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Nature et objectifs des rencontres avec des praticiens de la finance finance

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 132-135)

dirigeants de la finance au sujet du risque et du contrat psychologique

4.1. Nature et objectifs des rencontres avec des praticiens de la finance finance

Entre le 29 juin 2011 et le 15 mars 2014, j'ai eu l'opportunité d’organiser des rencontres avec des professionnels de l'assurance, de la banque et de la finance, et de confronter leur regard avec celui de personnes travaillant avec eux en externe : consultants, coachs, gros clients, psychologues du travail et professeurs d'université.

La nature de ces rencontres a beaucoup varié selon les interlocuteurs, la façon dont j'étais entré en relation avec eux et l'intérêt qu'ils portaient à notre entretien.

Certaines rencontres étaient des entretiens sociologiques formels, avec un questionnaire et un déroulé maîtrisés tandis que d'autres ressemblaient davantage à une conversation informelle à bâtons rompus. Il était alors difficile de prévoir comment l'entretien allait se passer puisque j'adaptais mes questions au degré d'acceptabilité que je percevais chez la personne interrogée au moment de l'entretien.

Le but de cette partie de la recherche était au départ d'obtenir des réponses à des questions fermées, mais aussi d'obtenir le maximum d'informations, d'ouvrir le

28 Lascoumes et Bezes mobilisent les travaux d’inspiration culturalistes d’Ann Swidler et ceux de Max Weber pour utiliser les concepts de ‘’répertoires normatifs’’ ou de schèmes argumentatifs : les individus utiliseraient pour leur argumentation des schèmes de perception et d’évaluation qui sont des idéaux-types qu’on ne trouve pas intégralement chez un individu -personne ne reprenant un discours avec l’intégralité des arguments du répertoire - mais qui en contiennent une partie suffisante pour que l’on reconnaisse la conception dominante. Ainsi, il suffirait d’entendre une partie des arguments énoncés pour reconnaître le schème sous-jacent.

champ des possibles, et de mieux comprendre comment pensaient les "indigènes" de la finance à propos des sujets abordés.

Je cherchais aussi à savoir ce que mes interlocuteurs véhiculaient comme discours pour comprendre s’ils croyaient eux-mêmes aux histoires qu’ils racontaient sur leur entreprise. Il s’agissait de faire la part des choses de ce qui leur appartenait et de ce qui correspondait – selon la grille de lecture de Veyne (1983) – à un récit anonyme et indirect qui se répète et informe sur l’état de l’entreprise.

Les discussions ont eu lieu en français dans la mesure du possible. Parfois, cela n'a pas été possible et les entretiens se sont déroulés en anglais (cf synopsis des rencontres en annexe 2), sachant que cela n'était pas non plus la langue natale de mes interlocuteurs (à part pour 3 personnes). Le fait que l'anglais n’ait été la langue natale d'aucun de nous a pu rendre parfois la compréhension "fine" moins claire. Néanmoins, en ce qui concerne les multinationales dont le pays d'origine est la France, cela m'a évité d'utiliser la "langue du dominant" (Bourdieu - 1977).

L'utilisation de ces rencontres comme matériau de thèse a été assez complexe et m'a posé beaucoup de questions. En effet, au démarrage de ma recherche, j'espérais qu'après avoir enquêté de cette façon, j'aurais obtenu l'essentiel du matériel nécessaire pour mettre mes hypothèses en évidence. J'allais déchanter et recueillir des informations paradoxales par rapport à mes hypothèses de départ.

Mes premières difficultés étaient que la plupart des informations reçues relevaient du "off", pour reprendre une expression du journalisme et que les conditions des rencontres ne permettaient souvent pas la conservation probante d'une partie de l'information, ne pouvant être enregistrées (cf chap. 3 sur la méthodologie).

Malgré cet obstacle méthodologique, je trouvais dommage de ne pas exploiter un matériau qui pouvait difficilement être récolté autrement, puisque la plupart de ces rencontres auraient été refusées dans d'autres conditions. Les réponses auraient été différentes sans l'atmosphère d'intimité que j'ai pu créer au cours du rendez-vous avec une posture de "financier" et d'ancien collègue autant que de chercheur: un dirigeant qui accepte un déjeuner pour faire connaissance avec un ami d'ami, ou avec un ancien collègue, n'accepte pas forcément un entretien de deux heures avec un

étudiant en sociologie. Et les réponses qu'il fait à une personne qu'il considère comme un pair, comme un presque-collègue, et à qui il n'a pas besoin d'expliquer la technique de son métier ou de son environnement, sont très différentes de celles qu'il ferait dans un entretien formel.

