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INTRODUCTION DU CHAPITRE 1

B. De la réduction des risques à la suspension de l’incertitude

Nous venons de voir que le premier point commun des définitions de la confiance est la référence à des attentes positives, même si elles sont de nature et de portée différentes. Le deuxième point commun est une situation d’incertitude : il n’y a confiance que lorsque l’on n’est pas sûr de l’issue et/ou du comportement de l’autre. Nous allons voir dans cette partie comment la plupart des approches prennent cette incertitude comme un simple contexte et cherchent à la réduire. Alternativement, l’incertitude peut être considérée comme le cœur même de la confiance, ce qui ouvre de nouvelles perspectives.

Comme nous l’avons vu dans l’introduction générale et comme les définitions du tableau 1 le montrent, la confiance s’inscrit dans un contexte d’incertitude, que cela passe par« la possibilité que les choses se passent mal même si elle est combinée à la croyance qu’elles ne se passeront pas (très)

mal » (Nooteboom 2003b), la volonté de se rendre vulnérable même si un risque est encouru, dans une situation de non maîtrise et d’incapacité à contrôler l’autre (Lin, 2010 ; Mayer, Davis et Schoorman, 1995 ; Rousseau et al., 1998 ; Schoorman, Mayer et Davis, 2007) ou encore d’opportunisme possible (Cummings et Bromiley, 1996). La confiance est associée à une situation dans laquelle le future est incertain et dans laquelle les conséquences d’une déception des attentes sont supérieures aux bénéfices de leur satisfaction (Deutsch, 1960).

L’incertitude est inhérente au monde social, parce que l’autre n’est jamais complètement prévisible : il est impossible d’être sûr de ses intentions comme de son comportement futur, quel que soit son comportement passé et cette incertitude a augmenté avec le délitement des liens sociaux durables et l’intensification de l’interdépendance, comme indiqué au début de ce chapitre. A cette incertitude sociale s’ajoute une incertitude environnementale puisque le contexte change en permanence : réglementation, ressources, acteurs... Rares sont les auteurs, à l’instar de Karsenty (2013) et de Castelfranchi et Falcone (2000), qui prennent en compte ces facteurs externes en ne faisant pas reposer l’incertitude, comme les attentes, uniquement sur l’autre mais sur la situation plus largement.

Que l’incertitude rende vulnérable et place dans une situation de danger, de risque, est posé comme postulat dans la plupart des définitions de la confiance et la confiance est vue comme une prise de risque. Or l’incertitude n’est pas synonyme de risque indique Laurent Bibard (2012). Le risque implique une issue négative évaluable alors que l’incertitude est au contraire imprévisible7. Si l’incertitude est perçue comme un risque, cela conduit à se comporter en fonction d’un futur potentiellement dangereux qu’il faut anticiper et maîtriser. Si l’incertitude est acceptée avec son caractère imprévisible, il est possible de se comporter non pas en fonction d’un futur hypothétique mais en fonction de ce qui se joue au présent, en s’adaptant aux situations au fur et à mesure qu’elles se présentent (ibid). A l’heure actuelle, la première approche domine largement les recherches sur la confiance. Pour Shapiro, Sheppard et Cheraskin (1992) la confiance vient particulièrement de la fiabilité, du fait que l’autre va faire ce qu’on attend de lui. Pour Das et Teng (1998, 2001), il s’agit de rechercher la sécurité. Cette approche apparait de façon évidente dans les approche économiques qui cherchent à réduire le risque d’opportunisme et de divergence d’intérêts (Eisenhardt, 1989a ; Jensen et Meckling, 1976 ; Williamson, 1993). Cependant, l’incertitude est également vue comme un risque dans les approches en psychologie et psychosociologie qui dominent les recherches actuelles et qui reposent sur la notion de vulnérabilité et sur la recherche d’indicateurs montrant que l’autre est suffisamment digne de

7Risque : danger éventuel plus ou moins prévisible. Incertitude : état de ce qui est incertain i.e. imprévisible, indéterminé © 2017 Dictionnaires Le Robert - Le Grand Robert de la langue française

confiance pour prendre le risque (Davis, Schoorman et Donaldson, 1997 ; Mayer, Davis et Schoorman, 1995 ; Schoorman, Mayer et Davis, 2007).

