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priori aux

A. Quand croire en la compétence conduit à…

L’a priori de compétence permet aux salariés de bénéficier d’une grande autonomie, de prendre beaucoup d’initiatives et de pouvoir s’essayer à des nouvelles taches ou missions. Dans le même temps (ou dans la durée), nous avons toutefois constaté deux revers majeurs dans la façon dont cela se traduit chez SAMSARA : les salariés se sentent livrés à eux-mêmes (point 1) et le fonctionnement peut mener à l’incompétence (point 2).

1. Des salariés livrés à eux-mêmes

Si les individus sont bien intentionnés et compétents, alors c’est à eux de prendre les décisions qui les concernent. Lorsque cela devient systématique, tout repose sur les épaules des individus : c’est à eux d’être proactifs pour trouver leurs missions, pour contacter leur LRH, pour prendre l’initiative de participer à des projets internes, pour entretenir leur motivation. Cette responsabilisation des salariés peut aboutir à une déresponsabilisation de l’organisation, par exemple par rapport au fait de trouver des missions : « [une consultante junior] était terrorisée parce qu’elle n’était pas staffée. Peut-être qu’elle surréagit par rapport à la situation, mais elle a senti une pression pour trouver une mission alors que, c’est SAMSARA qui doit trouver un travail. Elle doit tout faire pour trouver une mission mais ça

doit être dans un esprit positif » (E15), ou par rapport au suivi des salariés : « Moi je dis que c’est pas

du suivi, parce que je me suis rendu compte qu’il faut aller chercher le suivi. » (ANMEET180706) « Y a

la relation avec SAMSARA qui est hyper important. Depuis la transformation c’est laissé à l’initiative du

consultant » (E41) La suite de l’entretien précise que du coup les consultants ne viennent pas

suffisamment, surtout avec la pression pour produire, et que c’est la structure qui devrait contraindre un peu plus ses consultants, car ils sont quand même en CDI, pas freelance.

Si les salariés apprécient l’autonomie dont ils jouissent, ils font presque tous remarquer qu’ils auraient besoin de plus d’accompagnement et d’initiative de la part de l’organisation, pour progresser professionnellement et pour se sentir moins seuls. Ces deux aspects se retrouvent dans ce retour d’Anaïs : « Du back up. C’est clairement ce qui me manque. J’aimerais que cette autonomie soit un peu challengée de temps en temps. Avoir un point par semaine par exemple, est-ce que t’as avancé comme tu veux, est-ce que je peux t’aider, qu’on me pose des questions, que je puisse être un peu accompagnée. […] Pour pas chercher mes réponses toute seule, être plus efficace, supportée, que

quelqu’un soit au courant de ce qu’on fait, s’y intéresse » (E59).

Ce besoin d’accompagnement concerne d’abord l’apprentissage du métier et le développement des compétences. Si les juniors sont contents de l’autonomie, ils peuvent vite avoir du mal à progresser s’ils ne sont pas pris sous leur aile par une personne plus expérimentée : « Je pense connaître mes axes d’amélioration, mais si on m’aide pas… je suis jeune, j’ai 28 ans !!! Pour [le chantier que j’évoquais], il

aurait dû me dire t’en es où, comment ça avance ? Il manque quelqu’un pour m’aider » (E48). En ce qui

concerne les consultants seniors, un « coaching des leaders » a été mis en place pour les accompagner à devenir manager. Cependant cela ne concerne qu’un quart de la population des seniors consultants. Qu’en est-il des autres ? Ils manquent d’accompagnement pour progresser et prendre des décisions éclairées. « Personne ne peut dire je suis au maximum de moi-même et j’ai plus besoin d’être accompagné. […] on est tout seuls face à nous-mêmes, mais des fois on a besoin qu’on nous guide pour

prendre la bonne décision. » (E96). La grande liberté dans les postes, la possibilité de choisir sur quoi

on travaille et décider comment gérer son temps est apprécié. Dans le même temps, les collaborateurs ne savent pas ce qu’on attend d’eux. « Je me dis que maintenant [que j’ai le grade de Senior Consultant], peut-être il faut que je bosse différemment mais je ne sais pas, ça m’échappe, ce que nous on met dessus, ce que les clients mettent dessus, pourquoi William ou autre m’a proposé Senior Consultant. Il faut leur demander. Quand mon représentant m’a demandé si je le demandais j’ai dit non, mais on me l’a proposé j’ai accepté. Il doit y avoir des attentes de moi sur certaines choses, mais je ne sais pas trop sur quoi. » (E6).

