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Méthodologie de recueil de l'information

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 113-117)

Revue de littérature de la proposition 6

3.4. Méthodologie de recueil de l'information

Le recueil d'informations s'est effectué tout au long du travail de recherche avec des périodes plus ou moins intenses.

L’information a été recueillie différemment selon les trois types de résultats obtenus dans la recherche: 1) des entretiens généraux et interactions en entreprises destinées à comprendre les croyances des dirigeants 2) des chiffres pour analyser l’évolution des risques 3) des entretiens techniques et des documents pour les études de cas.

Entre juin 2011 et mars 2014, j'ai pu organiser des entretiens ou des rencontres avec des salariés (ou plus rarement quelques indépendants), très majoritairement cadres, le plus souvent managers et dirigeants de sociétés financières. Certains de ces rendez-vous étaient des entretiens formels qui avaient pour objet de faire parler la personne sur la perception de son parcours et de son travail (cf formulaire d’entretien en annexe 1), d’autres encore étaient des rencontres avec des témoignages techniques enregistrés ayant pour objet de réaliser un arbre des causes (références des témoignages intégrés dans les arbres des causes) à propos d’un risque précis qui s’était réalisé. Les autres rendez-vous

étaient plus informels et ont permis d’obtenir des informations ou des commentaires sans que cela ne fasse l’objet d’un entretien normé au sens sociologique (cf typologie des personnes rencontrées et dates en annexe 2). L’objet était toujours d'éviter de fixer un modèle de références trop strictes dans lequel la personne interrogée risquait de s'enfermer, tout en relançant le débat au besoin.

S’agissant souvent de cadres supérieurs et de dirigeants, il m’a semblé efficace d’appliquer quelques règles.

Dans son ouvrage (collectif) sur l'art d'interviewer les dirigeants, Samy Cohen (1999) explique que le type d'interview semi-directif, avec une population

"dominante" est le plus adapté à la population des hauts responsables, en

"permettant de combiner questions ouvertes et fermées, interrogations générales et très précises" (p8),

Cette pratique au cours des rendez-vous a permis de laisser une grande liberté aux interviewés, de créer une diversité et une richesse de dialogues sans le risque de s'enfermer dans des questions/réponses dirigées.

Alors que peu de rendez-vous ont pu être enregistrés, tous ont fait l'objet de prise de notes, non seulement sur ce que disaient les interlocuteurs, mais aussi sur leur langage corporel, notamment les mimiques ou les regards entendus. Cela me permettait de mieux garder la mémoire de l'état d'esprit de notre interlocuteur pendant l'évolution de l'entretien (étonnement, inquiétude, ennui, excitation, amusement, doute...)

Le plus souvent, il me semblait difficile d'enregistrer les entretiens si je voulais avoir une information valable. En effet, la plupart de mes interlocuteurs étaient des managers et des dirigeants qui sont extrêmement méfiants sur le sujet de la confidentialité, en particulier dans le monde de la finance: Cohen explique pourquoi l'enregistreur est contre-productif sur ce type de population : "Je n'ai jamais utilisé cet appareil au cours de mes entretiens. Auprès d'un milieu où la prudence est une seconde nature, j'ai préféré éviter le recours à cet élément perturbant, présentant plus d'inconvénients que d'avantages" (Cohen - 1999, p 41). Si la plupart des interviewés en sociologie peuvent être enregistrés, il n'en est pas de même des dirigeants qui ont l'habitude de se surveiller sans cesse et pour qui c'est le comportement de "relâche"

qui est l'exception et celui du contrôle qui est la norme. Les dirigeants n'oublieront jamais l'appareil. Autant ils seront capables de lâcher des informations ironiques sur leur société, leur président ou leurs actionnaires s'ils se sentent à l'aise, et se fermeront comme des huîtres sinon. La règle du jeu pour eux est la suivante: ils se livrent s'ils savent qu'ils pourront nier avoir dit quelque chose, ce que l'enregistrement interdit bien évidemment. Les premières expériences tentées avec l'enregistreur, vite abandonné par la suite, m'ont montré que mes interlocuteurs regardaient justement l'enregistreur aux moments clés de l'entretien.

