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Avantages et inconvénients de mon passé de praticien

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 109-113)

Revue de littérature de la proposition 6

3.3. Avantages et inconvénients de mon passé de praticien

Pendant le travail de recherche, mon passé de praticien m'a apporté plus d’atouts que de faiblesses :

1) Le recul historique sur vingt ans m’a permis de savoir quels interlocuteurs il fallait contacter, de comprendre leurs situations et de savoir comment les faire passer de l’implicite à l’explicite

2) Les contacts obtenus pendant ma carrière ont accepté de partager leurs expériences sur la même période. Mon carnet d'adresses m'a permis d'obtenir des rendez-vous. Par exemple, je souhaitais interviewer le

Directeur des Risques d'une grande banque, membre du comité exécutif.

Je m'en suis ouvert à un ami qui avait travaillé avec lui. Quelques semaines plus tard, il m'obtenait un rendez-vous de deux heures et demie lors d'un déjeuner dans les locaux de la banque. En me servant de mon propre carnet d'adresses pour obtenir entretiens et ouvertures, j'usais d'une arme à double tranchant : a) d'un côté cela était défavorable, car mon objectivité pouvait être remise en cause puisque je connaissais une partie des personnes interrogées avant de leur poser des questions.

Dans ce cas, ma réputation me précédait souvent, ce qui pouvait également influencer certaines réponses. Legrave (1996) met en garde sur le fantasme de la "neutralité" dans l'entretien de recherche et Beaud (1996) tempère également les jugements trop rapides qui tendraient à écarter tout travail manquant d'objectivité : la recherche-action impose une présence dense sur le terrain qui implique qu'on finit toujours par avoir une certaine relation non objective avec les gens qu'on interroge.

On peut s’interroger pour savoir si ma recherche peut être ou non qualifié de recherche-action (cf infra), cependant elle s’en approche grandement, ce qui rend adapté à ma situation le commentaire de Beaud. b) Le point positif de cette situation est que j'ai pu avoir accès à certaines personnes qui n'auraient jamais accepté un entretien, ou encore pire qui auraient pratiqué une langue de bois qu'ils savaient ne pouvoir employer avec moi. Autre point positif, lorsqu'il ne s'agissait pas de GlobIns, l’aspect ‘’sous-marin’’ de ma démarche rassurait puisque d'un point de vue "officiel", personne ne savait que j'investiguais dans certaines entreprises. Alors qu'un doute dans l'esprit de mes interlocuteurs pouvait subsister chez GlobIns sur la confidentialité des échanges, je pouvais cette fois parler à des interlocuteurs qui étaient tranquillisés: personne ne pouvait même se douter que nous avions parlé ensemble. Enfin la majeure partie des personnes interrogées faisant partie du "réseau de mon réseau", ou étant de simples connaissances à l'origine, le risque d'être trop influencé par le lien avec les personnes pouvait être écarté. A cet égard, Erhard Friedberg (1999) signale que seul l'interview d'un ami pose réellement problème,

l'implicite envahissant trop fortement le champ. Pour le reste, une attention soutenue à trois attitudes qu'il met en évidence comme des pièges reste nécessaire ; Friedberg suggère ainsi d'éviter à tout prix : a) d'abord la langue de bois et la vision normative, b) en second lieu la connivence et la complicité personnelle entre interviewé et interviewer pour chasser le trop-plein d'implicite et le non-dit, ennemis de l'entretien, c) enfin, éviter la tendance des interviewés à conceptualiser.

Pour pondérer un peu, le propos de Friedberg, il faut remarquer qu'il est difficile d'interdire cela aux interviewés. C'est dans sa pratique de l'entretien que l'interviewer doit être vigilant. Samy Cohen (1999) explique d'ailleurs que ‘’le terrain est ce qu'il est’’ : c'est à l'interviewer de trouver le bon positionnement en connaissant à l'avance les pièges potentiels et en les évitant.

3) Comprendre la dimension technique des problèmes de mes interlocuteurs m’a été utile à plusieurs titres. En premier lieu pour éviter de nombreuses confusions et raccourcis qui sont possibles lorsque les contraintes des personnes interrogées ne sont à l’inverse pas maîtrisées par l'enquêteur. Ensuite, cela m'a permis de savoir quels interlocuteurs il fallait contacter.