Si le besoin d’accompagnement des populations les plus jeunes et de celles en plein développement professionnel peut sembler évident, il concerne aussi les populations de managers et de managers seniors. Eux-aussi sont en manque d’accompagnement. « Tu es seul dans cette boîte, surtout à un

certain niveau hiérarchique. C’est super top pour les juniors qui peuvent apprendre, mais ça manque de cadre pour apprendre donc déjà pour eux les apprentissages ont plus ou moins d’envergure. Mais

pour les vieux… » (E36). Même les associés le font remarquer : « C’est ‘’vas-y, t’as carte blanche, on te

fait confiance’’, mais quand je dis que je suis dans la merde, on m’enlève le sujet alors que j’avais juste

besoin de soutien. » puis il ajoute : « J’ai aucun frein, mais j’ai aucun accélérateur ou facilitateur. Les

LRH, c’est pour pas vivre ce que nous on vit ». (cahier 3)

Le besoin d’accompagnement concerne également l’apprentissage de la navigation dans l’écosystème SAMSARA et l’adoption des justes postures. Les consultants juniors et confirmés sont tiraillés entre le fait de devoir être autonomes et responsables tout en ayant à découvrir le milieu et le métier. S’ils demandent trop, on estime qu’ils ne sont pas autonomes, et en même temps s’ils ne demandent pas assez ils ne peuvent pas le devenir durablement. Ils ont également besoin d’apprendre à gérer les jeux d’influence qui sont exacerbés dans un fonctionnement reposant essentiellement sur l’ajustement mutuel et dans lequel n’importe qui peut être en contact avec n’importe qui. « Avec le recul d’un mois, y a une sorte de contre-coup là-dessus [la grande autonomie], c’est que y a beaucoup, sur le peu d’expérience que j’ai – que y a beaucoup de jeux d’influence car c’est moins structuré, faut bien le voir et bien le gérer, sinon on peut se faire embarquer sur des missions qui nous plaisent pas forcément ou dont on n’a pas les compétences, parce que tu es libre, et quelqu’un qui n’est pas dans ton domaine arrive et […] accède à ta ressource, et y a une sorte de pression qui reste là quand même, surtout quand c’est un associé. » (E45).

Enfin, le besoin d’accompagnement reflète un besoin d’être vu et pris en compte, signes de reconnaissance qui sont perdus lorsque l’on doit tout aller chercher soi-même. « Nan mais tu vois, ce qui est un peu chiant chez SAMSARA, c’est que j’ai l’impression on est tout le temps presque en mercenaire, on est tout le temps en « quand t’as envie d’un truc ben il faut que t’y ailles, il viendra pas à toi ». C’est ce côté on demande aux gens d’être entreprenants, proactifs, etc., et c’est ça aussi qui

peut user, le fait d’être obligé d’être tout le temps en train de réclamer sinon y a rien qui se passe. »

(E47). Jack l’évoque à travers une situation concrète : il a accepté une mission qui ne correspond pas du tout à ses critères pour rendre service à SAMSARA. D’autres consultants qui avaient le profil pour sa mission sont ensuite arrivés, mais il n’a pas été remplacé. « Je suis resté 10 mois là-dedans, et je pense que j’ai attendu 9 mois qu’on se soucie pour moi de contrebalancer cet espèce de sacrifice que j’avais fait en arrivant, et au bout de 9 mois je me suis rendu compte que c’était pas l’idée, c’était à moi

de prendre mes responsabilités. » (E72). Il a alors pris les devants pour trouver lui-même un remplaçant

et une nouvelle mission. Il commente alors : « J’ai eu tendance à me méfier car cette autonomie elle fait peur à un moment. En fait est-ce que les gens s‘en foutent complétement de moi ? A un moment tu aimes avoir une identité au sein du groupe. Et sentir qu’on s’occupe de toi un peu, d’une manière ou

d’une autre. Du coup, que peuvent-ils attendre de la structure spontanément ? Lorsque le cycle de don et re-don est cassé ou que l’équilibre n’est plus perçu, les individus perdent confiance, comme cette consultante senior : « On demande aux consultants et on leur donne pas en échange, en tous cas je

vois pas l’intérêt pour nous qui sommes à temps plein chez le client. Donc j’ai arrêté de m’investir » et

elle quitte SAMSARA (E109).

