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B. Quand croire dans les bonnes intentions conduit à…

Comme pour l’a priori de compétences, celui de bonnes intentions favorise la confiance dans une certaine mesure mais entraine des conséquences non souhaitées. Croire que les comportements ne sont qu’une histoire d’intention conduit à ce que les postures changent peu (point 1) et la volonté de croire dans les bonnes intentions conduit à occulter les signaux divergents et déviances (point 2).

1. Des postures qui changent peu

Croire que les individus ont envie d’adopter une nouvelle posture ne suffit pas à ce qu’ils l’adoptent. Ils peuvent ne pas partager cette intention, mais même lorsqu’ils souhaitent évoluer, l’intention de changer ne suffit pas à changer. Prenons deux exemples, la posture managériale et la gestion de groupe.

Le premier exemple concerne la posture managériale. Dans la nouvelle organisation, la hiérarchie a disparu, du moins le rôle de supérieur hiérarchique, sans que les managers sachent quel était leur nouveau rôle. « Nous on se faisait fouetter, on se faisait balancer chez le client, il fallait pas râler. Je pense pas que c’était une bonne méthode, mais là je suis avec un junior et un confirmé, et à force d’être trop cool c’est pas les aider, ils sont déresponsabilisés (…) Y a un coaching à faire pour les juniors et confirmés, mais j’ai pas les billes pour être un bon coach. On n’a pas le bagage pour accompagner. » (Christine). Ils devaient l’inventer eux-mêmes, sans qu’il y ait de processus d’accompagnement, ni individuel ni collectif, ni pour former à une nouvelle attitude, ni pour aider à créer quelque chose de nouveau. Les rôles de mentor puis de LHR ont été inventés mais n’ont pas ou peu été accompagnés dans leur mise en place. « On n’a pas accompagné nos managers dans cette transformation alors que c’est eux qui ont été le plus impactés, on supprimait leur territoire, leur équipe, ceux qui n’étaient pas contents se sont barrés, et les autres pas contents ne faisaient plus rien, genre ‘’Je suis plus manager

donc je manage plus, vous vous démerdez’’, du coup tous les rôles de managers sont tombés sur les seniors consultants et on se retrouve à faire n’importe quoi car on n’a pas su assez rapidement définir le rôle du leader » (E57).

Les managers qui étaient auparavant dans une posture d’accompagnement de leurs équipes pour les faire gagner en autonomie ont continué de le faire. Ceux qui étaient dans un fonctionnement plus hiérarchique ou paternaliste ont été pris entre l’injonction de ne plus faire cela et l’inconnu de ne pas savoir faire autrement donc ils ont juste abandonné la gestion d’équipe. Lorsque le rôle de LRH a été conçu, deux ans après la transformation, les managers n’ont pas été impliqués dans la réflexion et ils ont eu du mal à comprendre ce qu’ils devaient faire. « On a fait un truc sans se poser un certain nombre de questions importantes et sans finaliser le sujet. On a demandé aux gens de s’engager sans leur dire à quoi ils s’engageaient en termes de temps, charge etc., et les objectifs n’avaient pas été exprimés. On

savait ce que ce n’était pas mais on savait pas ce que c’était ou devait être. » Ils ont eu en tout et pour

tout deux conférences téléphoniques de quarante-cinq minutes en guise de formation, ce qui était insuffisant pour s’approprier un nouveau rôle. Les managers et plus gradés ne sentent pas de véritable accompagnement et de moyens pour adopter une nouvelle posture, ce qui, dans la durée, fait douter du sérieux des décideurs et du modèle.