4) Être crédible auprès de mes interlocuteurs a libéré la parole de personnes qui auraient tenu un discours plus conventionnel à quelqu'un d'autre. J'ai pu ainsi réinvestir dans toutes mes opérations de recherche la compétence que j'avais dans le passé

5) Mon passé m'a également aidé en me donnant la capacité à obtenir le soutien institutionnel d'un grand groupe (cf chap. 1) pour mener ma recherche. Je pouvais ainsi à la fois travailler sur ma recherche et apporter des informations et analyses utiles pour cette entreprise sans pour autant tomber dans sa dépendance.

6) Je devais également garder une forme de réflexivité et d’humilité dans ma façon d’écouter : il me fallait éviter de passer trop vite sur certains sujets en croyant les connaître, ce que je faisais dans mes premières interactions avec le terrain.

Cette combinaison d'expérience et d'accès aux entreprises m'a permis d'obtenir une large base d'informations, à la fois qualitatives et quantitatives. J'ai pu également utiliser différentes techniques d'enquêtes sous des angles différents.

Selon Robert Nadeau (1986 – p138), Friedrich Von Hayek militait en sciences sociales pour l'acquisition, par le chercheur en sciences sociales, d'une

"précompréhension" personnelle pour bien analyser un cas particulier. Dans l’analyse de Nadeau, cette posture - l'"individualisme méthodologique" - permettait au chercheur de comprendre à travers son propre prisme subjectif, des comportements d'autrui qui lui resteraient sinon très lointains.

En pratique, cette subjectivité assumée a aussi été un avantage parce qu'elle a été l'objet d'une double transposition qui était l’illustration d’une certaine multipositionnalité (Boltanski – 1973) : d'abord une transposition dans l'espace car je n’étais plus un financier, mais un étudiant-chercheur, ce qui créait une distance avec mes anciennes fonctions et mes anciens condisciples. Ensuite, il y a eu une transposition temporelle qui s'est opérée puisque j'avais quitté la finance plusieurs années avant la rédaction de ma thèse.

Pour les raisons exposées plus haut, ma longue socialisation préalable dans le milieu que j'ai étudié me semble un avantage important pour le travail entrepris, et apporte en tout cas un éclairage doté d'une singularité intéressante. En même temps, mon positionnement peut aussi être vu comme un inconvénient parce qu’il m’a été impossible de supprimer tous les réflexes et présupposés sur le monde de la finance que j’avais assimilé pendant autant d’années. Malgré un travail réflexif, il y a forcément eu des zones qui m’ont échappé.

Girin (1990) préconise, pour comprendre les acteurs et leurs interactions, une immersion longue. Il la juge même nécessaire pour saisir les parts les plus implicites des contextes : "Il est essentiel d'accéder à un niveau d'appréhension suffisant de ces contextes, si l'on veut comprendre les significations propres aux acteurs. Pour leur partie la plus explicite et formalisée, cela peut se faire par l'étude de documents. A des niveaux intermédiaires de structuration, les entretiens constituent le principal moyen d'accès. La part la plus implicite et la moins formalisée des contextes ne peut, en revanche, être appréhendée que par une authentique socialisation de longue

durée sur le terrain". L’immersion longue a certes été faite dans mon cas, mais cette immersion n’a pas été simultanée avec ma posture de chercheur et sur un terrain qui n’a pas toujours été homogène. Ce sont des biais qui doivent être pris en considération.

Michel Villette considère, certes que le chercheur doit prendre ses distances avec son sujet, mais que "pour prendre ses distances, il faut avoir été proche" (Villette - 1988, 2013), et que l'analyse des entreprises n'est vraiment possible que si l'on y a passé au moins un cycle budgétaire complet. Il conclut son article en décrivant son modèle idéal de connaissance : "Une longue recherche ethnographique en entreprise d’abord, le statut de chercheur ensuite, voilà en quelques mots, les éléments du dispositif qui me semble le mieux à même de maintenir notre curiosité sur les choses de l’entreprise à la hauteur du rêve démocratique et du mythe de la connaissance raisonnable".

Ce n’est pas tout à fait mon modèle sans en être trop éloigné non plus.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 109-113)