particuliers subjectifs
D. Un processus plus ou moins inclusif
Nous allons voir maintenant comment les processus d’interprétation et l’engagement dans l’action peuvent être plus ou moins inclusifs des autres acteurs et de perspectives différentes.
Zand (1972) considère que pour construire la relation face aux inévitables déceptions, il est nécessaire d’adopter un fonctionnement fondé sur l’expression et l’échange avec l’autre plutôt que de fuir, en faisant référence à la stratégie du voice plutôt que du exit, de Hirschman (1970). D’autres comme
Adler, (2001) et Ely (2015) considèrent que l’exploration avec le dépositaire dans le cadre d’un dialogue ouvert peut renforcer la relation en connaissant mieux l’autre, à travers un processus maïeutique, mais n’empêchent pas la confiance d’exister sans cela. Si ces approches sont des propositions théoriques qui restent générales, les études de cas de Gustafsson et al. (2020) montrent que la façon d’agir au niveau organisationnel en incluant plus ou moins les individus dans les décisions qui les concernent et leur donner voix contribue à la préservation de la confiance en cas de menace.
L’étude empirique de Six (2003, 2004) révèle différentes stratégies d’action face à des situations problématiques. Elle a identifié que le processus conduit par les acteurs pour interpréter les situations est suivi d’une étape d’action, qui peut relever de la sanction et/ou de l’exploration. Elle peut être une sanction pour faire en sorte que l’autre se conforme davantage aux attentes et éviter des perturbations futures, ce qui est du contrôle social et est l’approche dominante dans la littérature. La sanction comporte alors un caractère informationnel, préjudiciable et relationnel, l’un ou l’autre dominant selon le type de sanction mis en œuvre : elle donne des informations explicites à l’autre sur ce qui est attendu pour qu’il/elle adapte son comportement avec les attentes, son coût est tellement élevé qu’à l’avenir l’individu sera dissuadé de décevoir, et elle donne des indications sur ce qui est important pour l’individu. Or, Six a constaté dans son étude d’une part que la sanction n’est pas obligatoirement mise en œuvre et d’autre part qu’elle peut être précédée d’une étape d’exploration de la situation (inquiry). De plus, elle constate que ces actions peuvent être faites en privé ou publiquement, avec la partie concernée ou via des tiers (collègues ou supérieur hiérarchique). Cette façon de conduire la recherche de compréhension envoie des signaux différents quant à l’envie de poursuivre la relation, tout comme l’attitude de l’autre partie en retour ; ces attitudes et ces signaux participent de l’interprétation retenue pour cette situation et pour l’avenir.
Selon la théorie du framing qu’elle mobilise avec le relational signalling, le cadre principal influence non seulement la sélection et l’interprétation des situations, comme nous l’avons vu, mais il inclut également un répertoire d’actions considérées comme normales selon les situations. Le répertoire d’action inclut par exemple la menace, l’attaque, la défense, le retrait, l’évitement, l’approche, l’ouverture, la négociation (Nooteboom, 2003b, 2003a). Les façons de s’engager dans l’action considérées comme normales peuvent donc différer d’un cadre à un autre.
Il semble donc que la façon de s’engager dans l’action de manière plus ou moins inclusive participe du processus. Le fait de conduire ou non une exploration incluant l’autre ou des tiers et/ou que la façon de sanctionner (ou non) peut contribuer à forger la réalité des acteurs, donc influer sur la façon de construire du sens à partir des situations d’une façon confirmatoire ou nouvelle et de façon individuelle ou collective.
Résumé et conclusion de la partie III
Nous avons présenté les suggestions de Ring (1996) quant à la façon dont la confiance peut être fragile ou résiliente selon la façon de construire du sens et les avons enrichies avec d’autres recherches théoriques et empiriques sur la confiance qui sont apparues pertinentes, fidèlement à notre démarche de théorie ancrée que nous présenterons dans le chapitre suivant. Nous résumons ces deux façons de construire du sens et faire confiance et les croyances associées dans les deux schémas ci-après, d’abord pour la confiance fragile puis pour la confiance résiliente.
Figure 8 : Schéma du processus théorique de construction de sens associé à la confiance fragile
Interprétation des facteurs
Objectivité Analyse cognitive Recherche de lois générales
Sélection de facteurs
Expériences impersonnelles Faits généraux
Faits cognitifs Focus sur la prévisibilité et la
compétence
Engagement dans l’action
Recherche de failles Fuite ou confrontation
Rapport au risque :
recherche de maîtrise
A priori sur les individus :
opportunisme
Cadre englobant :
tourné vers soi
Croyances
Mode de connaissance :
séparé
Emotions :
danger
Figure 9 : Schéma du processus théorique de construction de sens associé à la confiance résiliente
IV. DES PRATIQUES ORGANISATIONNELLES AU SERVICE DE LA
CONSTRUCTIONS DE SENS ?
Dans notre conception, étudier la confiance organisationnelle consiste à comprendre comment elle émerge de la construction de sens des acteurs, à la fois au niveau individuel et au niveau collectif. Il ne s’agit plus d’identifier les pratiques organisationnelles qui sont sources de confiance dans une approche antécédents-résultat ou cause-conséquence. Il s’agit de comprendre comment les individus construisent la perception des pratiques vues comme dignes de confiance et la suspension de l’incertitude, de comprendre comment ces perceptions et cette suspension émergent des pratiques tout comme de comprendre comment les pratiques émergent du processus. La construction de sens est donc cohérente avec notre souhait de comprendre non pas le pourquoi mais le comment de la confiance organisationnelle vue comme un processus en émergence constante.
Interprétation des facteurs
Subjectivité
Analyse cognitive et affective Cas particuliers
Sélection de facteurs
Expériences directes Faits spécifiques Faits cognitifs et affectifs Focus sur les intentions et l’intégrité
Engagement dans l’action
Recherche de lien Dialogue
Rapport au risque :
acceptation du risque
A priori sur les individus :
moralité
Cadre englobant :
tourné vers les autres
Croyances
Mode de connaissance :
séparé + connecté
Emotions :
Ressources