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Les études de cas (analyses d'incidents)

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 117-120)

À partir de mars 2012, j'ai commencé à recueillir en parallèle des entretiens sur des cas d’incidents qui avaient conduit à des pertes financières pour l’entreprise.

Il s'agissait cette fois de parler avec des personnes qui le plus souvent n'étaient pas des dirigeants, au moins lorsqu'il s'agissait d'examiner le cas dans les détails. Non pas

que les hauts dirigeants ne soient pour rien dans les incidents, mais ils n'en connaissent souvent pas le détail et pour une grande partie des cas, ils n’y sont pas impliqués directement. Pour les vingt analyses d’incidents, j'ai pu enregistrer les entretiens initiaux me permettant de comprendre ce qui s’était passé et de le décrire.

Les enregistrements étaient précieux, car ils m'ont permis de revenir dans le détail sur des sujets souvent techniques et parfois aussi en anglais. Bien que je pratique cette langue de façon courante, ce n'est pas non plus ma langue maternelle ni en général celle de mes interlocuteurs.

Lorsque les échanges ont eu lieu en anglais, ce fut dans des sociétés multinationales qui n’avaient pas une base nationale anglo-saxonne. Ainsi a pu être évité l'écueil de faire les interviews dans la "langue du dominant" (Bourdieu - 1977).

En revanche, le fait que la conversation n’ait eu lieu dans la langue d’aucun d’entre nous pouvait parfois être un obstacle à la compréhension ou à une certaine forme de complicité et la précision de l’information a pu en souffrir.

Dans le cadre de ces entretiens enregistrés, il m'a parfois fallu insister lourdement pour obtenir une information complète et éviter la langue de bois: un salarié interrogé sur un sujet aussi délicat qu'une erreur commise avait tendance à minimiser les responsabilités de ses collègues et les siennes. En début d'entretien, mon interlocuteur me tenait donc discours "préfabriqué" destiné à me montrer que personne n'était responsable de l’incident, et que le problème était déjà quasiment résolu ou sous contrôle. L'objectif pour l'interviewé semblait être de me montrer son

"esprit constructif", son "dévouement à l'entreprise" et ses compétences. Il mettait l'accent sur les plans de remédiation et la qualité des mesures prises pour "corriger le tir". Pour obtenir des informations plus fiables et pertinentes, il me fallait revenir à la charge en mettant en avant des contradictions dans la narration, des impossibilités, et en utilisant pour cela ma connaissance technique des mécanismes évoqués. J'ai dû rassurer mes interlocuteurs, réaffirmer que les échanges resteraient confidentiels.

Les personnes interrogées débutaient l'entretien en me racontant l'histoire comme à leurs interlocuteurs usuels (en interne, il s’agit du "contrôle" ou de l'"audit interne" ; en externe, ce sont les régulateurs, les avocats ou les commissaires aux comptes). La précision des histoires racontées spontanément était rarement suffisante. Je devais utiliser ma connaissance du métier de la personne interrogée pour créer le lien,

identifier les failles de son histoire et ses contradictions et l'inciter à me faire confiance et à me raconter la ‘’vraie’’ histoire (ou en tout cas telle qu’il la voyait vraiment). L'objet de cette phase était aussi de lui montrer l'intérêt qu'elle avait à dévoiler une vision plus authentique de la réalité :

a) faire passer des messages sans risques à sa direction b) se libérer de ce qu'elle ne peut en général pas dire

Pour illustrer ce propos, prenons l’exemple du cas n°6 du chap. 7 qui concerne des coûts payés pour rien par la compagnie à cause de retards administratifs répétés.

La première personne avec qui j’ai parlé de ce cas - Javier F. - a commencée par me raconter son histoire en me disant que la faute en incombait à une loi trop stricte qui désavantageait les assureurs par rapport aux mutuelles de santé. Selon Javier, son entreprise n’avait rien à se reprocher et subissait seulement cette injustice.

Son histoire présentait cependant des lacunes et sa façon de parler du responsable d’un des services concernés m’a rappelé d’autres cas rencontrés dans ma carrière. À la fin de son récit, je lui ai dit qu’il me semblait qu’il manquait des éléments, et notamment lui ai demandé de me préciser si cela se passerait mieux si la relation entre ce responsable de service et son propre directeur était améliorée. Il en a convenu et de fil en aiguille m’a raconté une tout autre histoire qui n’invalidait pas la première, mais montrait comment la compagnie d’assurance aurait pu contourner l’obstacle de cette loi sans le comportement du chef de service incriminé. L’histoire prenait alors une autre tournure.

Il me fallait dépasser la réticence de mes interlocuteurs à se confier. La relation que j'avais avec ces personnes était différente de celles que j'avais lors des entretiens décrits plus haut. En effet, dans le premier cas, j'avais obtenu l'entretien par le biais d'un réseau d'amis ou de relations privilégié, et je recevais des confidences dans un cadre d'échange "d'égal à égal" ou même en position de

"dominé". Dans le second cadre, les personnes que j'interrogeais m'avaient été recommandées avec l'accord ou par le biais de leur hiérarchie et même si j'assurais la personne de la confidentialité de nos discussions, le lien de confiance entre nous était à créer de toutes pièces.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 117-120)