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INTRODUCTION DU CHAPITRE 3

C. Un design de recherche en évolution au fil de la thèse

Si le design de recherche combine une question de recherche, une façon de collecter les données, de les traiter et analyser et de les présenter, il est impossible de définir ce design à l’avance dans le cadre de la théorie ancrée puisque le point de départ est le terrain et que l’on ne sait pas à l’avance à quoi l’on va arriver ni ce qui émergera des données et que la question de recherche elle-même évolue avec le terrain. Cela ne signifie pas l’absence de tout design, mais que le design initial n’est qu’une étape vers le design suivant, jusqu’à l’émergence d’une théorie au pouvoir explicatif suffisant, en s’assurant qu’à chaque étape la question, la collecte et l’analyse sont cohérents.

La distinction faite par David, Hatchuel et Laufer (2012) entre quatre démarches de recherche en sciences de gestion éclaire l’oscillation initiale entre différentes stratégies de recherche et différents designs (p.133) : l’objectif de la recherche peut être une construction concrète de la réalité, en transformant directement la réalité, ou une construction mentale de la réalité qui produit des représentations, sans avoir d’intervention directe sur le réel même si la description élaborée pourra ensuite servir à l’action. De plus, la démarche de recherche peut partir de l’existant ou partir d’une situation idéalisée ou d’un projet concret de transformation. Ma démarche initiale s’inscrivait dans une construction mentale de la réalité en cherchant à élaborer un modèle descriptif du fonctionnement étudié. Une fois sur le terrain, j’ai constaté que le « modèle » SAMSARA n’était pas abouti et que le système cherchait à évoluer. De plus, mes recruteurs ont exprimé au bout de quelques semaines le souhait que ma recherche participe à faire évoluer le système. La question d’une recherche-intervention ou recherche-action s’est alors posée. Le modèle cible semblait correspondre à ce que j’appelais alors l’« organisation en confiance », dans laquelle la confiance est un principe organisationnel, et mon expérience personnelle préalable me permettait d’envisager l’animation de

différentes options pour développer le dialogue entre acteurs à partir de leur vécu, pour accompagner la transformation en développant la réflexivité. Le premier cas ouvrait la porte de la recherche-intervention, la seconde celle de la recherche-action, tandis que ma démarche initiale correspondait à l’observation, participante ou non, selon la typologie de David et al (2012). Au cours de l’année 2017, j’ai lancé différentes perches pour agir ou intervenir, sans que cela n’aboutisse. Prenant conscience que la décision ne pouvait pas être de mon seul ressort mais devait être une démarche organisationnelle, j’ai exposé en décembre 2017 (c’est à dire à la fin de ma première année) les trois options aux trois personnes qui me semblaient décisionnaires dans l’entreprise, à savoir le président et mes deux tuteurs23. Chacun s’est positionné sur une option différente, considérant que la réponse était évidente. Cet écart entre les positions de mes trois interlocuteurs clés était le reflet de l’ambivalence perçue dans le premier entretien que j’avais eu avec le président. Il indiquait dans cet échange à la fois que déclencher une thèse doit lui permettre d’avoir plus de recul, qu’il apprécie l’approche de design thinking pour « aller dans le niveau du pourquoi », en profondeur, mais aussi que ma thèse devait servir son obsession d’atteindre ses objectifs très concrets et très opérationnels et « répondre au comment, pas au pourquoi ».

Cette expérience reflète une caractéristique de ce terrain, à savoir qu’au départ, tout semble possible, personne ne m’a imposé de sujet ni de méthode, j’avais toute latitude pour décider après consultation des différents acteurs. Pourtant, quand les avis sont très différents, sur quels critères décider ? Quel poids accorder à l’avis du président et sa vision stratégique, à l’avis d’un de mes tuteurs qui apporte une vision financière, à celui de mon autre tuteur qui réfléchit d’abord recherche et développement, à celui de ma directrice qui voit d’abord les enjeux académiques ? Au final, il n’y a pas eu d’accord entre eux, il me restait donc à décider moi-même. Les tentatives d’action ou d’intervention sans avoir l’appui de la direction n’ayant pas abouti en 2017, n’ayant pas de soutien en termes de moyens (financiers ou jours-homme) pour pouvoir mettre en place une démarche participative nécessaire à une recherche action, et n’ayant pas d’accord sur une situation visée ou un projet de transformation explicite, j’ai choisi d’abandonner l’option de recherche action ou intervention (donc de construction concrète de la réalité) pour revenir à l’observation (participante ou non) qui vise à décrire et analyser le fonctionnement de l’existant, comme prévu initialement.

