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Quand l’absence de vision et de processus rend difficile la décision individuelle

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A. Quand l’absence de vision et de processus rend difficile la décision individuelle

Les changements peuvent être perçus comme une capacité d’adaptation et de résilience de l’organisation, qui nourrit alors la confiance. Dans le même temps, cela peut être perçu comme de l’inconstance et un manque de repères, qui en viennent à poser problème quant à la division et l’organisation du travail, ce qui est source de doute.

A titre personnel, car les individus ne savent plus selon quels critères décider par rapport à l’utilisation de leur temps et leurs priorités. Comment prendre les décisions quand on ne sait pas ce qu’elles doivent servir ? « On a des gens bien, le recrutement y a eu une cible, on a su donner une bonne dynamique, des bonnes valeurs, des bons process, par les séminaires d’intégration, tout ce qui est mis en place, mais il nous manque la vision du coup d’après. […] Vers où leader, vers où mettre leur énergie ? Même moi, des fois je me pose la question, je mets mon énergie dans quoi ? Dans le classement des assos, dans le programme ambassadeur, dans mon business, dans les ateliers rémunération ? Je mets mon énergie dans quoi ? On va où, on fait quoi, C’est quoi la next step ? La priorité, on va dire le business, mais en vrai c’est quoi ? » (E47).

Dans un échange informel, une consultante senior évoque le fait qu’au cours du processus d’évaluation, il lui a été dit qu’elle ne développe pas assez le business, mais elle ne savait pas qu’elle devait le faire, elle ne sait pas ce qu’on attend d’elle en tant que consultante senior. Comme il n’y a pas de fiche de poste ni de manager à qui demander, elle ne sait pas le référentiel. Du coup elle est un

peu inquiète par rapport à l’évaluation suivante car elle ne sait pas par rapport à quoi elle sera évaluée et elle trouve du coup difficile de progresser en termes de développement personnel et professionnel. » (Journal 2017)

Les arbitrages individuels sont d’autant plus difficiles à faire que les critères d’évaluation sont changeants. « Je pense à Jonathan, il a été réquisitionné sur le parcours collab l’année dernière, sa prod n’a pas été valorisée alors que ça lui a pris 50% de son année, [ton vraiment agacé]. Donc tu dis je vais pas du tout m’investir en interne car il faut que je maximise mon taux de staffing et que j’aille vendre,

et après on te dira ‘’tu peux pas être LRH, tu peux pas être manager, car tu t’es pas investi en interne’’ »

(E77).

Les arbitrages sont d’autant plus difficiles qu’ils imbriquent souvent l’individuel et collectif, comme dans le cas du recrutement en 2017. Début 2017, la croissance interne figure parmi les objectifs de SAMSARA, ce qui implique d’augmenter les effectifs. Un objectif de cent recrutements est fixé à l’équipe par un directeur nouvellement recruté. Il apparait assez rapidement que cette personne adopte des comportements inacceptables au sein de SAMSARA, qui amènent à s’en séparer. L’objectif 100, lui, reste. Il est connu de tous puisqu’un email est envoyé chaque semaine à tout SAMSARA pour informer des actions faites ou prévues, des nouveaux profils qui arrivent, et du nombre de recrutements depuis le début de l’année par rapport à cet objectif. En novembre, l’objectif est quasiment atteint puisque quatre-vingt-dix-sept nouveaux collaborateurs ont été recrutés sur l’année, entraînant une augmentation nette de l’effectif de plus de quarante personnes. Or la clôture des comptes fait apparaître un résultat net comptable qui ne permettra pas de verser de bonus ni d’investir comme souhaité pour la croissance externe. L’équipe recrutement se voit alors reproché par la direction de recruter trop de profils qui ne partent pas en mission immédiatement, grevant la rentabilité, et doit donc mettre un frein aux recrutements. C’est « un coup de massue » (Journal 2018, 15 mai 2018), d’autant que « personne n’est jamais venu nous voir pour réajuster ou arrêter la

machine », déplore une personne du recrutement (E59). De plus, si les recruteurs ont en charge

l’entrée dans le processus de recrutement, la décision revient ensuite aux opérationnels qui seront en charge de travailler avec ces collaborateurs. Celle qui porte l’équipe48 constate désormais un

