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INTRODUCTION DU CHAPITRE 4

D. D’une coordination par les procédures et processus à la concertation

La transformation de SAMSARA n’a pas supprimé que la structure formelle et la hiérarchie, comme nous l’avons vu dans les parties A et B, mais aussi presque toutes les procédures et tous les processus, à la fois formels et informels (point 1). La coordination a alors été remplacée par un ajustement mutuel via la concertation directe d’individus à individus (point 2), facilitée par une réorganisation spatiale (point 3).

1. La suppression des procédures et processus formels… et informels ?

Au-delà des indicateurs et outils, les processus et procédures ont disparu puisqu’ils étaient auparavant essentiellement partagés au niveau des Business Units. Au bout de deux ans, un groupe de collaborateurs a capté la perte de repères relative au fonctionnement interne et a tenté de formaliser le fonctionnement de l’organisation dans des « fiches pratiques ». La plupart sont très concrètes et reflètent le fonctionnement effectif, comme celles relatives à la façon de poser ou annuler ses congés, à la cooptation, ou aux imputations. D’autres reflètent en partie le fonctionnement et en partie les intentions, comme celles concernant la façon de « se staffer » sur une mission, de préparer ses sorties de mission, de recruter, d’initier un projet / cercle / communauté ou de lancer toute autre initiative. Certaines relèvent davantage de l’intention, comme celles concernant la façon de gérer une tension ou un conflit ou les décisions d’investissement. L’idée est de mettre ces fiches à jour au fur et à mesure de l’évolution du fonctionnement de SAMSARA, ce qui sera le cas pour la fiche cooptation par exemple, et d’en ajouter si besoin, comme la fiche sur la façon de devenir et de choisir son LRH ou celle sur le parcours pour devenir « leader ».

On peut arguer qu’il existe toujours des processus informels, puisqu’il faut bien que les choses soient faites d’une certaine manière. Il est cependant difficile d’identifier des schémas mêmes informels vu qu’il n’y a pas de structure ni d’équipes. Les procédures de travail étaient au niveau des BU plus qu’au niveau de l’organisation elle-même. De plus, SAMSARA a évolué sur cette période pour augmenter la proportion de prestations de conseil par rapport aux prestations de service, or ce n’est pas la même façon de recruter, de choisir les missions, de vendre, d’accompagner les missions. Cela fait donc une double raison pour expliquer que les processus aient disparu et qu’il n’y en ait pas de clairs, même de façon informelle : l’évolution du métier de service vers celui du conseil et un turnover élevé ont

entrainé une perte des normes et routines informelles en brisant la transmission des habitudes, savoir et savoir-faire.

S’il n’y a pas de tableaux de bord et d’indicateurs, pas de procédures ni de processus informels, comment les individus font-ils pour savoir ce qui se passe et prendre leurs décisions ? Par le contact direct.

2. Une coordination qui repose sur la concertation

Les collaborateurs sont libres de prendre le temps qui leur semble juste et nécessaire pour participer à des cercles et projets internes, en partant du principe qu’ils sauront le faire « en bonne intelligence ». Au consultant de pouvoir justifier de l’usage de son temps lors du comité annuel qui décide des changements de grade et de rémunération. Peu habitués à pouvoir décider de sortir de mission ponctuellement, la plupart des consultants hésitent à prendre du temps. Au détour d’une conversation, le président suggère une demi-journée par mois ; ce repère informel s’impose et aide les collaborateurs à oser.

