

Mis à part les particularités de la situation pédagogique et les contraintes d’ordre institutionnel, il existe d’autres raisons pouvant expliquer cette réticence des étudiants à s’exprimer à l’oral.

Tout d’abord, le recours naturel à la langue maternelle, dont certains auteurs (Roulet 1980, Varshney 2006) ont souligné l’intérêt pour expliciter des faits de langue, s’il est nécessaire à certains moments au sein de la classe d’anglais, et rassurant pour les apprenants, est aussi un « casseur » de dynamique contre lequel il est difficile de lutter. En effet, devant l’obstacle, les étudiants ont tendance pour la grande majorité à recourir au français, alors même que le professeur les encourage par des exercices et des incitations à ne parler qu’anglais. Cela constitue l’un des emplois négatifs de la langue maternelle qu’évoque Kramsch (1984). Ainsi, l’interaction en langue étrangère serait « conçue comme un exercice purement formel » alors que la langue maternelle serait le « véhicule de tout ce qui est communication véritable ou message important » (Kramsch, 1984 : 72). La langue étrangère serait donc vue comme un exercice sans application dans le monde réel, une activité

décontextualisée, sans lien avec la réalité, alors que la langue maternelle serait le seul vecteur d’échange oral possible et concevable.

La timidité propre à la personnalité de certains jeunes met aussi un frein à la libre expression. Kramsch parle ici de l’interaction vue par l’apprenant comme « l’obligation d’adopter un comportement étranger qui menace l’identité. » (Kramsch, 1984 : 72) C’est une assertion très forte qui montre combien un jeune étudiant peut être déstabilisé par la langue. C’est en particulier le cas lorsque la L1 est traversée de conflits, de représentations négatives ; la L2 vient alors parfois endosser les habits de la L1. Le français comme langue maternelle, à l’écrit comme à l’oral, est en effet lui aussi mis à mal depuis des années par les réformes successives, et nombre d’enseignants de lettres se plaignent du piètre niveau (d’orthographe, vocabulaire, grammaire) des étudiants. On peut alors se demander s’il n’existe pas chez les élèves une sorte de méfiance vis-à-vis des langues en général.

À cette timidité personnelle s’ajoute souvent l’appréhension de paraître « trop bon » ou « nul » par rapport aux individus de la classe. On voit bien dans les termes utilisés par les jeunes dans les entretiens menés qu’il n’y a ici pas d’approximation possible. On fait partie des personnes douées ou incapables. Il n’existe pas d’intermédiaire. D’où une certaine crainte, voire une inhibition, ou même un blocage dans l’expression orale lorsque l’apprenant imagine (à juste titre, car qui pourrait se targuer de ne faire jamais aucune erreur ?) ne pas avoir une maîtrise parfaite de la langue. Entre en jeu, en effet, l’image de soi, importante pour les adolescents, concrétisée par la peur de perdre la face (Goffman, 1974).

Enfin, l’élément probablement majeur qui bloque les élèves dans leur progression est l’absence de compréhension du fonctionnement de la langue. Ils auront alors tendance à calquer l’anglais sur le français. Or, cela est à mettre en lien avec leur absence ou leurs difficultés de compréhension du fonctionnement de la L1 : en effet, comment bien placer un auxiliaire dans la phrase si on ne sait pas ce que c’est dans sa langue maternelle ? À titre d’exemple, voici une partie d’un exercice très simple de traduction orale donné en début d’année avec les réponses d’un étudiant. Le but en était de revoir des formules d’expression du goût (traditionnellement « likes and dislikes ») pour se présenter sous un angle original à la classe.

Traduisez les phrases suivantes en utilisant un verbe de goût différent à chaque fois.

1. J’aime cuisiner pour ma famille. I like *cook my *familly. 2. J’aime sortir avec des amis.

I enjoy to go out with my friends.

3. J’adore aller au restaurant pour goûter la gastronomie française. I love going to the restaurant to *test *french gastronomy. 4. J’aime beaucoup travailler dur.

I am fond of *work hard.

Outre les quelques erreurs d’orthographe et de détermination, ce qui est frappant dans cette copie est l’absence de logique de construction des phrases. Suite aux verbes de goût, que l’étudiant connaît manifestement, aucune règle logique n’a été appliquée uniformément ; on aura tour à tour une base verbale (1), un infinitif en to (2), un V-ing (3), et un nom (ou une base verbale) que l’apprenant a très certainement posé là comme un verbe pour une traduction littérale (4). Cet exemple montre combien il n’est pas évident pour les apprenants de conceptualiser les règles internes à la langue étrangère, ce qui pose de nombreux problèmes pour l’expression orale.

