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INTRODUCTION DU CHAPITRE 4

C. Des outils et indicateurs aux échanges et rencontres

La suppression des BU, des comptes de résultat et des supérieurs hiérarchiques s’accompagne de la suppression du pilotage à cette maille-là : « puisque le suivi étroit à la maille des BU, des secteurs ou des offres ne garantit pas de bons résultats, autant s’en passer et voir ce que cela donne » estime le président. De même, toujours selon le fondateur, « les feuilles de route et autres plans d’action consomment beaucoup de temps à être conçus pour ne pas être suivis, donc autant les éviter et fonctionner en « Test and Learn », en agissant directement et en tirant les leçons pour apprendre et fonctionner par itérations, et ce en échangeant directement les uns avec les autres au lieu de passer par des outils qui enferment ». Voyons comment ces croyances se sont traduites.

1. Un pilotage sans indicateurs ni outils de suivi

Tout d’abord, la façon dont les collaborateurs gèrent leur temps n’est pas suivie. Les collaborateurs ne sont pas surveillés en termes d’horaires41 ou d’utilisation des jours non facturés. Si un consultant en intercontrat n’est jamais vu au siège, cela est remarqué informellement, comme dans un exemple que nous avons suivi. Son LRH l’a contacté pour lui demander sur quoi il travaillait, et voir avec lui si son temps était bien mis au service de SAMSARA. Il est apparu que ce n’était pas le cas, il a donc été invité à revenir travailler à partir du siège sur des appels d’offres et projets communs et c’est ce qu’il a fait. Dans un autre cas, le comportement a été réitéré et le collaborateur, après avertissement et différents échanges, a finalement dû quitter l’organisation.

Avec la transformation et la suppression des BU, les outils de suivi qui existaient à cette maille sont supprimés et les cercles et projets qui émergent n’ont plus de pilotage. Seuls quelques indicateurs globaux sont conservés (chiffre d’affaires, rentabilité par secteur et par compte client, taux de production global) et tenus à disposition des associés par la DAF. Avec la transformation s’est rapidement posée la question des outils qui pourraient servir le nouveau modèle. Les réflexions menées montrent que les CRM et progiciels du marché sont conçus pour des entreprises traditionnelles, aussi le président y voit de nombreuses limites incompatibles avec l’organisation qu’il veut construire. Ces outils demandent par exemple des validations pour toute sorte de chose et aucun outil ne permet le partage large d’informations en temps réel. Aussi, au bout de deux ans, décision est prise de développer un outil interne qui serve le fonctionnement de l’organisation, SITP (SAMSARA In the Pocket). Dès la première version partagée à toute l’organisation, tous les collaborateurs ont accès

à l’ensemble des projets déclarés (clients ou internes), y compris au montant du projet, à la modélisation, aux équipes, à la description, et aux propositions commerciales associées si la déclaration est remplie correctement. Tout le monde peut savoir par exemple ce que fait tel ou tel domaine de l’organisation ou quels projets ont été faits chez tel client. Toutefois, les modules déployés les deux premières années servent davantage la coordination et l’échange que le pilotage. De plus, l’outil étant nouveau et déployé progressivement, les salariés n’y ont que peu recours les premières années. Aussi, les collaborateurs font simplement sans indicateurs ni outils. Les projets internes et les offres ne sont pas suivis de manière systématique. Chaque porteur de projet est libre de se créer ses outils de suivi et d’aller voir le contrôleur de gestion pour avoir des informations s’il le souhaite, sans y être contraint. Le premier module développé dans le SI permettant le suivi des projets n’est déployé que quatre ans après la transformation.

Des éléments comme la satisfaction des clients ou la satisfaction des collaborateurs n’étaient pas mesurés avant et ne le sont pas après la transformation, du moins pas formellement, car trop souvent, pense le président, avec « ces concours comme Best Place to Work, tu cours après le concours et pas sur l’épanouissement de tes collaborateurs » : « l’indicateur finit par perdre sa finalité et sa substance. Et deuxième défaut, il réduit [la] vision du monde et ne permet pas de capter les inducteurs, alors [il] préfère avoir rien plutôt que quelque chose avec lequel [il est] mal à l’aise ». Pour la satisfaction des collaborateurs, par exemple, il estime que « sentir l’ambiance en réunion ou en se baladant dans les couloirs est tout aussi (voire plus) valable ». Ainsi, une mesure de la satisfaction des collaborateurs via un outil du type Supermood42 a été envisagé et abandonné et le questionnaire « SAMSARA et moi » que nous avons administré a été jugé comme réducteur par le fondateur.

