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Le niveau de compétence ou de qualité

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 196-199)

Le thème de la maîtrise des risques pris par les sociétés financières est récurrent dans les interviews, d'autant que la prise de risque est en théorie le cœur de métier des financiers. Cette maîtrise repose en partie sur le professionnalisme et les compétences techniques des salariés engagés dans le processus de prise de risque, sur lesquels il y a un consensus : dans leur ensemble, les financiers se jugent plus techniques, plus rigoureux et plutôt plus professionnels dans leur approche que par le passé. Mais ils pensent qu'ils sont également devenus plus rigides et plus technocratiques. Ce manque de flexibilité se ressent en particulier avec le renforcement énorme des fonctions de gouvernance et de contrôle, qui ont créé un étau des activités de la banque et de l'assurance.

Mario B., Directeur Financier d'une filiale de Credito Commerciale parle de

façon pondérée de ce sujet polémique : "Je crois que nous sommes meilleurs qu'avant...plus sérieux, plus organisés. On a aujourd'hui des "templates" sur nos business et sur nos risques qui nous permettent de suivre l'activité...C'est un gros progrès, surtout en Italie...avoir une "scorecard" tous les mois comme j’ai aujourd’hui pour vérifier ce que font les équipes, je n'en aurais pas rêvé il y a dix ans.’’.

L’opinion des dirigeants est de toute façon ambivalente sur le sujet des instruments de gestion qui leur a facilité le contrôle des opérations, mais qui change les équilibres dans l’organisation et qui peut toujours constituer un instrument de pouvoir utilisable contre eux (Chiapello&Gilbert – 2013)

Sur le même thème, Thierry A., Chief Operating Officier87 et entre autres responsable de la "compliance" chez Eurofinance, une petite banque d'affaires indépendante, apporte d'autres précisions: « Pour cela, la poussée des régulateurs a beaucoup aidé les financiers à mettre de l'ordre. Cela a redonné le pouvoir aux fonctions qu'on considérait auparavant comme de l'intendance, avec des trouble-fêtes qu’on n’a pas besoin d'écouter. Mon équipe ‘’compliance’’ trouve que c'est plus facile aujourd'hui de faire son travail. C'est moins risqué en apparence mais les opérationnels disent quand même qu'on les a "castrés", qu’on a tué la créativité, et c’est aussi un risque. A mon avis, ils ont trouvé d'autres espaces de liberté et cela ne me rassure pas trop. ».

Thierry est de toute façon un homme méfiant, hyper-contrôlant, qui raconte que son père militaire lui a inculqué ‘’à la dure’’ le souci du travail bien fait, lui faisant souvent refaire plusieurs fois ce qu’il lui confiait, ‘’un peu cruellement parfois’’. Thierry se sent légitime lorsqu’il exige de ses équipes des vérifications sans faille, mais il reconnaît que l’application stricte des règles bloque la réalisation de nombreuses affaires et il comprend que ses collègues essaient de ‘’passer à travers les filtres’’.

Le niveau général technique dans la finance s’est objectivement amélioré. Les sociétés financières ont recruté dans les années 60 beaucoup de gens de la génération des baby-boomers qui étaient entrés sans diplôme dans la finance. Le départ en

87 Le Chief Operating Officer (COO), ou Directeur Opérationnel, est un titre qu’on retrouve fréquemment dans les sociétés à culture anglo-saxonne. Le COO a en général pour mission des fonctions qui ne sont pas directement liées au fonctionnement du cœur de métier, comme par exemple les fonctions administratives, l’informatique, parfois le contrôle ou la compliance, la DRH et l’organisation dans les maisons plus petites. Le contenu de la fonction varie beaucoup selon les entreprises.

retraite ou en préretraite de cette génération à partir du début des années 2000 a permis le recrutement de jeunes diplômés qui ont remplacé ces personnes. La baisse des recrutements liés aux restrictions budgétaires a également poussé les managements à resserrer leurs choix sur des profils très techniques, fortement diplômés ou bien ayant déjà acquis une expérience sérieuse. Le paradoxe est que cela a pu à la fois renforcer le caractère technique et donc la sécurité, mais aussi le côté technocratique qui joue négativement sur la motivation et l’initiative, facteurs de sécurité.

De même, on peut remarquer le contraste entre l’énergie et le temps considérables qui sont mis à contrôler la conformité et à développer les modèles, et d’autre part le témoignage de Michaël F. qui déplore que l’on travaille désormais trop vite et mal pour le service des clients, dans les analyses financières comme en gestion notamment. On peut trouver un indicateur de cette tendance dans une étude de terrain réalisée sur les contrôles de premier niveau dans la banque (Munnier – 2015, p66) : on augmente la demande de contrôle au niveau des régulateurs et des directions des risques, mais cela se traduit dans la pratique par de faux résultats, de faux contrôles. En effet, sur le terrain, les salariés concernés sont obligés de s’adapter à leur réalité quotidienne et à la nécessité d’ajouter ces contrôles à leur travail habituel sans avoir plus de moyens pour les réaliser.

Selon Damien B., directeur des risques de YCredit, un gros assureur-crédit mondial, l’amélioration du niveau professionnel général dans l’assurance peut devenir un facteur d’augmentation des risques s’il incite à moins de prudence: « il y a 25 ans, on était beaucoup moins pro au niveau de la gestion des risques et de la gestion financière. On gérait "à la papa". On n'avait pas de ceinture de sécurité ni d'airbag, mais comme on roulait à 30km à l'heure, ce n'était pas très grave...maintenant, on est bien protégés, on a de beaux modèles sophistiqués pour tout ce qu’on fait, mais on roule à 200km/h en permanence, alors à la moindre erreur, boum ! ».

Damien fait référence aux investissements de son groupe, restés très traditionnels jusqu’en 2000. Ils ont ensuite acheté des produits financiers complexes entre 2000 et 2007 qui leur ont coûté 700 millions d’euros, ce qui était un très gros montant au regard de leur taille.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 196-199)