J'ai même remarqué lors de certains rendez-vous que dans les moments où les véritables confidences démarraient, le simple fait de lever le stylo pour noter arrêtait net ce moment de grâce et faisait reprendre à l'entretien un tour plus formel. Pour éviter cela, j'ai pris l'habitude de retenir ma plume lors de ces moments pour ne noter certaines informations "indiscrètes" que par la suite, feignant alors de noter autre chose, ou juste en sortant de l'entretien, rentrant rapidement dans un café voire en redescendant à l'accueil, afin d'éviter de perdre trop de contenu dans le piège mémoriel en laissant passer trop de temps. Une règle que j'ai appliquée est celle conseillée par Samy Cohen pour obtenir des informations optimales (Cohen, 1999, p28) : "à chaque interlocuteur, je tentais de présenter mes objectifs de recherche de manière à ce qu'il se sente personnellement concerné par le sujet et capable d'y contribuer utilement".

L'atmosphère de complicité étant fondamentale pour autoriser la sincérité lors des entretiens, le fait de ne pas enregistrer ou ne pas prendre trop de notes était parfois une condition nécessaire mais non suffisante. Certaines choses n’étaient dites que lorsque suffisamment de signaux avaient été envoyés de part et d'autre, ce qui nécessitait une grande attention au langage corporel, en réception, mais aussi en émission. Cela requérait une très grande écoute qui pouvait être mise à mal par une obsession de la conservation de l'information. Il fallait pour cela que je fasse aussi attention à la prise de notes. En effet, les dirigeants prennent en général peu de notes et peuvent se méfier d’une prise de notes excessive. M’acharner sur mon stylo pendant certaines discussions m’aurait fait perdre les informations : en notant tout, je perdais le rôle du confident pour rentrer dans celui de l’enquêteur.

Afin de récolter un matériau riche et diversifié, il me fallait rencontrer des personnes très différentes, permettant de croiser, à l'intérieur de sociétés diverses, de nombreux métiers dans des postes de responsabilité divers. Pour obtenir un tel mixage, il m'a fallu essentiellement compter sur mon réseau personnel de connaissances. La plupart des personnes que j'ai rencontrées accordent des rendez-vous avec circonspection, car leur temps est compté et elles considèrent qu'une entrevue doit avoir un intérêt pour eux. Une simple demande d'interview à des fins de recherche a peu de chance d'aboutir, le barrage de la secrétaire étant en général suffisant. Dans quelques cas, j'ai pratiqué de cette façon pour obtenir des rendez-vous sans avoir de recommandation préalable. Il fallait écrire un long e-mail pour expliquer la démarche, le plus souvent relancer plusieurs fois par e-mails et par téléphone, pour un taux de succès assez médiocre au final. A l'inverse, même si la prise de rendez-vous a été parfois laborieuse, le taux de succès d'obtention d'un rendez-vous lorsque j'étais nanti d'une recommandation efficace a été quasiment de 100% (quelques cas d'échec lorsque je me suis fatigué de relancer).

Comme le mentionne Samy Cohen (2003), la domination est inversée lorsque l'on s'adresse à des dirigeants. Leur temps est souvent compté, ils vous rendent un service, pas l'inverse, et le "jeu" doit en partie se pratiquer selon leurs règles. Tout l'art consiste à ne pas se laisser déborder, à montrer qu'ils vont également retirer quelque avantage de l'entretien, à redresser en partie le rapport de force afin de pouvoir garder une certaine maîtrise de l'entretien. Pour cela, avoir été ‘’des leurs’’ et garder des liens amicaux et professionnels avec certains de leurs pairs ou même de leurs propres "dominants" est un atout auprès de cette population. En effet, cela permet de montrer qu'en termes de réseau, l'enquêteur peut lui aussi être utile un jour. Cependant, il était important au démarrage de beaucoup de ces entretiens de montrer que j'appréciais d'être reçu (ce qui était d'ailleurs le cas). Pour cela, une des conditions était d'accepter sans discuter les conditions de la personne sur le format de l'entretien (lieu, heure, éventuel déjeuner, petit-déjeuner...). Une bonne souplesse sur le déroulé de l'entretien était également important afin d’obtenir les informations les plus importantes, mais également pour donner assez de flexibilité pour me laisser surprendre sur des thèmes auxquels je ne m'attendais pas, ce qui permettait également de lutter contre le risque de circularité.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 113-117)