La démarche de théorie ancrée s’est alors pleinement mise en place. L’analyse des données de terrain a alimenté les choix et modalités de collecte de données et de traitement, ceux-ci permettant à

23 Je n’ai administrativement eu qu’un tuteur, mais dans les faits deux personnes m’ont recrutée et accompagnée tout au long de mon parcours chez SAMSARA, à savoir les deux personnes en charge de la recherche et du développement : un manager (aujourd’hui directeur) docteur en informatique et le directeur administratif et financier.

l’analyse d’évoluer et ainsi de suite, jusqu’à parvenir à une analyse dont le pouvoir explicatif s’impose pour le chercheur comme pour les acteurs, cette évidence étant un critère clé de validité et permettant de conclure la recherche (Glaser et al., 2010). Le schéma page suivante récapitule les évolutions majeures du design de recherche que nous venons de présenter.

Figure 12 : Evolution du design de recherche en fonction du terrain et de l'analyse Objectif Phase 1 : Identifier des pratiques qui permettent de

créer une organisation sur la base de la confiance

Méthode : Etude de cas. Entrée par l’observation de

pratiques + entretiens ouverts pour les perceptions par les salariés pour savoir si elles sont sources de confiance ; échantillon par opportunités + questionnaire pour capter les perceptions de façon élargie

Cadre théorique : confiance comme principe organisationnel ;

pratiques qui rendent l’organisation digne de confiance

Constat : Identification de pratiques

qui reflètent la confiance de la part de l’organisation (donc la confiance comme principe organisationnel), mais qui ne sont pas forcément perçues comme sources de confiance par tous les individus ou qui influencent la confiance différemment au fil du temps

Objectif Phase 2 : Comprendre ces décalages et comment les

résoudre en agissant sur le réel par la mise en œuvre d’actions

Méthode : Proposition de recherche-action (R-A) via des

groupes de discussion pour transformer le système à partir de la réflexion collective sur l’existant, ou de recherche

intervention (R-I) via la mise en œuvre d’actions pour aller vers une organisation cible (a priori positif + aisance dans

l’incertitude).

Cadre théorique : « high-trust organizations », confiance

idéale, confiance fragile/résiliente. Dialogue de Bohm ;

Appreciative Inquiry

Constat : Mise en œuvre de R-A

avortée. A l’échelle d’un cercle car le cercle est dissous. A l’échelle des associés car le design a été bâclé et le chercheur n’a pas fait le travail d’engagement des parties nécessaire.

Mise en œuvre d’une R-I

impossible car le président rejette toute idée de modèle cible et ne souhaite pas expliciter ce qu’il a en tête.

Objectif Phase 3 : Comprendre pourquoi les individus font

confiance à l’organisation différemment face à des mêmes pratiques, à partir de l’analyse fine de l’organisation

Méthode : Théorie ancrée à partir de l’étude de cas.

Identification d’événements dans les données collectées ; Entretiens centrés sur ce qui a inspiré confiance et fait douter, avec évolution dans le temps. Shadowing. Analyse comparative

Cadre théorique : approches dynamiques de la confiance,

contrat psychologique, attribution causale, framing

Résultat de l’analyse :

La confiance est un processus, qui inclut les croyances et attentes sur l’autre mais aussi le rapport à l’incertitude et le sens donné aux situations par les acteurs.

Objectif Phase 4 : Comprendre comment les individus font

confiance à l’organisation et comment les pratiques organisationnelles participent au processus

Méthode : Théorie ancrée. Collecte complémentaire par

échantillonnage théorique sur des événements qui ont augmenté ou diminué la confiance. Analyse comparative

Cadre théorique : Construction de sens individuelle et

collective ; typologies de façons de faire confiance

Résultat :

La confiance est un processus de construction de sens individuel et collectif.

Différentes façons de construire du sens correspondent à différentes façons de faire confiance, au niveau des individus et de l’organisation.

II. LA RECHERCHE DE TERRAIN, UNE EXPERIENCE DE L’INCERTITUDE

RECURRENTE

Cette recherche empirique partant de la réalité des acteurs pour construire le sujet, et la collecte, et l’analyse étant au service d’une théorisation ancrée, la façon pour le chercheur de vivre la relation au terrain est clé. Cette partie montre pourquoi ce terrain a été choisi (A) puis détaille ensuite les enjeux rencontrés en atterrissant dans un terrain où l’incertitude et le changement règnent (B), conduisant à une familiarisation perpétuelle avec les acteurs (C).

A. Le choix du terrain : une combinaison de justification théorique et de