• Aucun résultat trouvé

Une orientation académique

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 40-45)

Nous cessons donc l'activité de gestion de fonds et je garde une petite activité de conseil, qui m'occupe juste suffisamment l'esprit pour faire de nouveaux choix. Je sens à nouveau l'envie de renouer avec mes ‘’amours de jeunesse’’ et de revenir à mes désirs de recherche et d'enseignement. Les mois qui vont suivre seront une préparation à cela, une meilleure compréhension de l'univers académique et du parcours à mettre en place pour le rejoindre. J'ai envie de transmettre ce que j'ai appris de ces vingt ans dans le monde des grandes sociétés financières. Je crois que j'ai toujours le projet de transformer mon industrie, et que cette forme d'idéalisme ne me quitte pas tout à fait.

Entre temps, cette industrie financière s'est effondrée, à la fois du point de vue de ses affaires et de sa réputation. J'ai envie de participer à la recherche des causes et à sa refondation future.

Je rencontre alors des gens qui m'aident progressivement à décoder ce qu'est le monde académique et ce que sont ses exigences. Je comprends que pour effectuer ma mutation, il me faut à la fois enseigner et apprendre ce qu'est cet univers de la recherche, nouveau pour moi. Pour cela et parce que c'est une étape obligatoire pour enseigner et pour apprendre à devenir un chercheur dans de bonnes conditions, je décide de me lancer dans l'élaboration d'une thèse.

Assez rapidement, je trouve un poste provisoire d'enseignant qui me permettra de tester ma motivation et de vérifier que ce métier me plaît. Mais je cherche à la fois un sujet de thèse qui me porte et qui soit utile. Et pour que cette thèse soit ancrée dans la réalité, il me faut un terrain qui m'aide à construire et qui s'intéresse à ma recherche. J'ai besoin d'ancrer mon travail dans l'action, et je ressens que c'est un mode de recherche adapté avec mon parcours.

Le premier terrain auquel je pense est GlobIns. C'est un groupe de taille mondiale, parfait pour l'étude que je souhaite réaliser, avec lequel j'ai une histoire longue, que j'ai suivi comme groupe coté en tant qu'analyste et où j'ai

beaucoup de relations et d'amis. Le premier sujet auquel je pense est celui de la bureaucratie. En effet, j'ai constaté que les groupes financiers ont tous évolué vers des "bureaucraties managériales" depuis vingt ans. J'entends par là qu'une grande partie de l'énergie est désormais utilisée à nourrir la bureaucratie plutôt que de se centrer vers le business. C’est difficile à éviter : il y a vingt ans, ces grands groupes avaient en moyenne vingt mille collaborateurs - avec la majorité de leur chiffre d'affaires et de leurs résultats concentrés dans leur pays d'origine. Par le jeu des fusions, le nombre de collaborateurs a depuis été multiplié par 10 et ces groupes ont des filiales dans des dizaines de pays.

Je suis encore agacé par cette évolution bureaucratique et je voudrais démontrer que c'est en partie à cause de cette évolution que la crise financière est survenue. Mon analyse est encore très affective, réactive et peu constructive. C'est d'ailleurs ce qui déclenche la première réaction que j'obtiens de GlobIns lorsque je viens présenter mon projet: "Tu voudrais qu'on t'aide à démontrer qu'on est devenus mauvais...pour quoi faire et quel intérêt pour nous ?".

Je passe alors par une période de remise en question et je prends le temps de m'interroger sur ce que je veux vraiment mettre en évidence. Je remets en question ma démarche et je regarde les choses d'un regard différent : c'est la multiplication des risques non maîtrisés qui crée les crises alors même que l'on a ajouté régulièrement des étages de contrôle des risques sur la même période. Je constate aussi que la plupart de ces risques étaient connus de beaucoup de gens qui n'ont pas tiré les sonnettes d'alarme avec le degré d'efficacité requis. Sur la même période, mon vécu personnel et le témoignage de quasiment toutes les personnes que j'interroge sur le sujet me font penser que le sentiment d'appartenance des salariés à leur organisation a globalement largement reculé. Y a t-il un lien entre les deux phénomènes que j’observe ? Peut-on diminuer drastiquement le profil de risque d'une entreprise en amenant les salariés à un sentiment d'appartenance plus fort ? Peut-on améliorer la vie des salariés et en même temps leur efficacité pour l'organisation, et cela a-t-il un effet positif sur la maîtrise des risques, et donc

sur le coût du capital ? Et si cela n'est pas vrai, pourquoi cette théorie trouve-t-elle un écho chez les salariés de la finance à qui j'en parle ?

Enfin mon sujet se dessine, même si la confrontation à la réalité de la recherche le fera largement évoluer. C’est avec cette ébauche que je me présente chez mon futur directeur de thèse qui accepte ce thème, dès lors que l’on peut le tester sur un terrain propice.