Quand un collaborateur veut lancer une initiative (projet ou offre par exemple, interne ou externe), il n’a besoin de l’autorisation de personne. Il est invité à prendre ses décisions en concertation avec l’écosystème, après s’être « assur[é] que l’initiative apporte un intérêt à SAMSARA en recueillant des avis au sein de l’entreprise et [avoir] vérifi[é] que l’idée n’est pas déjà couverte par un autre Projet/Cercle/Communauté » et après avoir « sollicit[é] l’avis des personnes concernées ou impactées » en cas d’investissement44. En revanche, il n’a pas à faire de business plan ni budget prévisionnel et n’a pas à obtenir de validation hiérarchique. « je pense que c’est quelque chose qui avant aurait été plus compliqué, serait passé par un cycle de validation plus important, directeurs, associés. Là y a plus de délégation, plus de choses qui peuvent se faire en mode essai-erreur » (E15). Certains projets ou offres ont capoté (ex. « Samsaramood » ou « Mondobrain »), d’autres ont été intégrés dans une autre offre (ex. l’offre « OptimIT » est entrée dans le « Devops ») d’autres perdurent sans se développer (ex. « Java » ou « Craft »), d’autres ont été relancés plusieurs fois sous différentes formes, souvent au fil des changements d’acteurs (ex. « UX »), d’autres deviennent des projets R&D (ex. « Hipe »), d’autres projets deviennent une offre ou le développement d’un secteur à part entière comme l’agilité et la santé, et d’autres enfin n’ont pas de visée commerciale mais ont du sens et prennent de l’ampleur, comme « Au cœur de l’hôpital » ou « Humanage », ce dernier ayant même gagné le prix de l’innovation au Salon du management en 2018. Ainsi, le fonctionnement repose sur une double croyance : a/ laisser

44 Extrait de « Fiches pratiques » rédigées par un groupe de travail en 2017 pour refléter le fonctionnement de l’organisation et apporter des repères aux collaborateurs, fiches publiées sur le système d’information interne.

les individus interagir et prendre des initiatives libère la créativité, ce qui fait émerger des pépites b/ les initiatives qui ne prennent pas s’éteindront par elles-mêmes.

Le recours à la concertation ne concerne pas seulement la gestion des projets mais aussi celle des relations. Chacun devient responsable de s’intégrer dans l’écosystème, de prendre l’initiative d’aller vers les autres, de créer son réseau, ainsi que de dire quand quelque chose ne va pas et d’être moteur dans la gestion des conflits et tensions qu’il peut rencontrer. Chaque collaborateur est encouragé à

« faire l’effort d’aller vers les autres parties prenantes » s’il est impliqué dans une tension, mais aussi

à « réagir face au comportement inadéquat d'un collaborateur ou en contradiction avec nos principes », toute gestion de tension et conflit devant « privilégier les enjeux collectifs plutôt que

personnels ». Si un conflit ne peut pas être réglé directement, les salariés peuvent faire appel à un tiers,

voire « faire intervenir un médiateur garant du Socle qui procèdera par questionnement », et « en

dernier recours, faire appel au «cercle des sages »composé de trois Associés et trois collaborateurs

SAMSARA, membres volontaires et présence tournante »45. Si les médiateurs n’ont pas été identifiés

formellement et le « cercle des sages » ne s’est pas mis en place, cela reflète l’intention de favoriser la discussion dans une attitude bienveillante plutôt qu’un fonctionnement contrôle/sanction.

Pour les décisions de mission, les collaborateurs, commerciaux et porteurs d’offre arrivent presque toujours à se mettre d’accord en échangeant sur les priorités et enjeux des uns et des autres. Une commission d’arbitrage avait été créée pour aider dans les cas de contentieux, mais cette commission n’a finalement été sollicitée que trois fois en deux ans. Enfin, le processus de recrutement est coordonné par une équipe de recruteurs mais il implique les consultants et n’importe qui qui s’estime capable de prendre la décision de recruter peut le faire. Dans les faits, la décision s’impose généralement après échange des différentes personnes qui ont rencontré le candidat, à savoir un recruteur pour le profil général, un commercial pour l’employabilité, un manager senior ou directeur (associé ou non) pour l’adéquation avec la culture de l’organisation et des consultants opérationnels pour les compétences techniques, même si chacun peut également donner son avis sur les autres aspects. A l’inverse, si quelqu’un ne fait pas l’affaire, tous les acteurs sont impliqués dans la décision. Ainsi, dans bon nombre de cas, le système s’autorégule quant aux décisions relatives aux individus, même si le corollaire est que cela peut prendre du temps.