Une innovation de SITP est le PIC, le plan individuel de charge. A notre arrivée, le président nous indiquait qu’il trouve les budgets prévisionnels aberrants car ils sont généralement conçus à partir des expériences passées, qu’on ne peut pas savoir ce que l’on aura besoin de dépenser (ce qui amène souvent à revoir les budgets), et que les budgets amènent surtout à dépenser des sommes parce qu’on les a prévues. Ce qu’il voudrait, c’est un outil qui permette de décider en temps réel. Il est persuadé que les individus font des budgets parce qu’ils n’ont pas les outils pour décider en temps réel mais s’ils les avaient, ils abandonneraient rapidement leurs budgets. Parce que l’outil tire l’usage, il faut inventer un nouvel outil pour faire évoluer les pratiques. Le métier du conseil et du service information est basé sur les missions des consultants. A l’heure actuelle, la visibilité en termes de charge est passée : on sait ce que l’on a déjà facturé. Au mieux, elle est contractuelle : on sait ce qui va arriver en fonction des contrats signés. Or, il se peut qu’un contrat arrive à échéance mais que le consultant et/ou le

commercial qui gère le compte sache déjà qu’il sera renouvelé même si ce n’est pas encore signé. Au contraire, le commercial ou le consultant peut savoir qu’un contrat qui était récurrent jusqu’à présent ne sera pas renouvelé. Ainsi, les consultants et les commerciaux ont une visibilité sur les missions à venir plus juste que ce que les contrats signés reflètent. L’idée est de pouvoir utiliser cette connaissance pour anticiper les missions et donc le taux de production des individus comme de l’organisation, afin de décider en fonction de l’avenir et non du passé. Aussi, l’équipe SITP a créé un PIC, un « Plan Individuel de Charge », qui permet à chaque collaborateur d’indiquer le temps qu’il pense passer sur quelles activités (missions clients facturées, développement commercial, management, projets internes etc.) dans les mois à venir, avec possibilité de le réajuster à tout moment. Comme dit le président, « cet outil permet de conduire en regardant devant et non dans le rétro. » Au niveau des collaborateurs, cela leur permet d’avoir de la visibilité sur leur ligne de flottaison au lieu de la découvrir après coup, leur permettant de mieux décider sur quoi passer leur temps. Mis en place au printemps 2018, le PIC était peu rempli. La nouvelle version de SITP lancée un an plus tard rend obligatoire le remplissage du PIC pour pouvoir valider l’imputation des horaires du mois, forçant ainsi la mise à jour au fur et à mesure.

2. Des outils au service de l’échange

Si les collaborateurs ne disposaient pas d’outils internes de suivi et de pilotage, ils ont eu recours très vite à des outils en ligne pour permettre les échanges comme Yammer (abandonné depuis), les groupes Outlook, Trello, Slack, WhatsApp, et plus récemment Teams, la coordination passant par tous les moyens que les (groupes d’) individus jugent opportuns. Il n’y a pas d’outil unique mais autant de media, de fils et de conversations que veulent les collaborateurs. De plus, 95% des salariés partagent leur numéro personnel via le système d’information interne, dont l’ensemble des associés, permettant de se contacter en direct. De même, les calendriers Outlook de tous43 sont accessibles, et rares sont ceux qui le paramètrent pour réduire les informations partagées. Cela permet par exemple de fixer des créneaux de réunion en direct, sans avoir besoin de passer par un tiers qui détiendrait la clé de l’emploi du temps de l’autre, y compris pour les associés, dont le président.

Les modules développés dans SITP contribuent à la coordination et l’échange. Dès la première version déployée, chaque consultant en intermission, en mission partielle ou en sortie de mission a la possibilité de se positionner dans SITP sur des missions à venir de façon à ce que tous les commerciaux sachent qui est intéressé par quoi et en discussion avec qui sur quelle mission potentielle. Chaque collaborateur a accès à la fiche des autres indiquant automatiquement son taux de disponibilité pour

des missions ou projets, les missions qu’il fait et a faites, les projets internes auxquels il a contribué, les formations qu’il a suivies, son LRH et son référent, et, s’il complète ses informations, ses compétences, son CV, les cercles auxquels il appartient, ses centres d’intérêts, et tout document qu’il souhaite partager. Puisque les coordonnées de tous sont accessibles (du moins l’email professionnel, le téléphone restant à la discrétion de chacun même si 95% des collaborateurs l’ajoutent), n’importe qui peut contacter un membre de l’écosystème pour l’interroger sur telle expérience, pour lui proposer une mission, pour solliciter une compétence ou autre. De plus, les modules « actualités » et « événements » sont ouverts, ce qui permet à quiconque dans l’organisation de publier une information qui sera ajoutée automatiquement et rendue disponible à tous.

3. De nombreuses opportunités de rencontre et d’échange en face à face

En plus des interactions digitales, il existe de nombreuses opportunités de rencontre et d’échange physiques. Lister toutes les possibilités relèverait de l’inventaire à la Prévert. Pour en avoir une idée, suivons Lena, consultante senior chez SAMSARA, en mission à temps plein chez le client depuis deux ans.

