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Résumé et conclusion de la partie I

D. Une part de confiance liée au contexte socioculturel

Une grande partie de la confiance, dans les organisations, est liée à des attentes diffuses et des croyances dépersonnalisées (Kramer 1999). Les croyances forgées dépendent de l’histoire personnelle de l’individu, comme nous venons de l’évoquer, mais aussi des contextes sociaux dans lesquels il s’est inséré et s’insère, la confiance étant un phénomène social (Granovetter, 1985 ; Grey et Garsten, 2001 ; Luhmann, 1989 ; Zucker, 1986).

Comme indiqué dans la partie I.B, l’élément essentiel de la confiance est l’incertitude. Or, la façon d’envisager cette incertitude varie culturellement. Dans l’approche orientale, le risque n’existe pas : il s’agit seulement de se mouvoir avec aisance dans une incertitude permanente (Cailliau, 2015 ; Nisbett,

2004). A l’opposé, l’évitement de l’incertitude est caractéristique des sociétés occidentales et notamment française (Hofstede, 1993), aussi il n’est pas étonnant de constater que la recherche de maîtrise du risque augmente, au niveau de la société dans son ensemble (Algan et Cahuc, 2007 ; Marzano, 2012) comme des entreprises (Dupuy, 2011 ; de Gaulejac, 2014 ; Le Goff, 1999 ; Linhart, 2015).

Les attentes et a priori sont eux aussi influencés par les normes socioculturelles. La vision des individus et des organisations qui sous-tend la pensée économique dominante en occident repose sur l’héritage des théories contractuelles et de Taylor (individus opportunistes, recherche d’intérêt individuel, maximisation du profit…) venus de la culture américaine, culture qui valorise l’accomplissement des tâches, l’atteinte des objectifs et la compétition. Ces croyances ne sont pas universelles puisque d’autres cultures, notamment asiatiques et scandinaves, valorisent d’avantage la qualité des relations, le soutien, la coopération et l’harmonie (Hofstede, 1993). Cette seconde orientation se retrouve dans l’émergence d’autres façons de voir les individus et leur façon d’être en relation, comme le Stewardship (Davis, Schoorman et Donaldson, 1997), ou d’autres conceptions de l’entreprise, comme celle proposée par Segrestin et Hatchuel (2012) pour qui l’organisation n’existe pas d’abord pour le profit des actionnaires mais comme collectif permettant de créer à plus grande échelle.

Comme l’a mentionné le début de ce chapitre, le besoin de confiance « trust » est lié à l’augmentation de l’individualisme (Seligman, 2001). Or, le rapport de l’individu au groupe varie lui aussi selon les cultures, certaines cultures donnent la préférence à l’identité individuelle tandis que d’autres la donnent à l’identité du groupe et de l’individu par rapport au groupe (Hofstede, 1993 ; Trompenaars et Hampden-Turner, 1997)9. L’amalgame est souvent fait entre cette dimension et la première présentée, en associant l’orientation compétition, objectifs, tâches, aux cultures individualistes et l’orientation coopération, relations, soutien, aux cultures communautaristes. Or les pays scandinaves sont des cultures qui allient identité individuelle et forte orientation relation, et qui se trouvent avoir des scores élevés dans les études internationales sur la confiance. En plus de refléter l’influence de la norme culturelle sur le rapport à la confiance, cette perspective ouvre la réflexion sur la façon dont l’individualisme au sens d’identité individuelle peut se combiner avec une orientation groupe au sens de l’orientation soutien, relation et coopération.

9 Il se peut que la confiance telle que nous l’envisageons, c’est à dire au sens de « trust », soit un non-sujet dans les cultures dans lesquelles le tissu social est tellement dense et l’importance du groupe tellement forte qu’il est une évidence que les individus vont se conformer aux normes sociales, comme l’indique par exemple l’étude de Yamagishi et Yamagishi (1994) citée par Kramer (1999 p.581) à propos des Japonais qui ont un niveau de trust plus bas que les Américains, mais parce qu’ils ont un niveau de confidence plus élevé car le tissu social est encore tellement dense que le niveau d’incertitude est faible quant aux attentes qu’ils peuvent avoir vis-à-vis du comportement de leurs pairs. Cela dépasse toutefois le contexte de cette thèse.