Or, la confiance existe aux limites du système, elle commence là où la prédictibilité s’arrête (Lewis et Weigert, 1985 ; Seligman, 2001). C’est justement la « suspension de la rationalité » (Möllering, 2001), le « saut de foi » (Lewis et Weigert, 1985 ; Möllering, 2006), qui caractérise la confiance. L’individu fait nécessairement des impasses, écarte des possibles, simplifie la représentation d’autrui pour faciliter sa tâche et garder sa santé mentale (Reitter et Ramanantsoa 2012 p.37). Même Arrow soulignait déjà qu’il y a une part de confiance dans toute transaction, ne serait-ce que parce que l’on donne l’argent avant d’avoir l’objet entre les mains, par exemple (Arrow, 1973). C’est cette acceptation de la part d’incertitude, si minime soit-elle, qui fait la confiance, suggère Möllering (Möllering, 2001, 2006).

S’il y a suspension, saut, il y a action. Pourtant, la plupart des définitions considèrent la confiance comme un état, le fait d’avoir ou non confiance selon l’évaluation de la situation et/ou de l’autre et l’intention, sans parler d’action (Rousseau et al., 1998) ou en mentionnant que la volonté mène à l’action mais qu’elle n’en fait pas intrinsèquement partie (Mayer, Davis et Schoorman, 1995). D’autres considèrent que la confiance est un processus qui intègre l’ensemble de ces étapes (Castelfranchi et Falcone, 2000 ; Möllering, 2001 ; Skinner, Dietz et Weibel, 2014 ; Zand, 1972) et qu’il n’y a confiance que s’il y a passage à l’action : on peut en effet se mentir à soi-même et croire qu’on fait confiance alors que ce n’est pas le cas, par exemple en pratiquant le micro-management (Skinner, Dietz et Weibel, 2014). Pour Möllering (2006), la suspension de l’incertitude n’est pas l’action qui suit la formation d’attentes positives, permettant de passer des attentes à l’action de faire confiance. La suspension de l’incertitude est le cœur même du processus de confiance, qui rend possible la formation d’attentes positives. Aujourd’hui, les études sur la confiance expliquent comment réduire la part d’incertitude pour que le saut soit moins grand, mais n’expliquent pas le saut lui-même (Möllering, 2013).

Etonnamment, les définitions dominantes de la confiance qui l’associent au risque et au danger ne correspondent pas à la définition de la confiance de l’Académie française (9ème édition) qui indique que la confiance est l’« espérance ferme que l'on place en quelqu'un, en quelque chose, la certitude de la loyauté d'autrui, le sentiment d'assurance que donne la foi en l'avenir ». La définition de Laurent Karsenty (2013), qui décrit la confiance comme le sentiment de sérénité qui émane de la relation à un acteur sur qui l’on se repose dans une situation donnée en espérant qu’il prendra soin de nos intérêts (p.19), va en ce sens en faisant état de sérénité et d’espoir. Elle fait figure d’exception. Or son approche prend en compte l’incertitude mais ne la considère pas comme un danger. Il ne s’agit pas d’être aveugle et de confondre foi et confiance en ignorant toute information factuelle sur l’autre et sur la situation,

mais de reconnaitre la part d’incertitude restante, plus ou moins grande, et la suspendre en faisant « comme si » elle n’existait pas, au lieu de la subir (Karsenty, 2013a ; Lewis et Weigert, 1985 ; Möllering, 2006 ; Wicks, Berman et Jones, 1999).

Ainsi, envisager l’incertitude et sa suspension comme le cœur de la confiance ouvre de nouvelles perspectives puisqu’il ne s’agit plus de comprendre comment la réduire mais comment l’accepter, comment faire le saut de suspension de l’incertitude.

Nous définissons la confiance comme suspension de l’incertitude qui maintient des attentes positives dans une interaction à l’issue incertaine.

C. La confiance organisationnelle vue comme la confiance entre les