Je retourne chez GlobIns avec cette proposition et cette fois mon terrain est presque acquis, car ma nouvelle ébauche de sujet se greffe très bien sur des questions que l'organisation se pose déjà. Je trouve en outre dans l'entité de GlobIns à qui je la propose - l’une de ses grandes régions géographiques - un souffle, une envie de bâtir, un esprit pionnier que je croyais disparu de ce groupe. Je passe le cap de la Direction Générale, chez qui je reçois un écho positif, puis de la Direction des Ressources Humaines, qui s’intéresse à mon sujet parce que les thèmes du moment qui préoccupent la Direction Générale sont ceux de la culture d'entreprise et de l'esprit entrepreneurial des salariés.

En participant à la réflexion sur ces thèmes au sein de GlobIns, je vais pouvoir travailler sur les notions connexes à celles de l’appartenance, de la loyauté, de la motivation, etc. La maîtrise des risques qui est l’autre facette de mon sujet de recherche en maturation est également pour le haut management d’un groupe financier une préoccupation constante. Je rencontre par la suite beaucoup de dirigeants de GlobIns avec lesquels je vais être amené à travailler.

À première vue, le ‘’moule’’ des dirigeants et managers GlobIns, que je connais bien, semble très consanguin. Ces personnes sont toutes bien apprêtées, souvent même belles et à l’allure sportive. Leur langage est étudié et elles sont sorties des bonnes écoles avec un CV sur lequel rien ne fait tache13. Il y a pourtant des gens très différents parmi eux malgré cette première impression d’uniformité. Certains sont ouverts, prêts à la remise en question, à la fois positifs et dans la critique constructive sur le système du groupe dans lequel ils évoluent. Une seconde catégorie faisant partie de cette élite montre au contraire avec une certaine fermeture d'esprit, avec des personnes hostiles au

13 La plupart des cadres supérieurs de cette organisation proviennent de l'élite sociale, et d'une forme de bourgeoisie dorée, souvent ouest-parisienne, même si le groupe est mondial.

changement, et protecteurs zélés de la bureaucratie managériale qui constitue leur meilleure protection. Il faudra aussi pendant toute la période de terrain composer avec eux si je veux en obtenir des informations fiables.

De toute façon, dans un groupe de cette taille, je perçois dès les premiers entretiens qu'il faudra y aller à petits pas tout le long de l’étude. Dans les mots de mes interlocuteurs, je sens la susceptibilité des différents acteurs, les logiques de territoire, l'importance d'éviter de brûler les étapes, ou encore de créer trop d'attentes ou de passer pour un auditeur, voire un espion.

Un premier exemple m’en est donné lorsque je souhaite accéder aux consultants qui réalisent l'enquête annuelle de satisfaction des employés, à leurs méthodes et au détail de leurs résultats. Mes interlocuteurs privilégiés me disent qu'ils peuvent me mettre en relation, puis se ravisent : il vaut mieux passer directement par un dirigeant de la holding, responsable officiel de la relation avec les consultants, pour qu'il me mette lui-même en relation. Mais cette personne risque de ressentir cela comme une intrusion, m'indique-t-on car les relations avec lui sont complexes en ce moment. Finalement, je rencontre une tierce personne de la holding centrale, qui comprend immédiatement à demi-mot le problème diplomatique qui risque de se poser et qui va elle-même me mettre en lien avec la personne en charge de la relation avec les consultants. Mais avant de passer à l'action, je sens à nouveau qu'il est important que je vérifie si cette façon de procéder convient à mes interlocuteurs usuels pour vérifier que cela ne leur crée pas de désordre politique - et ils me confirment que ce mode opératoire est le bon, mais que j'ai raison de poser la question.... Tout cela me montre à quel point chacun présuppose les susceptibilités des autres, que cela est intégré dans l'équation des liens entre les différents responsables. Cela veut dire aussi dans ce cas-là que j’ai eu besoin de cinq entretiens juste pour accéder à des personnes susceptibles de me confier des données ou des informations importantes.

Un ancien grand dirigeant de cette organisation me décrivait ce type de mécanisme qui sera mon quotidien dans les deux ans de la phase de terrain :

« Tu sais comment ça se passe dans les grands machins, chaque fois qu'on t'envoie quelque part, tu tombes dans du sable. Et si tu as de la chance, de temps

en temps tu tombes sur un caillou. Et encore même là, tu ne sais jamais si tu ne vas pas à nouveau glisser dans du sable et t'enliser... »

Quelles que soient ces difficultés, avec GlobIns et ses concurrents - que je dois observer dans la foulée – je dispose désormais d’un terrain vaste et diversifié, d’un sujet de recherche et d’un directeur de thèse. Je peux donc initier ma recherche dont les résultats successifs vont modifier progressivement mes croyances de départ.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 40-45)