Ces exemples concernaient les éléments relatifs à la définition même de confiance. Si l’on en vient aux critères selon lesquels l’organisation est évaluée (bienveillance, éthique, compétence, fiabilité, voir partie B), les exemples d’influence culturelle abondent aussi. Par exemple, la notion de justice et les critères qui vont permettre de dire si une pratique est juste ou non sont directement liés aux normes culturelles qui prévalent. Toutes les cultures n’ont pas le même degré d’acceptation de la répartition inégale du pouvoir et des richesses (Power Distance, Hofstede 1993) ou n’accordent pas le statut social selon les mêmes critères (Achievement or Ascription, Trompenaars and Hampden-Turner 1997), donc ce qui peut paraître tout à fait injuste dans une culture peut-être totalement accepté dans une autre (d’Iribarne et al., 2020). Le rapport aux règles diffère également d’une culture à l’autre : à l’extrémité du continuum, elle peut être considérée comme universelle et les individus s’y soumettent en toutes circonstances ; à l’autre extrême, il n’existe que des situations particulières et la règle change en fonction de chaque cas (Universalism/Particularism, Trompenaars et Hampden-Turner 1997). Lorsque Caldwell et Clapham (2003) incluent dans leur échelle de confiance organisationnelle une dimension « conformité aux règles » (legal compliance) avec des items comme « Des efforts sont faits pour respecter les lois en vigueur », on peut penser à un biais lié à une culture universaliste. D’autant que même si les répondants venaient de pays différents, ils suivaient tous un MBA dans des universités américaines. La notion même de compétence et les critères associés n’ont rien d’universels. Les études qualitatives menées depuis 30 ans par Philippe d’Iribarne et al., (2020) montrent par exemple que certaines cultures valorisent davantage la flexibilité et l’innovation (donc le processus, l’action) quand d’autres valorisent les résultats, certaines recherchent des partenariats harmonieux quand d’autres préfèrent des relations de type mentorat purement professionnel.

L’influence des normes collectives et du groupe a été explorée également par Shamir et Lapidot (2003). Ils ont montré que la confiance que des cadets israéliens accordent à leurs officiers se base principalement sur leur expériences personnelles au début de leur formation, tandis qu’à la fin, les critères que les cadets retiennent pour évaluer si leurs officiers sont dignes de confiance ou non correspondent d’avantage aux normes, aux valeurs et à l’identité du système ; et les évaluations convergent car les jugements collectifs influencent les jugements individuels. L’influence du groupe a été montrée par l’expérience de Asch de 1951, maintes fois reprises depuis et devenue un classique de psychologie. Dans leur étude sur la participation des équipes pour la mise en œuvre de mesures de santé et sécurité au travail (SST) dans des mines australiennes, Gunningham et Sinclair (2009) ont constaté que des démarches similaires au sein d’une même compagnie pouvait fonctionner ou non selon les sites et les équipes, même lorsque l’engagement du management était présent : d’après leur étude, les disparités venaient de la culture qui régnait dans les différents groupes. Ils ont cependant aussi constaté que cela n’était pas une fatalité et que des pratiques organisationnelles et managériales

adaptées peuvent influencer les attitudes au niveau du groupe concerné. Ainsi, les pratiques au niveau macro influencent les attentes et comportements au niveau micro (Kramer 1999).

Etant donné tous ces exemples qui montrent comment les éléments clés de la confiance comme ses antécédents sont influencés par la culture dans laquelle l’interaction a lieu, il nous semble impossible d’identifier des pratiques sources ou non de confiance en tant que telles sans les insérer dans un contexte socioculturel particulier et prendre en compte l’influence de ce dernier.