Motivée par le fonctionnement du cabinet dans lequel elle se reconnait, Lena fait en sorte de pouvoir participer aux événements proposés. LRH de deux consultants confirmés, elle participe en janvier au comité carrière, durant lequel elle présente la synthèse de leurs évaluations et échange avec les autres LRH présents autour des décisions d’augmentation et de changement de grade. Un mois plus tard, elle revient au siège pour assister à la convention annuelle, qui est l’occasion d’avoir quelques éléments de mise à jour sur SAMSARA, mais surtout de voir informellement une grande partie des salariés grâce à la soirée dansante qui est organisée. Elle y revoit des visages familiers qu’elle n’avait pas vus depuis plusieurs mois et rencontre des nouvelles recrues. En mars, elle part en week-end de ski avec quarante-neuf autres salariés pour ce séjour tout compris sponsorisé par le comité d’entreprise. Elle n’avait pas pu avoir de place pour le week-end au soleil à l’automne dernier, elle est contente de pouvoir cette fois participer. Ces soixante-douze heures de sport et de fête, sans contrainte de travail, sont l’occasion de rencontrer des collègues de tous grades dans un autre contexte et de renforcer les liens. Son leadé s’ouvre à elle au détour d’une piste de la situation compliquée chez son client. Au retour, quelques échanges WhatsApp et une conversation téléphonique permettent au commercial d’aller faire le point avec le client puis de réajuster le périmètre de mission du consultant. Deux semaines plus tard, à la réunion du cercle Data Management, elle rencontre les nouvelles recrues qui rejoignent le cercle, se met à jour des départs de collaborateurs, apprend des retours d’expériences chez des clients présentés par des collègues, et découvre des projets R&D en cours présentés par d’autres. La réunion se prolonge par un dîner dans Paris, dans une ambiance conviviale. C’est l’occasion de partager des nouvelles et

des idées informellement. Elle en profite pour informer le leader du cercle de l’épisode entre le consultant qu’elle suit et le client et glisser l’information qu’il pourrait être judicieux de commencer à songer à un changement de mission si une opportunité se présente.

Au mois de mai, elle vient participer à « l’apéro intégration » organisé tous les deux mois, à chaque séminaire d’intégration. C’est l’occasion de rencontrer les nouveaux collaborateurs, y compris ceux qui n’appartiennent pas à son cercle, et de revoir des collègues. En juin, elle profite d’un déjeuner organisé à l’interne pour découvrir ce qu’est l’agilité et rencontrer d’autres curieux. Elle voit souvent passer des événements de ce genre, cette fois il avait lieu avant la réunion du cercle dans l’après-midi, donc elle en profite. En juillet, sa mission se finit et la prochaine ne commence qu’en septembre. Elle revient donc au siège et travaille sur le plateau avant de partir pour trois semaines de vacances. Elle se présente aux commerciaux qui ne la connaissent pas, échange avec les collaborateurs qu’elle n’a pas rencontrés ou rapidement, et contribue à des réponses à appel d’offres et à des propositions commerciales, sur des sujets parfois éloignés de son domaine. Les « Business Mornings » qui rassemblent le vendredi matin les commerciaux, les recruteurs, les directeurs et les consultants en intercontrat sont un moment privilégié pour faire le lien entre les besoins actuels et à venir et les consultants en disponibilité. Elle se joint également à la réunion du cercle IO² par curiosité. Elle est contente de ces quelques semaines qui lui permettent de se reconnecter à SAMSARA plus étroitement. En septembre, avec le démarrage de la nouvelle mission, elle ne prend pas le temps de participer à la réunion de rentrée du cercle mais se rend à un « Afterwork recrutement spécial IT », qui est l’occasion pour elle de partager son expérience de SAMSARA avec des recrues potentielles autour d’un apéritif. En octobre, elle participe à une soirée LRH au cours de laquelle elle peut échanger sur son vécu et ses questions avec la dizaine de LRH présents ce soir-là. Cette soirée est complétée d’une journée entière en novembre ou la grande majorité des LRH sont présents, créant une dynamique commune. Cette journée lui permet aussi de poser quelques questions sur le processus d’évaluation à venir, qu’elle n’avait pas bien compris. Elle finit l’année en participant à la soirée « Off² », soirée durant laquelle on ne parle pas SAMSARA (« off 1 ») et ce n’est pas SAMSARA qui paye les consommations (« off 2 »). Elle vient chaque fois qu’elle peut à ces soirées organisées deux à trois fois par an car l’ambiance y est très sympathique, et elle trouve souvent très intéressant ce qu’elle découvre de ses collègues hormis le contexte professionnel. C’est comme cela qu’elle s’est rendu compte qu’un de ses collègues en IT était passionné de chant lyrique alors qu’elle ne l’aurait jamais imaginé. Et voilà une année de passée, faites de nombreuses rencontres et interactions avec l’écosystème SAMSARA.

Avec les différents groupes de travail qui existent sur des projets internes, les réunions des différents cercles, les soirées organisées au cours de l’année, les séminaires de travail, les déjeuners de travail autour de partage d’expérience et la possibilité de simplement venir au siège lorsqu’elle le souhaite,

Lena, comme tous les salariés de SAMSARA, a de nombreuses occasions d’échanger avec les autres collaborateurs SAMSARA pour favoriser l’ajustement mutuel. Ils passent ainsi leur temps à échanger et être en interaction directe plutôt qu’à remplir des tableaux de bord, mesurer et suivre des indicateurs et les décisions sont prises au fil de l’eau en fonction des discussions avec les uns et les autres.