2. L’incompétence

L’a priori de bonnes intentions et de compétence sur les individus permet à chacun de prendre des initiatives, de lancer des projets ou des offres ou de s’essayer sur des domaines nouveaux. Cette possibilité, comme nous l’avons vu précédemment est source de confiance dans l’organisation. Cependant, plusieurs effets de bord apparaissent dans la durée. Tout d’abord, la possibilité de tout faire peut évoluer subrepticement vers l’obligation, où tout le monde doit tout faire. « Chez SAMSARA, on a tout aplati, tu te retrouves à ce qu’on te demande tout, de faire le boulot de tout le monde, et ça, ça m’embête car quand j’ai signé mon contrat y avait pas tout ça et on n’arrête pas de me demander des trucs hallucinants » dit Arthur, ce qu’il illustre par ce dialogue inventé mais plausible : « Mais pourquoi c’est à moi de faire ça ? – Ben tu comprends, on est tous dans le même bateau – Mais à la base, c’est ton poste ! Je t’ai déjà demandé d’écrire des lignes de codes pour ton projet ? C’est ce que tu fais à ton échelle ! » (E82). Poussé à l’extrême, les individus deviennent « interchangeables » remarque Christine, ce qui la questionne car c’est à l’opposé de vouloir développer le talent de chacun (E64).

Les individus ont d’abord besoin de faire leur métier et de le faire bien, avec les moyens de le faire, ce qui n’est pas toujours le cas : « on m’a demandé de faire une migration vers cette techno, je devais avoir une formation qui s’est pas faite, je me suis retrouvé à devoir faire le truc avec ma b… et mon couteau, et derrière je me suis formé tout seul, j’ai passé les certifications tout seul, et là SAMSARA revient comme une fleur, ‘’tiens, t’es certifié, on pourrait être partenaire de [prestataire], file nous tes certifications !’’ Je trouve ça un peu facile. Toujours ce côté on expérimente. Ça fait un peu amateur,

sur ce sujet comme sur plein d’autres. On passe un peu pour des amateurs. » (E82).

Deuxièmement, cela peut amener à confier des sujets à des gens qui n’ont pas les compétences pour, en pensant que les bonnes intentions suffisent et qu’ils apprendront. Ce schéma a été observé à tous les niveaux de l’organisation, qu’il s’agisse d’initiatives internes, de développement de nouvelles offres ou de projets concernant toute l’organisation comme la conception du programme d’accompagnement des collaborateurs, le développement du marketing ou l’introduction d’un pilotage de la rentabilité. Le constat à chaque fois été fait rapidement que la personne en charge n’avait pas le profil, soit au niveau technique soit au niveau interpersonnel, mais l’a priori positif a

conduit à laisser les individus continuer d’essayer encore et encore, jusqu’à ce qu’ils s’épuisent et/ou soient discrédités. La perception d’incompétence qui se borne au départ à l’individu et à la tâche confiée s’étend alors à la compétence globale de l’individu. Dans la majorité des cas que nous avons constatés, les individus concernés ont quitté l’organisation peu après ou se sont retirés de la vie de l’entreprise pour se concentrer sur leur mission et leur secteur d’expertise. Au-delà de l’impact sur les individus, ce mécanisme réitéré entache la perception de compétence organisationnelle, par rapport aux projets qui ne sont pas menés à bien et par rapport à la difficulté de prendre les décisions managériales qui s’imposent. « C’est faire des investissements qui n’ont pas été probants et pas coupés rapidement nous dit Augustin. Ça a entaché ma confiance car on a fait des mauvais investissements et on ne retient pas la leçon ». Il conclut par cette phrase éloquente : « On a été mal éduqués avec l’entreprise libérée à dire “oui oui oui“ tout le temps, il faut aussi savoir dire non. » (E95).