En lien avec cette idée que la confiance en soi aurait un grand rôle à jouer dans l’apprentissage d’une L2, plusieurs auteurs se sont interrogés sur la place de la L1 dans le cours de langue. Tous notent que depuis les années 2000, le débat sur l’utilisation de la langue de référence a été relancé, après une longue tradition de rejet de la L1 dans la classe de L2.

Ainsi, Varshney (2006) étudie les représentations d’étudiants français et australiens apprenant une langue étrangère. Dans son questionnaire, puis en entretien, elle demande aux étudiants de se prononcer sur l’utilisation de la L1, et déduit que :

Les apprenants ont indiqué que, toujours en faisant appel à la possibilité d'un recours à la langue de référence si nécessaire, ils préféraient recevoir toutes les instructions en langue étrangère […]. Quelques apprenants ont enfin fait remarquer que le fait de recevoir des instructions uniquement en langue étrangère leur demandait un niveau de confiance en L2 qu'ils n'avaient pas encore atteint, car cette utilisation unique voulait dire qu'ils avaient la confiance suffisante pour être sûrs d'avoir tout compris dans l'échange. Il est bien possible que le manque d'expérience vis-à-vis de l'apprentissage d'une langue autre que l'anglais, fait que les apprenants sont peu sensibles aux divers éléments d'apprentissage de la classe de langue.

Nous voyons ici apparaître des représentations qui portent sur la confiance des apprenants. Il nous semble que pour être en confiance, surtout dans une situation d'évaluation, il faut tout comprendre.

processus de compréhension totale et non pas dans un processus de compréhension globale renforcée par une prise d'indices textuels et contextuels. (Varshney, 2006 : 12)

Elle note que l’utilisation systématique de la langue à apprendre est tout à la fois souhaitée par les étudiants – qui voient le cours de langue comme l’occasion optimale, et parfois unique, pour apprendre33 – et ressentie comme stressante – car en effet, que faire si l’on ne comprend pas la consigne ? Revient alors cette question de la confiance, car un étudiant peut avoir l’impression de ne rien comprendre du tout s’il ne comprend pas tout entièrement ; c’est la distinction que fait Varshney entre compréhension totale et compréhension globale. Même s’il est possible de comprendre un énoncé sans le comprendre dans son entièreté, il faut une confiance suffisante pour accepter que cela puisse être le cas. Or, l’on sait qu’en période d’apprentissage, la confiance n’est pas optimale, cela étant lié à la condition même de l’apprenant.

À partir des années 1980, les chercheurs n’en sont donc plus à rejeter en bloc l’utilisation de la L1 dans le cours de langue, mais sont actuellement plus en faveur d’un emploi raisonné de celle-ci, comme l’indique le titre du livre de Roulet (1980), Langue

maternelle et langues secondes : vers une pédagogie intégrée. Roulet militait déjà dans les

années 1980 pour l’utilisation dans la classe de langue de la L1 comme support de réflexion pour l’apprentissage de la langue seconde.

Dans le chapitre suivant, je vais tenter de définir comment une langue est apprise dès le plus jeune âge lorsqu’elle est maternelle et comment l’enfant passe de l’intention de dire à l’acte de parole. Je développerai les caractéristiques de jeunes qui sont de « bons » apprenants de langue étrangère, et comment ces caractéristiques leur permettent de mieux réussir que d’autres élèves dans leur apprentissage de l’anglais. Puis, je soulignerai en quoi l’enseignement de l’anglais oral a ses particularités – qui sont parfois sources de difficultés – par rapport à d’autres disciplines scolaires. Pour finir, je détaillerai les compétences orales vers lesquelles tout enseignant de langue tend pour ses élèves.

33

Ainsi, cet étudiant australien apprenant le français : “We [the students] REALLY need to speak in French because I don't know many French people and class is really the only time I get to practice, so you need to take advantage of it.” (« Nous [les étudiants] avons VRAIMENT besoin de parler français, car je ne connais pas beaucoup de Français, et la classe est vraiment le seul moment où je peux m’entraîner, alors j’ai besoin d’en profiter » [Notre traduction] (Varshney, 2006 : 12)