S'il était sans doute utile d’avoir fait partie de l’environnement étudié pour récolter cette information, il me fallait également en être suffisamment détaché et avoir une approche réflexive pour que mes observations puissent avoir une validité scientifique (Bourdieu - 1987). Mon statut de "financier défroqué" me permettait cette posture puisque je pouvais me poser à la frontière de l'observation participante et de l'observation externe, en employant les mots et les codes, les analogies et les anecdotes du monde que j'observais, alors même que j'en étais sorti et que mon investissement dans le "jeu" n'était plus un obstacle à l'objectivité de mes observations. Bourdieu conteste à la fois une posture trop impliquée comme sa critique extrême. Il milite pour une voie du milieu entre implication complète et distanciation totale, qui permet d'accroître la richesse de l'observation et d'apporter une meilleure compréhension des thèmes étudiés. Il y a une forte analogie avec les réflexions que Bourdieu fait sur la sociologie de la croyance, lorsqu'il constate les conflits dans lesquels se trouvent les sociologues qui étudient29 les religions en participant de la croyance de ceux qu'ils observent. En cela, j'essaie de prendre la posture de ce que Bourdieu décrit (1987 - p159) comme un "sociologue original" par analogie avec l'"historien original" de Hegel, c'est-à-dire celui qui "vivant dans l'esprit de l’événement, assume les présupposés de ceux dont il raconte l'histoire - ce qui explique qu'il soit si souvent dans l'impossibilité de fait d'objectiver son expérience quasi indigène, de l'écrire et de la publier".

Les rencontres ont duré au minimum une heure :

29 (Bourdieu 1987, p156): "Y a-t-il une sociologie de la croyance. J'ai décidé de ne pas biaiser et de reformuler la question: la sociologie de la religion telle qu’elle est pratiquée aujourd'hui, c'est-à-dire par des producteurs qui participent à des degrés divers au champ religieux, peut-elle être une véritable sociologie scientifique? Et je réponds difficilement c'est-à-dire à condition seulement qu'elle s'accompagne d'une sociologie scientifique du champ religieux. Mais une telle sociologie est une entreprise très difficile non que le champ religieux soit plus difficile à analyser qu’un autre (bien que ceux qui y sont engagés aient intérêt à le faire croire) mais parce que quand on en est, on participe de la croyance inhérente à l'appartenance à un champ quel qu'il soit, religieux universitaire etc. , et que quand on n’en est pas on risque premièrement d'omettre d'inscrire la croyance dans le modèle etc. (j'y reviendrai), deuxièmement être privé d’une partie de l’information utile..."

1) La plupart des interviews n'ont pas été enregistrés. Sur les 25 entretiens qui l’ont été, 6 ont été réalisés à l’aide du questionnaire (ci-dessous et annexe 1) et avaient pour objectif de retranscrire la carrière des personnes sur une vingtaine d’années afin de comparer leur vécu au mien. 19 entretiens avaient pour objet l’analyse d’arbres des causes (cf chap. 3).

2) Les autres discussions, assez libres, sont souvent parties sur des pistes très différentes qui ne sont pas toujours reliées à l'objet de cette thèse.

Reprendre l'intégralité des rencontres pour en faire un tout cohérent manquerait aussi de réalisme, en termes d'exploitation du contenu, à supposer que tout ait été enregistré. J'ai utilisé le système de l'attention flottante, comme le préconise Dumez (2013 - p87) comme alternative au codage pour traiter un matériau qualitatif volumineux, hétérogène et complexe. Dupuy (2011) fait d'ailleurs remarquer (p18), à l'issue d'un process d'entretiens qui a duré plusieurs années et sur lequel il témoigne que "les extraits d'entretiens viennent illustrer l'analyse. Ils ne s'y substituent pas....si les cas illustrent des points précis, ils constituent un ensemble et c'est l'ensemble qui permet de comprendre les parties".

L'objet de ce chapitre est donc de dégager les lignes de force qui montrent vers où se dirigent les opinions, les croyances des praticiens à propos des champs étudiés.

Après la première série de rencontres, j’ai réalisé que je ne pourrais pas faire une démonstration et que je devais cesser de demander à mes interlocuteurs de faire la sociologie à ma place. J’ai cessé de poursuivre une logique hypothético-déductive, et j’ai complété le matériel déjà obtenu pour réaliser une photographie des croyances de ces dirigeants de multinationales financières de ma génération à propos des risques de leur industrie.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 132-135)