Le deuxième exemple de difficulté à changer de posture concerne la gestion de projet et l’animation de groupe. SAMSARA a opéré sa transformation pour avoir plus de créativité et de transversalité. Pourtant, si la structure a été décloisonnée pour retirer ce qui empêchait les échanges et que des groupes de travail ont été créés sur de nombreux sujets, paradoxalement, les méthodes de travail n’ont pas évolué à l’interne dans la façon de gérer les projets. Au moment de la transformation, les salariés ont été inclus dans la réflexion ; cependant, les quatre groupes ont été animés chacun par un directeur de l’époque. Trois ans plus tard, les pratiques ont peu évolué à ce niveau. Prenons l’exemple de la mise en place des LRH. La formation qu’ils ont reçue consistait en deux sessions de quarante-cinq minutes, proposées à tous les LRH simultanément soit trente-sept personnes, par Skype, à l’aide d’un support power point de douze diapos pour la première session, de vingt-sept diapos pour la deuxième. Le format était donc très unidirectionnel. Des soirées LRH ont été organisées en septembre-octobre pour permettre aux LRH de se rencontrer et de partager leurs expériences, ce qui a été apprécié des participants. Cependant, le format est resté similaire : des questions posées auxquelles les participants répondent, puis l’animateur note les réponses et en fait une synthèse, l’animateur étant chaque fois un associé. La journée des LRH a renforcé cet aspect en novembre 2017. Le lieu choisi est le Collège La Manufacture, dont le design reprend les codes de l’école d’autrefois, avec tableau noir et compagnie. Implicitement, cela replace dans la posture d’enfants qui écoutent et apprennent ce qu’on leur dit. Arrivés dans la salle, nous nous trouvons face à des chaises en rang les unes derrière les autres, avec

un écran et un présentateur debout devant tout le monde. Lorsque des ateliers en sous-groupes ont lieu, c’est sous le format d’écrire ses contributions sur des Post-it puis un animateur (debout, tandis que les participants sont assis) les collecte pour les noter au tableau ou sur un paperboard avant de voter ou de les regrouper pour en faire la synthèse. Revenus en plénière, dans le premier cas, nous procédons à un nouveau vote, dans le deuxième cas, les animateurs feront la synthèse puis la restitution. Il y a donc juxtaposition et sélection par un tiers qui se pose en arbitre, au lieu d’avoir exploration et co-construction.

Par ailleurs, le rôle de LRH, lancé huit mois auparavant, consiste à « Faire grandir et guider les collaborateurs ». La formulation reflète une posture d’une personne qui sait et emmène (Document interne « LRH présentation et faq- version cadre avril 2017 »). Dans les saynètes jouées lors des ateliers de la journée LRH, la personne qui jouait le LRH s’est posée en apporteur de solution pour le leadé et non en personne qui l’accompagnait pour explorer la situation et lui permettre de trouver ses propres solutions, et ce, dans les sept situations auxquelles nous avons assisté. Cette posture, adoptée y compris par les LRH plus seniors et par l’animateur de l’atelier, reste ainsi celle du sachant/aidant et non celle d’un coach, facilitateur ou accompagnant. Cela crée une tension entre une entreprise qui se qualifie d’ « entreprise responsabilisante » et une norme managériale qui ne l’est pas forcément.

2. Des déviances non gérées ou gérées tardivement

Un autre revers de la croyance dans les bonnes intentions est la tendance à assimiler bienveillance et laisser-faire. Un premier cas concerne les individus qui ne font pas correctement leur travail, qu’ils ne soient pas suffisamment sérieux ou qu’ils n’aient pas les compétences. Nous avons constaté et entendu à maintes reprises la difficulté de faire des retours directs aux individus concernés, comme dans le cas de Gustave, à propos duquel Maria constate : « On peut manquer de courage managérial. [Gustave a eu] l’impression que ça tombait du ciel car il y a eu plein de moments où on se faisait des feedbacks entre nous alors que personne lui a dit en termes de réalisation et de production que, en termes de qualité, c’était compliqué. Les messages s’échangent entre bizdev et managers et on n’est

pas content d’une personne et quand on lui dit, le couperet tombe, ça tombe du ciel. » (E97). Nous

avons effectivement suivi l’expérience de Gustave de son arrivée à son départ et constaté ce phénomène et l’impact sur l’intéressé.

Un second cas concerne les comportements qui ne respectent pas la norme de bienveillance. A notre arrivée, nous avons entendu parler à plusieurs reprises d’un cas qui s’était passé quelques semaines auparavant. Au cours d’une soirée, un salarié, sous l’effet de l’alcool, avait insulté des collaborateurs et le personnel de l’immeuble, et les retours que nous avions en parlaient systématiquement comme d’un comportement inacceptable, ne faisant qu’accentuer un comportement quotidien jugé

négativement, à savoir une attitude fermée voire condescendante, ne disant même pas bonjour. Or, non seulement aucune sanction n’a été prise à leur connaissance, mais au contraire, cet individu a pris progressivement une importance particulière auprès du dirigeant, créant du doute sur ce qui est acceptable.