« sentiment de méfiance avant chaque recrutement de ‘’est-ce qu’on va vraiment réussir à le staffer’’

qui fait que personne ne veut plus se mouiller ». Du coup, elle doute car « [elle] ne sait pas quelle est la

stratégie de SAMSARA », elle ne sait plus comment faire son travail et elle constate qu’ « en termes

48 Une junior dont c’est le premier poste, mais qui est tout de même la plus ancienne de l’équipe puisque les autres membres sont arrivés en cours d’année

d’expérience candidat et d’image de marque, c’est pas top » (E59). Un mois plus tard, elle nous annonçait son départ de SAMSARA.

Cette frilosité à recruter se ressent à tous les niveaux de l’organisation, comme le reflète ce manager :

« Avec les événements de début d’année, je sens que [un associé] est plus frileux pour recruter car il

sent qu’il peut se faire emmerder rapidement. Moi aussi. J’étais assez prudent par le passé mais je le suis encore plus. […] Là je suis plus dur avec moi-même, je donne le ‘go’ que si je sens que ça va vraiment le faire. Et concrètement là y a une personne très bien, cooptée par Franck, […] on a mis en stand-by pour une arrivée en septembre, mais il est probable qu’elle ne vienne jamais. L’année dernière à la

même époque il est possible que j’aurais pris une autre décision. » (E85).

Ainsi, les revirements stratégiques rendent difficiles les décisions. Parfois le flou vient d’un changement au fil du temps, comme dans l’exemple que nous venons de prendre. Parfois, les directions différentes peuvent être simultanées et paraître contradictoires. Lors du lancement des LRH, une réunion s’est tenue pour expliquer le fonctionnement et répondre aux questions. Un associé annonce que l’amélioration de l’expérience collaborateur est la priorité de l’année, « donc on a mis le paquet sur la façon dont on va vivre SAMSARA », dont l’instauration des LRH. Un autre associé dit ensuite : « Ne bloquez pas des journées avec vos leadés si possible. Préférez des pauses déj, des pots après le travail, on en interco. Evitez un impact négatif sur le temps chez le client. Si vous avez besoin

de prendre du temps prenez le mais attention à l’impact ». Le président ajoute : « Attention aussi aux

effets de bord sur les relations commerciales, communiquez avec les bizdev ou les partners sur la relation commerciale pour que le temps dégagé pour soit ok dans la relation commerciale quand le

client pense acheter quelqu’un à temps plein ». Et le deuxième associé de conclure « le mot d’ordre est

qu’on vous fait confiance pour assurer le bien-être des collaborateurs ». (Journal 2017 p.78-79.) Du

coup, le message que bon nombre de participants ont entendu est que ce chantier est prioritaire mais qu’il doit être fait sur le temps libre, semant la confusion pour certains, l’indignation pour d’autres, ou conduisant à ne pas prendre le sujet (voire SAMSARA) au sérieux. Là on est en 2017, il n’y a pas encore de ligne de flottaison, mais on sait qu’un consultant manager ou d’un grade supérieur doit avoir une partie de son temps de travail dédiée au commercial et une au management, qu’il ne peut pas être à 100% en production. Or le message ici n’est pas clair puisqu’il laisse entendre qu’il ne faut pas consacrer de temps officiel au rôle de LRH. L’ambiguïté est levée pour part l’année suivante avec l’instauration des lignes de flottaison, pour ceux qui se disent qu’ils ont un pourcentage qu’ils ont droit d’utiliser pour autre chose que la production, mais peu le vivent pas comme ça. Pour beaucoup, les lignes de flottaison ont renforcé l’ambigüité en mettant en priorité la production et la rentabilité et en occultant l’accompagnement individuel.

Ces exemples montrent que l’absence de ligne directrice claire rend difficile pour les individus de décider de l’usage de leur temps et des ressources, même en prenant en compte le collectif.

B. Quand le désir de laisser expérimenter rend difficiles les décisions