45 Fiche pratique « Comment je gère une tension ou un conflit », publiée en 2017 dans le système d’information interne

3. Une organisation spatiale au service de la concertation

Le fonctionnement par concertation pour les projets et les relations est encouragée par l’organisation spatiale des locaux. A l’occasion du déménagement en 2016, les nouveaux locaux ont été conçus en open space et flex office, c’est-à-dire non seulement sans cloisons mais également sans bureaux attitrés46. Cela permet d’optimiser l’espace puisque la population présente au siège change souvent : les consultants sont principalement en mission et ne viennent au siège qu’entre deux contrats ou pour travailler ponctuellement sur des sujets internes, tandis que les commerciaux sont très souvent hors des locaux, qu’ils soient en rendez-vous avec des clients ou avec des consultants. Toutefois, ce n’est pas l’objectif principal. Il s’agit surtout de permettre à tous de se rencontrer, d’encourager physiquement le décloisonnement et de favoriser le rapprochement des différentes activités et fonctions et les échanges pour faciliter cette autorégulation. Même si certains espaces sont occupés de façon permanente par des équipes qui ont besoin de travailler entre elles (ex. l’équipe du système d’information interne, ou une équipe d’un projet client longue durée effectué depuis le siège) et que beaucoup prennent leurs habitudes en étant plutôt dans telle ou telle zone de l’espace, il reste aisé de croiser tout le monde, notamment dans l’espace cuisine, qui a volontairement été conçu comme une zone centrale intégrée au reste de l’espace. L’absence de bureaux et d’espace attitrés, y compris pour les associés, ainsi que la présence de fauteuils, sièges et canapés de styles différents et accueillants amènent à s’installer et changer de place au gré des envies et des besoins. Cette mobilité favorise l’accessibilité de tous et les échanges spontanés. Nous avons capté à maintes reprises des bribes de conversations se tenant autour de la machine à café, de la table de la cuisine, dans les canapés ou entre deux tables qui réglaient une incompréhension, concluaient le placement d’un collaborateur sur une mission ou lançaient une nouvelle idée de façon informelle. Au fil du temps, nous avons constaté que les individus avaient tendance à s’assoir toujours à peu près à la même place et que des espaces devenaient réservés formellement ou informellement par des équipes, fragmentant l’espace. Au retour des vacances de Noël 2018, sur l’initiative d’une personne qui en a consulté plusieurs, toute la population technique (SITP, PFT, HPC, Cloud, Big Data, Devops, Data Science, Dev) est invitée à se rassembler dans un espace du plateau. Ce rapprochement entre les consultants de différentes techniques préfigure une démarche de « réunification » des consultants en informatique, consultants en organisation (Lean, Change, Innovation managériale, Agilité, Coaching), et personnel non productif (ADV, RH, DAF, recrutement et commerciaux) lancée en 2019 sous forme de séminaires amenant les

46 Hormis pour les RH (ressources humaines), le DAF (directeur administratif et financier), le CDG (contrôle de gestion) et l’ADV (administration des ventes), en raison de données (individuelles et clients) qui peuvent être confidentielles et de la quantité de documents papier qui restent nécessaires pour ces fonctions, ainsi que pour l’IT en raison principalement du matériel qui peut être en cours de réparation ou en train de tourner et ne doit donc pas être manipulé, ainsi que du matériel stocké.

différentes populations à partager leurs conceptions et expériences de SAMSARA et du travail avec le client.

IV. DES POLITIQUES RH QUI S’ADAPTENT A L’ETAT D’ESPRIT PARTICULIER

Le changement d’organisation a entraîné une modification des pratiques de ressources humaines pour les mettre en cohérence avec les intentions et pour s’appuyer sur elles pour que les actions changent l’organisation et les croyances dominantes. Nous allons voir comment cela s’est traduit en termes de recrutement (partie A), d’intégration et socialisation des nouvelles recrues (partie B), d’évaluation et de rémunération (partie C), de promotion et de gestion des carrières (partie D) ainsi que dans le choix des missions (partie E).

A. Recrutement : la recherche d’un état d’esprit positif et de