Ce doute a été renforcé par le fait que quelques semaines après notre arrivée, des débordements significatifs ont eu lieu lors d’un week-end au ski organisé par le comité d’entreprise. Christine en reparlera encore un an plus tard en même temps qu’elle évoque un autre cas RH qui faisait alors polémique : « Y a des comportements des fois que je comprends pas qu’on accepte – Moi : Du genre ? - Ce qui s’est passé pour Léa ! C’est pas quelqu’un que j’estimais particulièrement, mais ce qui est arrivé,

je me dis ‘’c’est possible chez SAMSARA !’’ [ton choquée].» (E96). Dans ce cas, des mesures

disciplinaires ont finalement été prises, mais le délai a laissé planer le doute entre temps. Si dans ce cas il s’est agi de quelques semaines, il faut parfois bien plus de temps . Ainsi, un certain nombre de personnes ont mentionné spontanément être vigilantes voire se méfier d’un des associés dès 2017 alors que tous les autres associés inspiraient le respect et la sincérité malgré leurs failles et les doutes qui pouvaient être exprimés sur leurs compétences. C’est le seul à l’égard de qui les propos étaient tranchés : « Lui, je m’interroge sur ses intentions. Il se construit son bastion dans la boite. D’ailleurs il a souvent une attitude défensive, donc il blinde quelque chose, c’est qu’il a quelque chose à protéger. Ce

gars, c’est une verrue dans le collectif. » (E36). L’année suivante, il s’est vu confier la responsabilité du

chantier phare de 2018, lui conférant une grande visibilité à l’interne, d’autant plus qu’il a assuré plusieurs communications officielles au nom des associés, asseyant ainsi une influence importante sur l’écosystème. Il a finalement été écarté de l’organisation deux ans plus tard au motif qu’il ne respectait pas la culture de l’organisation. Les deux années de délai sont liées à la volonté de redonner une chance, de continuer de croire dans les bonnes intentions. Entre temps, plusieurs départs d’individus qui portaient la nouvelle orientation de SAMSARA (dont Christine et Théodore parmi les individus souvent pris en exemple ici) sont directement liés à son attitude et à l’image que cela a donné de l’organisation et des comportements qui y sont effectivement valorisés.

III. EFFETS SECONDAIRES DE L’ACCEPTATION DE L’INCERTITUDE

Non seulement le fonctionnement de SAMSARA repose sur l’a priori de compétence et de bonnes intentions, mais l’organisation accepte un niveau très élevé d’incertitude, deuxième aspect de la confiance. Cela se reflète dans la stratégie délibérément émergente et dans l’absence de planification (il n’y a ni budget prévisionnel ni objectifs assortis de plans d’action suivis) pour privilégier l’adaptation en temps réel. Cela se voit au niveau structurel avec les cercles reconfigurables, au niveau de nombreux processus, comme le recrutement, qui ne sont non seulement pas formalisés mais qui ne font pas

l’objet d’un consensus même informel, ou encore au niveau managérial avec un fonctionnement reposant sur la proactivité des individus, qui doivent notamment solliciter l’aide dont ils ont besoin au lieu que le suivi soit à l’initiative d’un supérieur. Ce changement permanent est source de motivation : « Ça change tout le temps, on s’ennuie jamais, je rencontre tout le temps des gens différents ; l’inconstance, ça donne l’intérêt pour SAMSARA, j’ai plein de trucs à acquérir et apprendre. Et puis le fait que les équipes se renouvellent souvent, c’est chiant et ça donne un côté négatif mais en même temps c’est intéressant car ça donne des nouvelles façons de travailler, ça casse la routine » nous explique Sandra (E94). Si le changement permanent est ce qui la motive et la stimule, c’est aussi ce qui fait qu’elle n’a pas confiance en SAMSARA : « Cette évolution constante du jeu et des règles, implicites car y a rien qui est noté, qui changent, cette évolution constante de comment on travaille, de ce qu’il faut mettre en avant, de comment on va voir un consultant, est-ce qu’on les force ou pas à accepter

une mission, c’est ce qui rend SAMSARA intéressant mais qui a baissé ma confiance dans SAMSARA. »

(E94). Voyons des conséquences non souhaitées de l’acceptation élevée de l’incertitude sur les décisions individuelles et sur les décisions collectives.

A. Quand l’absence de vision et de processus rend difficile la décision