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4. Terrain de la recherche et contexte institutionnel vécu

4.3. Programmes

4.3.2. Principes généraux du module M23

L’objectif général du module est libellé comme suit : « Mobiliser ses savoirs langagiers et culturels pour communiquer en langue étrangère ». Si l’accent est mis sur les capacités de communication, on remarque à nouveau le caractère très flou de cet objectif. On peut néanmoins commenter le terme de « mobiliser » des savoirs, qui signifie « rassembler », « faire appel à » des savoirs préexistants, ce qui suppose que les apprenants ont déjà en leur

possession les outils langagiers dont ils auront besoin pour communiquer. Mais ce présupposé est-il le reflet de la réalité ?

On peut constater que le français ne fait pas partie du référentiel « langues ». Pourtant, c’est bien une langue, qui est « la langue de la République » (Constitution de la France, 1958, article 2). Mais le français a son propre référentiel au Ministère de l’Agriculture, et il s’inscrit dans un module de formation différent avec des objectifs pourtant similaires : le module M22 s’intitule « Techniques d’expression, de communication, d’animation et de documentation » et fait intervenir en pluridisciplinarité les enseignants de français, documentation, économie et Éducation Socio-Culturelle (ESC)55. Les parties « français » et « ESC » mettent l’accent sur la communication écrite et orale, comme le module M23 (anglais comme langue vivante). On peut se demander si les résultats des élèves de BTS en anglais sont parallèles ou comparables à leurs résultats en français.

Dans le référentiel, les langues vivantes sont vues comme un « atout au service de l’insertion professionnelle, de la mobilité et de la poursuite d’études ». On insiste sur l’avantage que représente la maîtrise d’une langue étrangère dans un contexte d’adaptation professionnelle, mais aussi dans un contexte plus personnel d’ouverture sur le monde et de parcours de formation. Une remarque s’impose sur le choix du terme « atout » dans le référentiel : la langue vivante est présentée comme constituant un plus, un bénéfice pour l’apprenant, mais non comme une nécessité, ce qui va à l’encontre du contexte international dans lequel évoluent les jeunes actuellement.

Les textes réglementaires soulignent la prédominance nécessaire de l’oral (« La primauté de l’oral (60% minimum du temps d’enseignement) est réaffirmée56

»), qui apparaît aussi dans les coefficients affectés aux évaluations sommatives E3 de fin d’année. En effet, les deux épreuves d’expression et de compréhension orales en deuxième année sont affectées chacune de 30% du coefficient final, soit 0,90 chacune sur un coefficient global de 3. Par comparaison, les deux épreuves d’expression et de compréhension écrites que les étudiants passent en première année sont affectées chacune d’un pourcentage de 20% du coefficient final, soit 0,60 chacune.

D’autre part, le référentiel insiste sur le développement de l’autonomie de l’étudiant dans son apprentissage, étant bien entendu que le seul temps d’exposition à la langue en groupe classe n’est pas suffisant. Ainsi, le texte réglementaire reconnait que « [le] volume horaire imparti ne permet matériellement pas une exposition suffisante, en fréquence et en durée, à la langue » et le document d’accompagnement au référentiel rédigé par l’Inspection de l’Enseignement Agricole recommande de « s’entraîner de façon de plus en plus autonome ». Il est intéressant de noter, comme je l’ai déjà fait plus haut, que l’Institution concède jusque dans le texte officiel régissant les programmes qu’elle est faillible, et même incapable de fournir un cadre matériel satisfaisant aux élèves pour qu’ils apprennent une langue étrangère. Il y a dans cet aveu de faiblesse la donnée réaliste du nombre d’heures d’enseignement/apprentissage accordé aux langues où je décèle la pointe d’un sentiment d’impuissance, car finalement, il incombera aux élèves de remédier par leurs propres moyens aux défauts de l’École.

Le référentiel souligne tout de même une différence dans le type de travail autonome attendu chez les apprenants s’ils se concentrent sur la compréhension ou l’expression. Pour la compréhension, il est conseillé aux élèves de s’entraîner seuls, à la maison hors du temps de classe, à partir de documents authentiques et de grilles de compréhension fournis par l’enseignant :

il est indispensable que l’étudiant consacre de façon régulière un temps de travail personnel à l’activité d’écoute et de lecture ; le professeur met à sa disposition des supports (sonores /écrits) et fixe des tâches de compréhension (recherche d’information avec l’aide de grilles).

Au contraire, quand il s’agit de prendre la parole, « le cours est le moment privilégié pour s’entraîner à cette activité langagière ». On comprend aisément qu’il est compliqué de s’entraîner seul à l’expression et il est conseillé de

privilégier le questionnement référentiel et les situations de communication authentiques qui permettent les transferts réels d’information. Pour offrir un temps de parole significatif à ses étudiants, le professeur recourt fréquemment au travail en binômes (jeux de rôles notamment).

Les recommandations pédagogiques insistent donc sur l’utilisation de documents et situations authentiques, où les élèves auront à communiquer pour obtenir de « réelles » informations. Ceci est en accord avec les méthodes communicatives actuelles où l’on cherche à établir des conditions plausibles et des raisons valables de vouloir s’exprimer dans le cours comme s’il s’agissait d’une situation vécue de la vie courante, mais la question se pose

toujours de quelle authenticité réelle est possible dans le cadre d’une classe de langue57. L’objectif affiché est, par le truchement d’activités orales en binômes, de permettre un temps de parole plus long pour les étudiants.

Or, le temps de classe représente 58 heures par année scolaire, réparties sur 29 semaines, soit en moyenne deux heures par semaine pour les apprenants. Cette contrainte est doublée d’une seconde : l’annualisation des emplois du temps dans l’établissement, qui de

facto changent chaque semaine, au gré des vacances et surtout des périodes de stage à

l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement. Les stages ont une durée obligatoire de 16 semaines dont 10 sont prises sur la scolarité. Dans l’organisation concrète de l’établissement, et pour les langues vivantes, cela signifie qu’une classe pourra recevoir 4, 6, voire 8 heures d’enseignement de langues dans la même semaine, puis ne recevoir aucun enseignement pendant plusieurs semaines. L’absence de régularité dans la fréquence des cours de langue n’est certainement pas favorable à l’apprentissage de la langue.

Enfin, il est à noter que le référentiel a été rédigé dans le souci du développement d’une « culture de la mobilité » à l’international, tant pour les études que pour le travail. L’accent est mis sur l’avantage que représente la maîtrise d’une langue vivante étrangère dans un contexte européen et international. Il s’agit de

développer sa culture de la mobilité pour bénéficier à plein de l’harmonisation des cursus de formation au niveau européen, de l’internationalisation des échanges et du marché du travail. À cet égard, la maîtrise des langues étrangères et l’ouverture culturelle constituent de précieux atouts. Pour cela, l’étudiant doit intégrer la dimension internationale à son projet de formation personnelle et prendre appui sur les actions conduites par l’établissement pour mobiliser et valoriser ses savoirs langagiers et culturels.

La dimension utilitaire de la langue est claire dans cet extrait du référentiel : elle doit être utilisée pour s’insérer dans le monde des études, puis du travail. Il s’agit donc plus généralement de l’anglais du monde professionnel et industriel, en lien avec le domaine de spécialité : l’industrie agroalimentaire et laitière, et les biotechnologies.